#200 – Lyonniais #026 – Femmes, Japon, mon article à trois ronds

« Akechi venait d’échouer. Du moins s’était-il acquitté de son rôle de protecteur envers Sanae. M. Iwase, qui lui était infiniment reconnaissant d’avoir sauvé sa fille, ne s’attarda pas à commenter ses compétences. Mais c’était une piètre consolation pour le détective, d’autant plus vexé qu’il s’était fait rouler par une femme. Et bien plus, quand il apprit de la bouche même de ses hommes que son adversaire s’était enfui après s’être travesti. »

Amis et -mies de la littérature japonaise, bonjour. Ce charmant paragraphe était un extrait du Lézard noir d’Edogawa Ranpo, publié pour la première fois en 1929 dans sa version originale, ici dans une traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle aux éditions Philippe Picquier de 1993.

Oh, que je me dis, en lisant ça. Est-ce l’auteur ? Est-ce le personnage ? Comme je n’ai pas fini de lire, à ce stade, je réserve mon jugement. Même si quelques chapitres plus tôt, le paragraphe « A première vue, à les voir ainsi marcher ensemble, on aurait pu dire qu’elles se ressemblaient. C’est à croire que les belles femmes n’ont pas d’âge car Mme Midorikawa, qui avait dépassé trente ans, semblait aussi fraîche et innocente qu’une jeune fille », m’avait également chatouillé. Eh, c’est que je suis sur twitter, je ne pouvais pas lire ça sans penser à la polémique suscitée récemment par les propos d’un certain homme médiatique Français recueillis par un magazine classé « presse féminine ». Laquelle polémique me fit penser à moi-même au cours d’une soirée entre amies et -mis, qui, me rendant compte que mes deux amies les plus proches sortaient avec des hommes de (à la louche) dix et quinze ans de plus qu’elles et que mon père avait vingt ans de plus que ma mère, disait en plaisantant que, jaloux, moi aussi je voulais une copine plus jeune que moi ! J’étais célibataire à l’époque. Je dis donc « en plaisantant », mais quand même. Y avait un fond de quelque chose caché quelque part, dans un coin sombre. Je suis conditionné comme toutes et tous par mon milieu (au sens large) à réagir d’une certaine façon à certains stimuli, même si j’essaie chaque jour de m’affranchir un peu plus de ce conditionnement par la pensée et par les actes. Je suis d’avis qu’on ne s’en sort jamais vraiment, du petit numéro de cirque pour lequel on a été dressé·e, mais que ce n’est pas une raison pour ne pas lutter contre. Bon. Où j’en étais ? Ah oui. Edogawa Ranpo et les hommes d’autant plus vexés que c’est une femme qui les roule, et une femme belle qui bien qu’elle ait trente ans passés semble fraîche et innocente comme un jeune fille.

En lisant quelques éléments biographiques concernant l’auteur, Hirai Tarō (oui, Edogawa Ranpo c’est un pseudonyme, vous avez trouvé tout·e seul·e à quoi ça faisait référence ? Non ? Cherchez plus longtemps alors.), je découvre qu’il se lance après la seconde guerre mondiale dans une sorte de compétition avec l’un de ses amis anthropologue, Iwata Jun’ichi. En quoi consiste leur compétition ? Voir qui trouverait le plus de livres contenant des passages sur l’attirance sexuelle entre hommes. Car Iwata étudie l’homosexualité dans l’histoire du Japon. Je pense : mais quand même, si Hirai étudie l’homosexualité lui aussi, c’est qu’il doit forcément être moins plein de préjugés sur le genre que ce que ces quelques (c’est joli « que ce que ces quelques », non ? Ah bon.) phrases citées plus haut ne le laissent présager. Je cherche donc du côté des études menées par Iwata et… eh ben non, en fait. Pas forcément.

Attention, je ne dis pas que j’ai cerné le bonhomme, je dis juste que lorsque je lis que le wakashudō (la voie des jeunes hommes), qu’étudiait Iwata, consistait à encourager les relations amoureuses et sexuelles entre vieux hommes et jeunes garçons au sein de la classe des guerriers car (je cite wikipédia) « on la considérait [la pratique] comme bénéfique pour le garçon, en ce qu’elle lui enseignait vertu, honnêteté et sens du beau » et que « lui était opposé l’amour pour les femmes, accusé de féminiser les hommes », je me dis qu’on ne nage pas forcément dans la compréhension et l’acceptation des préférences de chacun·e, ni dans l’idéal d’égalité des sexes et des genres. J’ai été naïf. (Au passage, si vous voulez en savoir plus sur la wakashudō et que vous lisez l’anglais, je vous conseille de lire cet article qui est assez bref mais a le bénéfice de contenir pas mal de citations et tire un parallèle avec les pratiques pédérastiques de la Grèce antique, bien qu’il ne dise presque rien sur la place des femmes dans cette doctrine.) Si j’ajoute à ça qu’Hirai publie bon nombre de ses nouvelles dans des magazines destinés aux jeunes garçons et que ses personnages les plus connus (Kogorō —de son prénom Akechi, ouais le rageux, c’est ça— et Kobayashi) sont apparemment souvent décrits comme leaders du Shōnen tantei dan (club des (jeunes) garçons détectives), je me dis que ça ne m’étonnerait finalement pas que les femmes, il les écrive comme veulent les lire les petits garçons Japonais de son temps. C’est-à-dire insolentes et causes de frustration si elles osent se montrer supérieures à un mec dans un quelconque domaine, objets de désir mais aussi dangereuses qu’elles sont attirantes et sexuellement actives, et méchantes manipulatrices (et ce n’est ni Le Lézard Noir ni La Proie et l’ombre (du même auteur) qui me feront penser le contraire.

Bon, mais tout ça, c’est l’ancien temps, hein ? 1929 pour Hirai alias Edogawa, le deuxième millénaire pour le wakashudō. Sûr qu’aujourd’hui, les femmes sont bien mieux considérées au japon, qu’on leur attribue sans préjugé la même valeur et la même place dans la société qu’aux hommes. Hein ? Ben non patate. Tu te doutes bien. L’Université de médecine de Tokyo est accusée d’avoir diminué les notes de femmes s’étant présentées au concours d’entrée, et c’est très récent. Je traduis vite fait quelques passages de la version anglaise du journal Mainichi : « les personnes chargées de la dernière enquête ont trouvé que 66 femmes et 43 hommes avaient été recalés malgré des notes assez hautes pour être accepté aux concours sur une période de quatre ans s’achevant en 2016. Si l’on décompose année par année, 27 hommes et 15 femmes ont été recalés en 2013, 7 hommes et 17 femmes en 2014, 4 hommes et 18 femmes en 2015, et 5 hommes et 16 femmes en 2016. (…) Selon le rapport, l’ajustement des notes au concours d’entrée en fonction du sexe des candidats et d’autres critères aurait commencé en 2006 sous l’ex-président de l’université Hiroshi Ito, qui nie ces accusations. Et en ce qui concerne la raison de cette manipulation des notes, toujours selon le rapport, les personnes chargées de l’enquête ont trouvé que trois des précédents présidents, ainsi que d’autres responsables hauts placés de l’université, pensaient que le ratio des candidates femmes devait être diminué autant que possible parce que « les femmes ont tendance à démissionner de leur poste à cause du mariage et des grossesses. » » On ajoutera pour clôturer le tout : « « Les médecins doivent être forts physiquement pour supporter des horaires de travail éprouvants », rapporte à The Asahi Shimbun une étudiante paraphrasant l’un de ses instructeurs, » rapporte le Courrier International.

Est-ce qu’on parle aussi du numéro du magazine Shukan Spa! (classé « presse masculine ») sorti il y a deux semaines au Japon et qui propose un classement des universités en fonction de la facilité qu’on y a à se taper des étudiantes ? Non, vous avez raison, pas tout d’un coup. Ce serait de la gourmandise.

Allez, sur cet article bien bâclé, je me barre. Je comptais faire plus complet, mais en fait j’ai la flemme. Je rappelle aux rageux et -geuses que je ne suis ni journaliste, ni universitaire et que je traite comme je veux des sujets que je veux, et que je ne me relis pas forcément. Pouvez quand même me chier dessus dans les commentaires si ça vous fait du bien, c’est fait pour ça. Allez, à demain.

2 réflexions sur « #200 – Lyonniais #026 – Femmes, Japon, mon article à trois ronds »

  1. J’ai récemment réactivé netflix (en version low-fi, bien suffisante finalement =)). Pour mater Black Mirror surtout, mais du coup j’ai enchaîné… maté l’anime « Blame » bien cool.

    Puis netflix me propose un truc qui semble être dans le même genre… un truc avec des méchas tout nuls, je tente mais j’ai surtout arrêté quand je me suis senti insulté après avoir vu 2 ou 3 fois la même perso être présentée/introduite par un gros plan sur ses seins gigantesques et rebondissants. 😀

    Après, pour ces questions d’âge……moix a tt l’air d’être un con mais il dit aussi des platitudes, n’importe qui va considérer que dans 80% des cas un corps de 25 ans est plus attirant qu’un corps de 50… à chacun/chacune d’assumer/accepter/chercher tel.le ou tel.le partenaire suivant la myriade de facteurs qui entrent en ligne de compte (dont le rang social et l’argent, ben oui… et aussi la beauté, qui n’est pas moins injuste et imméritée même si cet aspect est comme par magie moins diabolisé). Dans un patriarcat ça marche plus souvent dans un sens que dans l’autre, mais Madonna aime bien croquer les djeunes aussi 😀

    1. Ah ouais, les animés sont terribles pour ça… Les personnages féminins qui ne servent qu’à placer des nichons, des culs et des culottes, c’est assez pitoyable.

      Pour ce qui est de trouver un corps plus jeunes plus attirant qu’un corps plus âgé, je pense qu’il y a quand même un gros rôle joué par les personnes qui créent des images et des histoires, bref des représentations, vis-à-vis de la désirabilité de tel ou tel trait (social, physique, comme tu le dis) de manière statistique. C’est un combat que je me livre souvent à moi-même d’ailleurs, entre chercher ce que je suis et ce que j’aime au fond de moi, par ma « nature » en quelque sorte, et me dire que la force de l’humain, c’est de pouvoir se modifier à volonté et qu’il faut savoir user de cette faculté afin de vivre dans une société plus agréable pour moi et pour les autres. S’ouvrir, par des efforts divers, à la possibilité de désirer des « catégories » de personnes qu’on ignore à l’habitude, car pression sociale ou simplement habitude culturelle, c’est également se donner davantage de chances d’être heureux, au final. D’élargir la palette des relations susceptibles de nous apporter un peu de joie. Enfin, il me semble.

      Ce que je veux dire en le disant très mal c’est : les goûts innés sont-ils si innés que ça, et les goûts acquis contre une tendance générale seraient-ils de moins de valeur que les goûts prétendument innés ?

      Bref, travail sur soi, travail sur la société, c’est bien le bordel. Et comme tu le dis, à chacun·e de se dépatouiller avec ça.

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