#372 – Je suis dans la place

Voilà. Je suis dans la place. Je viens d’installer une image créée il y a quelque mois, imprimée et plastifiée, quelque part en ville. C’est une image de ce même endroit, stylisé, et dans laquelle j’ai rajouté un personnage tiré d’un photostock libre de droits.

Ça faisait un moment que j’avais envie de participer au paysage de la ville. De décorer un peu les lieux que je trouve très sympa. Sans colle ni trucs qui abîment, juste accrocher des trucs démontables facilement. Jusque là, j’en avais rien fait, mais ça y est. Je dois avoir retrouvé le niveau d’angoisse adéquat pour avoir besoin de recréer des trucs et des machins. Une musique ici, un dessin là…

Mon ami Feldo parle de ça dans sa dernière note de blog. En ce qui concerne ma personne, la réponse est claire. Oui, il me faut souffrir pour créer des machins. Plus précisément, il me faut avoir à fuir une souffrance, une angoisse. Il me faut avoir cette impression que fabriquer quoi que ce soit me permettra de me noyer dans cette activité avec assez d’intensité pour que j’oublie la vie qui m’effraie, me dépasse, m’écrase. C’est inconscient, en général je m’en rends compte qu’après coup.

C’est la même chose qui m’a un temps fait me tourner vers l’alcool, c’est la même chose qui me pousse à fumer plus de pétards que de raison. Sauf que là, il y a la notion supplémentaire de combat. Boire ou fumer, c’est fuir, fabriquer quelque chose, c’est fuir aussi, mais c’est mettre une petite gifle à la vie au passage, pour se faire croire à soi-même et aux copains qu’elle est pas si terrible, qu’on peut y ternir tête. Avec fantaisie et en se marrant si possible, pour bien bien oublier l’horreur de l’existence physique.

Quand j’étais en couple, j’étais tellement bien que je n’avais besoin de rien créer. Je n’avais besoin de rien tout court, sauf d’elle et de ses sourires. Je ne manquais de rien, pourquoi faire quoi que ce soit ? Les moments où j’ai fait des machins étaient toujours des périodes de stress intense. Déménagements, recherche de travail… Les moments où l’angoisse était si grande que même en couple, je me sentais tout seul à affronter ces épreuves.

Il y a aussi une notion d’orgueil dans tout ça. L’impression de n’avoir jamais rien apporté de bien, d’assez bien pour que… disons une œuvre, puisque c’est le mot, apporte ce soulagement à d’autres que moi seul, et si possible pour une durée plus longue que le temps de la découverte. Le genre de trucs qui vous crée un petit bouton quelque part dans le cerveau sur lequel vous pouvez appuyer quand vous avez besoin de votre shot d’endorphine tout au long de la vie.

Je culpabilise tellement d’exister, que je voudrais m’assurer de procurer plus de plaisir que de douleur aux autres êtres qui souffrent dans mes environs. Essayer de faire des trucs m’aide au moins à croire que je bosse dans ce sens, que j’ai pas tout à fait laissé tomber les autres en baissant définitivement les bras, tout en restant le gros égoïste que je suis au fond. Dans les moments de grosses crises existentielles, donc, pour ne pas me vivre comme un encombrant, je suis poussé à créer.

D’où que ça vienne, ce n’est pas un lieu très cool. Par contre, ça marche. Ça permet de se créer un petit horizon artificiel, de divertir deux trois personnes au passage. Pendant toute la durée d’un projet en cours, je me lève avec le sourire le matin, même si j’ai mal dormi. Je m’enthousiasme pour tel ou tel aspect du monde, j’imagine des rencontres, des avenirs possibles.

Bref. Je suis dans la place, j’ai fait mon petit truc par une matinée ensoleillée. Dans le coin près de chez moi que je préfère. J’imagine les gens qui vont se demander ce que c’est, qui c’est ce mec sur l’image, qui a fait ça, pourquoi. Et j’en suis tout content. Faudra voir combien de temps ça reste accroché. Pas mal de vent aujourd’hui, et mon installation n’est pas très solide.

Me reste plus donc qu’à trouver un truc qui me tienne l’après-midi pour ne pas avoir le temps de penser que demain je retourne bosser au supermarché.

#256 – Lyonniais #081 – Tracassage

Aujourd’hui est un jour d’angoisse. Non seulement mes parents arrivent pour trois jours à Lyon, et nos rapports sont, disons, tendus, mais en plus de ça j’ai un rendez-vous pour justifier mes droits RSA auprès d’un organisme mandaté pour me trouver un travail dont je ne veux pas. Je me retrouve, mais vous en avez l’habitude, sans savoir quoi dire. Hein ? Non, pas ici, pour une fois, mais sans savoir quoi dire ni à mes parents ni à l’organisme décrit ci-dessus.

Pour vous donner une idée de mon niveau d’angoisse, ça fait trois jours que je n’ai pas bandé. Ben oui. Ça peut vous paraître anecdotique, mais c’est un signe qui ne trompe pas. Même pas un peu le matin au réveil, même pas en caressant le corps nu de mon amie. Rien. Que dalle. Mon sang est trop occupé à irriguer les glandes de la peur et l’estomac là où il lui faut du sang pour se nouer comme se nouent les estomacs quand un canon est posé sur la tempe de leur propriétaire. J’ai juste envie de me cacher dans un coin en attendant que le monde s’effondre.

Si je n’ai rien a dire à mes parents, c’est que le dialogue a longtemps été rompu et que nous sommes maintenant quasiment des étrangers l’un pour l’autre. Si je n’ai rien à dire au fâcheux organisme, c’est que je n’ai jamais véritablement pensé à élaborer de discours justifiant mon droit à la survie. Poète contemplateur que je suis. Même si j’y avais pensé, je n’aurais sans doute pas accepté d’utiliser les termes clés qui sont de bon ton à notre époque de broyage des individus au profit du profit. Je ne suis pas proactif comme garçon, plutôt amateuractif.

Je crois que famille et travail sont les deux concepts qui me posent le plus de soucis dans la vie de tous les jours. Hein ? Ah oui, patrie aussi, puisque je ne suis pas patriote pour un sous, mais enfin, là, pour une fois, je me dis que je suis né à la bonne époque puisque personne n’exige de moi que je le sois. C’est marrant comme quand on cite travail et famille le troisième terme vient toujours immédiatement en tête, hein ? Ouais, ben là j’ai pas la tête à me marrer.

Bref, c’est une journée de l’angoisse. C’est pas la mort, mais il faudra bien laisser passer trois jours avant que mon organisme l’ait intégré. Dans le cas où l’on me fiche la paix pour mon rendez-vous.