#316 – Ce film que cette fois j’ai vu…

…et dont je vous parlais hier s’appelle toujours Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock And Roll, et il est remarquable. C’est bien dommage qu’on ne le trouve qu’à la location, et un peu cher.

Que vous en dire maintenant ? Qu’il donne envie de trouver toutes les chansons des artistes présentés ? Oui. Qu’il donne envie de prendre un instrument, de monter un groupe avec ses amis et de chanter ? Oui. Qu’il fait voir comment liesse et horreur sont juxtaposées sans transition aucune sur la frise du temps ? Oui. Qu’il rappelle qu’il n’y a rien à attendre de bon des gouvernements américains ni des communistes ? Oui. Que vous devriez vraiment le regarder ? C’est vous qui voyez. Que si vous êtes sensible vous devriez quand même prévoir un paquet de mouchoirs ? Oui.

Les images sont d’archives. Les interviews sont récentes. Les langues sont le khmer, le français et l’anglais. Les artistes sont, entre autres, Sinn Sisamouth, Ros Serey Sothea, Sieng Vathy, Pen Ran, Huoy Meas, Yol Aularong et les groupes Baksey Cham Krong et Drakkar.

Photo tirée du documentaire de John Pirozzi. Crédits : Roland Neveu/Argot Pictures

Bon, on va pas s’éterniser là-dessus. Matez-le, matez-le pas, à vous de voir. Vous avez toutes les infos nécessaires pour ou pour pas.

Tout cela m’a quand même rappelé que, quand j’étais gamin, le patron de ma mère était Cambodgien. C’était pas un gars très sympa. C’était même un vrai con. Il a viré ma mère parce qu’elle était enceinte de moi, elle avait 21 ans. L’a reprise plus tard. L’a jamais augmentée, alors qu’elle était l’une des meilleure vendeuse de la ville dans son domaine. Ma mère a fini par se barrer de là, avec toute sa clientèle. Tant pis pour lui. Je sais pas comment ni pourquoi ni quand il a atterri en France. Le mec était quand même patron d’une des plus grandes pharmacies de la ville.

Bien plus sympathique, l’une des collègues de ma mère de la même époque était également Cambodgienne, assez maltraitée par ce patron également. Je crois avoir compris qu’elle lui devait quelque chose. Peut-être simplement le fait d’avoir du travail. Elle était extrêmement gentille, et je me souviens d’elle toujours souriante. Elle nous offrait souvent de la nourriture traditionnelle et des nems qu’elle nous disait préparer le soir avec ses enfants devant la télé. Généreuse, et pourtant pas très argentée : au smic, comme ma mère, mais seule avec deux enfants. Son fils était un peu plus jeune que moi et je me souviens que ma mère lui donnait tous mes habits dès qu’ils devenaient trop petits pour moi. Ma mère devait l’aimer pas mal, parce qu’en vérité elle me poussait souvent à lui donner mes habits même s’ils m’allaient encore bien.

Je vous parle de ça… j’avais entre 6 et 9 ans je pense, c’était la première moitié des années 90. Maintenant que je connais un peu mieux l’histoire, je me demande par quoi ces gens sont passés.

Allez, secouons ces souvenirs ! Demain on part sur autre chose. Je sais pas quoi encore, mais je trouverai bien.

J’espère.

#315 – Ce film que j’ai pas vu…

…mais dont j’ai écouté la bande son des dizaines et des dizaines de fois, Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock And Roll, est un documentaire réalisé par John Pirozzi.

L’album, de la musique du film, je suis tombé dessus par hasard à la bibliothèque de Lyon. Je l’ai écouté, je l’ai adoré, je l’ai copié, j’ai scanné le livret, j’ai conservé tout ça comme un trésor précieux, car à l’époque je ne trouvais aucun moyen de me procurer le disque ou documentaire sur internet ou en boutique.

Petit saut en arrière. 1941. Norodom Sihanouk a 18 ans. Et 18 ans, ça se fête, on vous fait de beaux cadeaux. Le cadeau de Norodom Sihanouk, c’est d’être couronné roi du Cambodge. Il aurait peut-être préféré un vélo, mais enfin, un cadeau c’est un cadeau, il dit merci et il embrasse la famille parce qu’il est poli.

Et il n’est pas que poli, il est également cultivé et raffiné. Il peint, il écrit des poèmes, il réalise des films, et, comble du raffinement, il renvoie les Français chez eux en 1953 en négociant l’indépendance du Cambodge qui fait jusque là partie de l’Indochine française.

Mais en vérité, ce qu’il aime par dessus tout, ce bon roi, c’est la musique. Il compose, il fait des concerts, il chante, il joue du sax, il connait la musique classique européenne, la musique moderne états-unienne… tout. Il fait monter des orchestres nationaux, fait organiser des concours de chants aux quatre coins du royaume. Il inspire toute une jeunesse à prendre les instruments et à faire du monde sonore un monde plus beau. Le métier de musicien n’était pas un métier noble ? Il le deviendra, en partie grâce à son influence.

Et voilà ce qu’on peut entendre au Cambodge dans les années 60 et jusqu’en 1975 :

Extraits de Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock And RollSoundtrack album of the music from the film, et mosaïque de pochettes issue du livret.

Pourquoi jusqu’en 1975 ? Parce que depuis quelques temps déjà, les Américains mènent leur guerre chez les voisins, le Vietnam et déstabilisent toute la région. Sihanouk souhaite que son pays reste neutre, mais perd peu à peu de son influence. En 1970, son régime est renversé au cours d’un coup d’état soutenu en douce par les Américains (pour changer).

Dans une tentative de revenir au pouvoir, il s’allie avec ses adversaires d’alors, des communistes, qu’on appelle les Khmers Rouge. Une grande partie des paysans et des campagnards les rejoignent tout en restant fidèles au roi. Ça peut chémar, s’est-il sans doute dit. Ben ça a pas chémar. Pas du tout.

Les Khmers Rouges n’ont aucune intention de partager le pouvoir, veulent tout mettre en commun mais prêtent pas leurs jouets ceux-là. En avril 1975, ils le prennent totalement, le pouvoir. Ils appliquent alors leur idéologie radicale, radicalement. Plus de possessions personnelles, plus de liberté de mouvement, le pays est transformé en une immense ferme-prison. Et ils massacrent, massacrent, massacrent tout ce qui n’est pas de leur bord, ceux qui ont eu des liens avec le gouvernement précédent, les minorités ethniques. Combien de morts ? Oh… 1,5 à 2 million de personnes. Un quart de la population totale, à la louche, on va pas chipoter.

On estime aujourd’hui que 9o% des artistes et des intellectuels sont morts exécutés, morts de faim ou de maladie. Rock is dead, et c’était vrai.

Cette histoire me hante. Ces chansons aussi. Et si je les aime d’abord pour la musique en elle-même, elles ont maintenant une profondeur inatteignable par un tube de l’été quelconque, grâce à cet album et à son livret très détaillé, où tout ce que j’ai écrit ici est raconté (en anglais), et où sont dressés en doubles pages les portraits d’une quinzaine de musiciens de l’époque.

Et vous savez quoi ? Aujourd’hui, en rédigeant cet article, j’ai découvert que le film était enfin accessible. On peut le louer sur viméo. Vous savez maintenant comment je vais utiliser le temps libre qu’il me reste avant d’aller au travail. Je vous laisse avec le teaser.

Merci les artistes, merci John Pirozzi.