Les Pierres de Serpent – GALLOIS – Le Journal des Sçavans du 17 septembre 1668 – « Athanasii Kircheri E Soc. Iesu China monumentis (…) » & « Extrait d’une lettre M. Tachenius Professeur en Chimie, au Prince Iean Frederic Duc de Brunsvvic & de Lunebourg (…) »

LE IOVRNAL
DES SÇAVANS.
Du Lundy 17. Septembre M. DC. LXVIII.
Par le Sr G. P.

ATHANASII KIRCHERI E SOC. IESV

China monumentis quà ſacris, quà profanis illuſtrata. In fol.

Amſtelodami. Et ſe trouue à Paris chez Fred. Leonard, & Seb. Mabre-Cramoiſy.

(…)

6. Pour ce qui eſt des Plantes ſingulieres, des Animaux extraordinaires, & des autres curioſitez naturelles, comme il y en a quantité dans la Chine, ce Liure en eſt auſſi tout plein. Il y eſt entr’autres parlé d’vn Animal appelé Hoang cio yu, c’eſt à dire Poiſſon iaune, qui change de nature deux fois l’an, & ayant été Poiſſon pendant l’hyuer, ſe tranforme en Oiſeau au commencement de l’Eté. Pour rendre ce prodige vray-ſemblable, le P. Kircher dit que cette metamorphoſe eſt ordinaire dans les Inſectes, & que bien qu’elle ſoit tres-rare dans les Animaux parfaits, elle n’eſt pas neantmoins impoſſible : Et raiſonnant en ſuite ſur le changement qui arriue à ce Poiſſon, il l’attribuë aux alimens dont il ſe nourrit au Printemps.

La Pierre qui ſe trouue dans la teſte du Serpent que les Portugais appellent Cobra de capelos, parce qu’il a ſur la teſte vne petite éminence faite en forme de chapeau, n’eſt pas moins admirable & eſt plus vtile. On dit qu’il n’y a rien de ſi ſouuerain contre les piqueures des beſtes venimeuſes. Car ſi on la met ſur la playe, elle s’y attache fortement & attire le venin. Lors qu’elle en eſt pleine, elle tombe d’elle-mêle n’ayant plus de force , mais étant jettée dans du lait, elle s’y décharge du venin qu’elle auot pris & recouvre ſa première vertu. Le P. Kircher dit qu’il a été long-temps ſans le vouloir croire, quoy que pluſieurs Auteurs dignes de foy en parlaſſent cõme d’vne choſe aſſurée; mais qu’enfin il a été cõvaincu par l’experience qu’il en a luy-même faite en preſence de pluſieurs perſonnes ſur vn Chien mordu par vne Vipere.

EXTRAIT D’VNE LETTRE DE M.

Tachenius Profeſſeur en Chimie, au Prince Iean Frederic

Duc de Brunſvvic & de Lunebourg, contenant l’Experience

faite à Veniſe de la vertu d’vne Pierre qui guerit les piqueures des Serpens.

Ce que le P. Kircher dit de la vertu des Pierres qui s’engendrent dans la teſte du Serpent appellé Cobra de capelos, ſe trouue confirmé par vne Relation enuoyée depuis peu au Prince Iean Frederic Duc de Brunſwik & de Lunebourg, à qui tous les Sçavans rendent conte de ce qu’ils apprennent de nouueau, non ſeulement parce qu’il en eſt curieux, mais encore parce qu’il eſt tres-verſé dans la pluſpart des ſciences. M. Tachenius dans vne lettre qu’il a écrite de Veniſe le 27 Avril 1668, mande à ce Prince que voulant faire l’experience de la vertu d’vne de ces Pierres qui avoit été apportée à Veniſe par vn Armenien, il fit mordre vn Chien à la jambe par vne Vipere. Demy-heure apres, comme on connut par les hurlemens que cet Animal faiſoit & par l’enflure de ſa jambe, que le venin s’étoit répandu dans ſes veines & luy cauſoit beaucoup de douleur ; le Comte de Schlie, chez qui ſe faiſoit cette Experience, appliqua la pierre de l’Armenien ſur la playe ; & auſſi-toſt cette pierre s’y attacha ſi fortement qu’on ne l’en pouuoit arracher, & l’Animal ceſſa de ſe plaindre. Elle y demeura attachée l’eſpace de deux heures ; au bout deſquelles étant tombée d’elle-même, on la mit tremper dans du lait, qu’elle empoiſonna de telle ſorte, qu’vn Chien qui en but, mourut la nuit ſuivante.

On la mit vne ſeconde fois ſur la playe, & elle s’y attacha encore ; mais elle tomba demy-heure apres, & ayant été miſe dans d’autre lait, elle luy communiqua moins de venin. Car quand on écrivit cette Relation, il y auoit déjà trois jours qu’vn autre Chien avoit bû de ce lait ; & neantmoins il viuoit encores, & mêmes il y auoit eſperance qu’il en rechapperoit.

La troiſiéme fois qu’on l’appliqua ſur la playe, elle ne s’y attacha point, parce qu’il n’y reſtoit plus de venin.

M. Tachnius ajoûte que cette pierre étoit noire, ronde, grande comme vn ſol, & quatre fois plus épaiſſe ; & que l’Armenien diſoit que non ſeulement elle gueriſſoit de même les morſures des Chiens enragez & de toutes les Beſtes venimeuſes, mais qu’elle étoit encore ſouveraine contre la peſte.


GALLOIS, Jean. « Athanasii Kircheri E Soc. Iesu China monumentis quà sacris, quà profanis illustrata. In fol. Amstelodami. » & « Extrait d’une lettre M. Tachenius Professeur en Chimie, au Prince Iean Frederic Duc de Brunsvvic & de Lunebourg, contenant l’Experience faite à Venise de la vertu d’vne Pierre qui guerit les piqueures des Serpens. » Le Journal des Sçavans (17 septembre 1668). Vol. 4, Paris, 1668, pp. 73–77.


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