À veauté !
Aujourd’hui, les veaux sont allés veauter pour élire le grand conseil de la réglementation de l’abattoir. J’en faisais partie, j’ai veauté. 8h10 le matin, j’étais devant l’étable. Pas de temps à perdre, j’avais d’autres mouches à fouetter. Devant moi, quelques autres veaux déjà là meuglaient. Ils avaient apparemment encore moins de temps à perdre, seulement l’étable n’était pas prête et les préposés à l’organisation de la grande veauterie pas au point. C’est qu’il y en avait, cette année, des candidats ! Les bénévoles agricoles étaient mal préparés à l’installation de ces piles de bulletins sur aussi peu d’espace et en aussi peu de temps. Tout ce tumulte, à la ferme, on n’est pas habitués. Quatre veaux ont d’ailleurs tourné les sabots et sont allés paître ailleurs en meuglant bien fort : Inadmissible ! Meuh !! Ça fait dix minutes qu’on attend ! Meuh !!! (Le fermier qui devait venir ouvrir les portes de l’étable qu’il avait mise à disposition pour l’élection avait eu une panne de réveil) J’en ai rien à faire moi, je dois prendre la route moi, j’ai une vie privée moi ! Meuh !!!! Après on dira que les veaux d’origine française contrôlée ne prennent pas part aux grandes décisions ! Meuh !!!!! Meuglaient, meuglaient ces quatre-là, puis sont partis. Je trouvais qu’ils exagéraient un peu, d’autant qu’à 8h13 tout était rentré dans l’ordre et que je veautais. Heureusement qu’il n’y avait pas davantage de veaux dans la file devant moi cela dit. C’est un coup à se mettre la cervelle en activité et à se carapater sans avoir glissé son petit bulletin dans la grande auge démocratique. Surtout ne jamais se laisser le temps de penser au grand couteau du boucher. J’ai donc veauté pour ceux qui me semblaient les plus à même de faire reculer l’heure du grand abattage. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Un fois tous ces candidats plein de bonnes intentions, et qui nous le prouvent des mois durant à grands coups de professions de foin, une fois ceux-là admis au conseil de réglementation de l’abattoir, donc, ils se révèlent souvent être les plus sauvages, les plus sanguinaires, les plus pressés de se taper un bon tartare sur le dos de la bête encore vive. Enfin, a veauté ! Trop tard pour les scrupules.
On est maintenant le soir. Je me suis dit que j’allais faire un petit un tour en terrasse histoire de jeter une oreille baguée à ce que pouvaient bien meugler les autres veaux, c’est de là que je vous écris. J’en avais assez entendu sur Bœuf Inter, la course aux fragments de discours victorieux quelque soit le résultat des veautes, j’en pouvais plus, il me fallait prendre l’air. Eh ben quelle surprise ! Dehors, pas une seule allusion à la grande veauterie. Pas une ! Je m’attendais à entendre tous les sons de cloches, mais non. Rien. Ça devrait pourtant se souffler dans les naseaux, s’empoigner par le collier. Rien, je vous dis. Sans doute devrais-je me sentir rassuré au final, que tous ces veaux ne se soucient plus de savoir si on les électrocutera ou non avant de les saigner puisqu’ils savent qu’ils finiront de toute manière dans l’assiette d’un grand restaurant pour grands financiers. Faites pas semblant, vous aussi le savez, c’est notre destin à tous. Mais non, ça ne me rassure pas, ça m’inquiète plutôt même. Suis-je le seul à vouloir retarder la grande boucherie ? Meuh !! Je voudrais pas crever ! Meuh !!! Ou pas à l’abattoir mais dans un grand pré par une nuit étoilée ! Meuh !!!! Z’avaient raison ces grands cons de meugleurs de ce matin ! Meuh !!!!! Dix minutes ! Dix putain de minutes !! Qu’est-ce que c’est précieux ! Meuh !!!!!!
(26 mai 2019)