#111 – Montpelliérien #111 – Les œufs de ma grand-mère

Souvenez-vous. Il y a quelques semaines, je vous confiais au détour d’un paragraphe que ma grand-mère tenait absolument à me donner les œufs de ses poules. Pas la peine de nier, on n’oublie pas aussi facilement un si grand moment de littérature. Elle disait, ma grand-mère, savoir que je ne mangeais pas les œufs des poules que je ne connaissais pas. C’est un fait. Et c’est fait. Elle me les a donnés. Quatre œufs frais du jour. Sept poules, quatre œufs par jour en moyenne. Elle ne peut pas tous les manger. Moi, je n’en mange pas, mais je ne peux rien refuser à ma grand-mère. D’autant qu’elle fêtait ses quatre-vingt-six ans. Ça vous intéresse pas ce que je raconte ? Bon. Alors parlons du sujet qui fâche.

Pourquoi que je mange pas les œufs des poules que je ne connais pas ? Parce que je n’achète pas de produits d’origine animale. Pourquoi que je n’achète pas de produits d’origine animale ? Parce que je ne veux pas contribuer à la bonne santé d’une industrie qui traite des êtres vivants de la manière dont il les traitent. Si, vous savez. Faites pas semblant. Parce que je n’aime pas le profit, et je l’aime encore moins lorsqu’il justifie la torture et le meurtre de consciences à la chaîne. Non, ne vous inquiétez pas, je n’aurai pas le temps de faire la morale à qui que ce soit ce soir. D’ailleurs, même quand j’en ai le temps je ne la fais pas. Si vous saviez… Je ne sais plus où me mettre quand on me pose des questions sur mon régime alimentaire alors qu’on est à table. Pourquoi les gens veulent-ils m’entendre m’expliquer sur mes sentiments vis-à-vis du grand massacre juste au moment où ils mangent un steak ? Alors que pour moi tout ça est une horreur absolue ? Genre la bande de Gaza du bout de la table ? Ils ne le veulent pas en fait, les gens. C’est parce qu’ils voient que je ne me jette pas sur ce qui est d’ordinaire le plus prisé sur la table qu’ils se posent la question. Bon, en général ils sont d’accord pour qu’on remette la discussion à plus tard quand je le leur fait remarquer.

Bon. Ma grand-mère. Son poulailler est plus grand que la plupart des appartements dans lesquels j’ai pu vivre ces dix dernières années, et même, les poules sont souvent en liberté dans le potager. Potager lui-même plus grand que n’importe quel appartement ou maison dans lesquels j’ai vécu depuis ma naissance. Alors je les ai pris, ses œufs. Mais je ne suis pas certain que ça ne me pose pas de problème pour autant en fait. Que les poules soient là non pas parce qu’elles ont le droit d’y être comme tout le monde, mais parce qu’elles sont destinées à nous nourrir m’agace. Voilà, je m’arrêterai là. Aujourd’hui je n’ai vraiment pas le courage d’écrire un long article et je n’ai toujours pas de photo. Je terminerai juste en précisant que j’ai écrit cet article en mangeant une portion de salade de lentilles à la feta, aux œufs et au jambon de montagne, que j’ai récupérée avant de partir de l’anniversaire, sinon ça allait finir à la poubelle.