#225 – Lyonniais #051 – Quand j’étais petit, mon dinosaure préféré c’était le stégosaure

J’avais une très bonne accroche pour aujourd’hui, mais je l’ai oubliée. Je savais exactement de quoi je voulais vous causer, mais ça m’est sorti de la tête. C’est un effet collatéral du manque de sommeil. J’ai dormi quatorze heures, donc je suis revenu à mon état normal, mais ce qui n’a pas été enregistré ne peut pas être retrouvé. J’aurais dû noter tout ça sur papier, je l’ai pas fait. Du coup je vais encore devoir trouver quelque chose au pied levé.

Aujourd’hui, c’était le retour du grand soleil, et c’est aussi le retour de mon amie. Coïncidence ? Si je vous dis ça, ce n’est pas pour vous prouver à quel point les sentiments amoureux rendent niais, mais pour que vous compreniez ce qui m’a poussé à aller faire les courses ce matin alors que depuis trois jours je me contente de rousiguer des quignons de pain sec qui trainent çà et là dans l’appartement. Oui ce çà-là prend un accent, j’en suis le premier surpris. Oui, rousiguer, ça existe, c’est un mot du sud qui veut dire ronger. Oui, si je vous dis que je suis sorti faire les courses, c’est qu’il y a une raison. Non, je ne vais pas vous parler du caissier qui a éternué deux fois sur mon panier et qui avait l’air d’être à l’article de la mort. L’article de la mort, ce n’est pas la. La est bien un article, mais dans ce cas-là, c’est l’article comme dans articulus, et ça désigne un moment du temps, comme dans la locution latine in articulo mortis. Bon, vous savez que j’ai la digression facile, ce n’est pas une raison pour m’y pousser, je vous prie donc de bien vouloir cesser ceci.

Donc, si je vous parle du fait que je suis allé faire les courses, c’est pour amener doucement le fait que je suis revenu de faire les courses. Revenu de faire les courses ou revenu d’être allé faire les courses ? On s’en fout. Alors que je passais juste devant la vitrine de l’ancien garage citroën (oui, je mets pas d’accent aux marques, faites-vous une raison), devant laquelle je m’arrête toujours quelques secondes, fasciné par le magnifique stégosaure rouge en acier (prénommé Gustave) de Romain Lardanchet, j’ai entendu une énorme voix rauque se mettre à brailler. Et rauque rauque. Tom Waits à côté c’est un castrat. Il en avait dans les bronches, le gars. Ça portait. En quelle langue hurlait-il ? Vraiment, impossible de le dire. Mais pas besoin de le savoir pour comprendre que c’était pas des gentillesses qui sortaient de sa bouche. C’était une voix en colère, c’était une voix de révolte, une voix accusatrice et pleine de reproches. Était-ce un gilet jaune ? Non. C’était un homme, sans doute saoul, à l’allure de qui-vit-dans-la-rue. Il était sur le trottoir d’en face, devant le supermarché le moins cher, mais instantanément après s’être mis à gueuler, il s’est précipité vers le côté de la rue où je me trouvais, toujours braillant. Ça faisait longtemps que j’avais pas vu une rogne pareille. Bref, il a traversé la route et les voies du tram sans même regarder si un véhicule arrivait, m’est passé devant comme si j’étais pas là, s’est posté devant la vitrine juste à côté, une où on ne voit rien à travers, et, pointant d’un doigt mauvais son propre reflet dans le verre, s’est mis à gueuler de plus belle.

J’ai continué à avancer, un peu perdu dans mes pensées, mais arrivé à la moitié de la rue de Marseille, qui n’est pas courte, je pouvais toujours l’entendre hurler contre son image dans la vitre.

Ça fait réfléchir.

À demain.