#8 – Montpelliérien #008 – Le bağlama, ça c’est makam

Et oui. Voilà qu’il y a un mois j’achetais un bağlama, instrument d’origine turque de la grande famille des saz. J’adore. Parmi ses particularités les plus notables, trois chœurs de deux, deux et trois cordes, ainsi que quelques frettes insérées entre deux de celles qu’on trouverait habituellement sur une guitare, par exemple, et qui permettent de jouer des intervalles de quarts de ton. Je reprends pour ceux·elles qui ne sont pas musiciens·nes mais qui aimeraient quand même comprendre.

  • Les chœurs :

Sur certains instruments, les chœurs désignent des ensembles de cordes, en général très rapprochées les unes des autres, et qui sont accordées entre elles à l’unisson ou à l’octave, c’est-à-dire sur la même note, ou la même note mais l’une plus grave et l’autre plus aigüe. Je vois que c’est pas clair pour certains. Chantez « Do Ré Mi Fa Sol La Si Do » Le premier et le dernier Do sont tous les deux des Do, mais à une octave d’écart. Deux cordes accordées l’une sur le premier, l’autre sur le second Do, sont accordées à l’octave. Si les deux cordes de votre chœur sont accordées sur le premier Do, ou toutes les deux sur le deuxième Do, elles sont accordées à l’unisson. Vous avez maintenant compris la distinction.

  • Les quarts de ton :

Maintenant qu’on a vu ce qu’était une octave ce sera plus simple. Quand vous avez chanté Do Ré Mi Fa Sol La Si Do, vous avez chanté une gamme majeure. C’est-à-dire une sélection de notes parmi celles qui se trouvent entre ces deux Do. Cette sélection donne une certaine couleur aux morceaux qu’on pourrait composer en se servant de ces notes uniquement. Sept notes différentes, la huitième, c’est l’octave. Huit, octa-, octo-… voyez le machin ? Prises ensemble, ces sept notes choisies forment une gamme ou un mode. Mais quelles sont-elles ces notes qui séparent les deux Do et parmi lesquelles on a choisi les sept formant la gamme majeure ? On recommence et on les intègre : Do Do# Ré Ré# Mi Fa Fa# Sol Sol# La La# Si Do (on met des dièses, on aurait pu mettre des bémols, c’est —presque— pareil). Combien vous en comptez maintenant ? Douze ! Et la treizième, c’est l’octave, par rapport à la première. On appelle parfois ces douze notes la gamme chromatique. Elle contient les douze notes que la musique traditionnelle européenne de l’ouest retient comme les subdivisions d’une octave. Pensez musique classique. Chacune de ces notes est séparée de la suivante d’un intervalle d’un demi-ton. Une octave est donc composée de douze demi-tons. Sur une guitare, toutes les frettes (les barres qui délimitent les cases, en neuneu) sont placées de façon à partitionner le manche en intervalles réguliers de demi-tons. Mais qu’est-ce qui nous empêche de diviser encore ces intervalles en deux ? Rien. Ajoutez une frette entre deux déjà présentes sur un manche de guitare, vous avez maintenant accès à un intervalle de quart de ton. Les quarts de ton sont utilisés dans plusieurs genres musicaux dans le monde, notamment dans les musiques arabes, turques et des Balkans. Dans les musiques traditionnelles ou folkloriques arabes et turques, les gammes, ou modes, sont appelés·ées maqâms (arabe), ou makams (turc).

Le bağlama, disposant de quelques frettes bien placées, permet de jouer des intervalles de quarts de ton et donc certains makams qu’une guitare (ou basse, ukulele…) ne nous permettrait pas de jouer.

Voilà. Dites-donc on est partis·es loin. Revenons à Montpellier un instant.

Photo par Gwlad (rue Galavielle)

Il y a dans notre bonne ville aux murs blancs, une petite boutique à la devanture bleue. Le Studio Musical que ça s’appelle. Beaucoup d’instruments, et même des trucs assez originaux. Je vous dirais bien d’y aller, commerce de proximité, pas faire crever le petit magasin du coin, tout ça, mais non. Désolé. C’est pas ce que je vais vous dire. Pas du tout.

N’allez pas dans cette boutique. Vraiment. Regardez dans la vitrine, et allez acheter votre instrument ailleurs. À moins de vouloir acheter de la merde à bas prix et de vous en fiche vraiment de l’attitude du quart de ton qui va vous recevoir dans sa boutique. Là vous pouvez y aller vous ne risquez pas grand chose. Mais si vous voulez avoir une vraie discussion avec le vendeur, prendre le temps d’essayer confortablement les instruments un peu plus chers, vous faire conseiller longuement et sans vous faire pipeauter pour ne pas investir votre argent durement gagné, économisez-vous la déception et la haine qu’un pas chez ce clown ne manquera pas de susciter chez vous, restez sur le trottoir.

Oh, le nombre de fois où, quand j’étais encore musicien débutant, il m’a dit qu’un instrument était neuf… Neuf peut-être mais tombé en magasin alors, ou sans doute utilisé et pigné par lui, ou son groupe de musique irlandaise d’ailleurs bien mauvais. On remarque l’éclat sur le vernis, le pet sur le chevalet, les cordes pas du tout neuves comme promis, une fois rentré·e chez soi. Après tout, un commerçant qui sait vous mentir les yeux dans les yeux, au point que vous lui fassiez confiance en débutant·e que vous êtes, n’est qu’un demi ton. Car ça peut lui rapporter des ronds facile, même si pas longtemps.

La meilleure, c’était il y a un peu plus d’un mois, je me tâtais justement entre bağlama et bouzouki. Je commence à lui poser des questions sur les différences entre bouzouki irlandais et grecs, le mec me répond à peine, je sens que je le fais chier, il me mate comme si j’étais un blaireau qui aurait dû avoir la science infuse, m’apercevoir tout seul des différences après avoir eu les deux instruments cinq minutes en main chacun. Il est pas capable d’expliquer, de décrire. Ou s’il est capable il a pas envie. C’est pas la première fois qu’il me fait ça, en plus des trois, quatre fois où il m’a menti. Ce mec. Ce vrai ton, ce ton total. En huit ans je lui ai acheté un ukulélé, une bombarde, un melodica, une mandoline, une flute traversière, un violon, une basse électrique, un dulcimer, mes cordes et mes médiators. Ce tonnard, ne prend pas cinq minutes pour causer. C’était la dernière fois que passais la porte de sa boutique de merde. Je ne peux que vous recommander d’en faire autant. En discutant un peu de cette boutique en soirées, je me suis rendu compte que bien d’autres ont vécu des situations similaires chez lui. Pour dire, ça ressort même dans les avis Google auxquels, pour une fois, je fais confiance.

Tant pis pour le petit commerce.

Vacherine Blaigière

(Oh, ça va, je vois bien que ça ne marche pas non plus. J’essayais un nom féminin, au cas où ça passerait mieux. Mais non. Définitivement, les pseudo c’est sur-chaud à trouver)

P.S. : Vous aurez remarqué que je n’ai pas mentionné Delfeil de Ton une seule fois aujourd’hui, malgré le contexte opportun. Y avait déjà un jeu de mot dans le titre, ça aurait fait surcharge.