#339 – Vive la mort !

Chaval écrivait : « j’ai la conviction que les morts sont les gagnants. Certaines morts sont douloureuses et longues mais cela vaut la peine.
Je crois au néant, à l’inexistence comme d’autres croient en un dieu.
Essayez de vous suicider, si vous avez la malchance de ne pas vous réussir sur le coup, ces cons de vivants mettront tout en œuvre pour vous refoutre en vie et vous forcer à partager leur merde.
Je sais que dans la vie certains moments paraissent heureux, c’est une question d’humeur comme le désespoir et ni l’un ni l’autre ne reposent sur rien de solide. Tout cela est d’un provisoire dégueulasse. L’instinct de conservation est une saloperie.
On a du mal à imaginer que ceux qui ne sont pas encore au monde ont une existence terrestre. Alors pourquoi ceux qui quittent la vie en auraient-ils une ? Certains vous diront que les nouveaux-nés gueulent parce que l’oxygène brûle leurs poumons. Il me semble plus raisonnable de penser que ces petits cons ont conscience qu’on va les faire chier.
Les signes de l’au-delà, etc., sont certainement des conneries imaginées par les vivants qui ni peuvent pas concevoir que la mort est la seule solution, tout le reste ce sont des jeux de cons, j’en suis sûr.
Aimer la vie me semble aussi stupide que d’être patriote.
Vive la putréfaction, premier degré vers la sagesse, vive la mort.
»

Chaval n’était pas un con. Il devait être un tout petit peu de mauvaise humeur quand il a écrit ça, mais je partage globalement sa vision des choses. Aujourd’hui, moi, je suis de bonne humeur. J’ai bossé moins que prévu, le ciel est bleu, le soleil brille, la ville est vide, je suis en repos toute l’après-midi et demain toute la journée, je suis en pleine santé… De bonne humeur, quoi. Heureux diraient celles et ceux qui aiment les grands mots. Je peux donc me parler de la mort, je peux me faire remarquer l’absurdité de la vie. Tout cela n’atteindra guère mon moral. Tout au plus cela m’aidera à savourer ce jour davantage.

Sticker vu à Ixelles

L’une de mes collègues l’est moins, de bonne humeur. Son tonton, dont elle était proche, est décédé des suites d’une longue maladie. Il agonisait depuis des mois. Alors, je ne lui parlerai pas de la mort, et de comment la vie n’a aucune sorte d’importance. Je dis la vie, je parle de sa vie propre. Pas à elle, à on. Allez pas raconter que je pousse au meurtre. Si vous pensez ça, vous m’avez mal lu. La vie dans son ensemble est difficile, absurde, n’y rajoutons pas plus de peine et de chaos. Je ne lui dirai pas, donc, que c’est tant mieux ou tant pis. Je la consolerai comme je peux. J’acquiescerai avec franchise quand elle me dira qu’au moins il ne souffre plus, je lui confirmerai qu’elle a raison quand elle me dira que la vie continue et qu’elle vaut le coup d’être vécu, avec sans doute un brin de perplexité au fond des yeux.

Il y a des jours pour briser les lieux communs, et des jours pour s’en abstenir. Si je peux souvent me plaire à jouer les iconoclastes, c’est dans l’espoir que les gens qui m’écoutent en soient rendus moins englués dans les réflexes de pensée bidons dont on nous bourre le cerveau depuis la naissance. Qu’ils ressentent cet appel frais des chemins encore inexplorés. Que s’évapore ce sentiment d’enfermement mental qui peut s’abattre sur tout un chacun quand le quotidien se fait trop monotone, répétitif, que les idées se répètent et se fixent. Mais il n’est pas dit que cela rende tout le monde, et dans tous les contextes, moins malheureux. Garder ça en tête, et ouvrir ou n’ouvrir pas sa gueule en conséquence, c’est ce qui fait la différence, par exemple, entre un bon humoriste qui tape là où ça fait mal, avec une bienveillance toute dissimulée mais bien là, et ce qu’on appelle aujourd’hui communément un edgelord.

Hein ? D’où je m’autorise à donner des leçons de sagesse ? Mais de quelle leçon parlez-vous ? C’était un mémo pour moi-même. Allez, à demain.