#413 – Suite et fin ?

Ce blog n’est pas facile à fermer. J’en ai trop dit, j’en ai trop mis.

J’aimerais redevenir tout à fait anonyme. Disperser mes écrits et ma musique sans aucune signature, pas même un pseudo, et si possible en compagnie d’autres anonymes. Mais voilà, tout ce que j’ai déjà publié est ici. Une recherche et chacun pourra s’apercevoir que ce bout de texte, ces quelques pixels agglutinés, et bientôt grâce à l’IA, ce fragment de mélodie, existent déjà là.

Quelle idée ai-je eu quand j’ai décidé de regrouper en un seul lieu quasiment tout ce que j’avais fait sous différents pseudonymes ? Au lieu de semer ça, bien séparé, ou à peine identifiable pour permettre le jeu de piste, sous différentes identités ? Je ne sais pas bien. La volonté d’avoir comme un portfolio dans l’espoir de le faire valoir un jour pour un quelconque projet artistique et justifier ainsi mes années de glandouilles ? Sans doute un peu. Pour l’aspect grand bazar, gros foutoir, aussi. Mon intérieur rêvé a toujours été celui victorien de Sherlock Holmes, surchargé, un bordel sans nom sous une épaisse couche de poussière. Ce qui, étant allergique à la poussière, m’est en réalité interdit. Seule ma prédisposition à la dépression, à la fuite en avant, fait que, parfois, mon appartement s’approche de cet idéal décoratif. Au détriment de ma santé, bien sûr, puisque cela m’oblige dans ces périodes à n’inviter personne et à demeurer, rideaux tirés, plongé dans le noir, afin que personne ne constate la saleté qui règne chez moi.

Mais je m’égare. Pourquoi est-ce difficile de fermer ce blog ? Parce que je sais que quelques personnes l’ont trouvé utile. Ici un article sert de source à une page wikipédia, là une lectrice a trouvé une page sur un auteur obscur et l’a mise en marque-page, ou encore là, tout au fond à gauche, un artiste a trouvé l’outil qu’il lui fallait pour dessiner des polygones étoilés bien réguliers. Qui suis-je donc pour reprendre ce que j’ai donné ? Ça ne serait pas très charitable. Et puis le temps passé à bosser là-dessus, le fameux piège du coût irrécupérable…

Tout cela j’aurais dû y réfléchir avant. Tant pis pour ma gueule.

Où je veux en venir, concrètement ? Vous vous le demandez bien. Voilà :

  1. Malgré ma volonté de disparaître du net, ce site va rester ouvert. Youpi pour vous peut-être. Je vais continuer à payer l’hébergement, tout reste ici.
  2. J’essaierai de mettre à jour tout ce qui risque d’être cassé à l’avenir par les avancées technologiques et les nouvelles normes liées à internet qui ne manqueront pas d’être établies.
  3. Il ne sera plus alimenté, à moins que les quelques bricoles que je fabrique au gré des années s’inscrivent dans une continuité logique de ce qui est déjà là.

Alors voilà, j’ai fait mon deuil. Je ne pourrai plus, à l’avenir, utiliser ce qui est déjà présent ici, et ça me fait bien chier. Mais si un jour, faible que je suis, je succombe à l’envie d’utiliser un élément et que vous retrouvez dans un fanzine ou un CD dans la rue un texte, un morceau, un dessin qui est déjà ici (car n’oubliez pas que ma principale qualité est la fainéantise), s’il vous plaît, faites comme si vous n’aviez rien vu, lu, entendu.

Quelle est cette nouvelle envie qui m’anime ? Cette nouvelle démarche (claudicante) ?

Je mets de côté tout internet, presque, me limitant aux e-mails et à la lecture des informations sur des sites de presse. Je mets également de côté de manière consciente toute tentative de mise en valeur de ma personne par mes petites trucouilleries. M’efforçant par là à ne faire les choses que parce qu’elles me plaisent sur le moment, dans le monde réel en opposition au virtuel, de préférence de manière collective et anonyme, sans attendre absolument aucune réaction ou commentaire insincère par celles et ceux qui les découvriront. J’apprécie moi-même de tomber sur ce genre de choses dans la vie de tous les jours, dans une boîte à livre, dans un café, dans la rue sur les murs.

Internet tel qu’il est aujourd’hui, commercial et faussement social, me paraît être une mauvaise chose pour ma santé mentale et celle de chacun, ainsi que pour nos rapports sociaux dans l’ensemble.

D’autre part, je veux bien qu’un ami me raconte une blague qu’il vient d’imaginer en réagissant à ce qu’il a vu, me parle de sa journée, me raconte ses états d’âme. Je ne veux plus voir/partager un mème de la part/avec des gens que je connais de la même manière qu’on le fait avec des inconnus. Or, sur internet, je trouve qu’on agit aujourd’hui avec ses proches de la même manière qu’avec une foule anonyme et cela me déplaît beaucoup. Je veux donc séparer les canaux. De connaissance à connaissance, ne fonctionnons pas comme d’anonyme à anonyme. Je ne veux plus voir non plus de publicité intrusive et calibrée sur mes désirs inconscients (j’appelle cela de la manipulation et de la recherche d’emprise), ni risquer d’en affliger quelqu’un d’autre sous prétexte que derrière il y avait quelque chose d’intérêt que je voulais partager, ne pas laisser les ogres modernes se nourrir de mes envies de partage. Ne pas être soumis ou soumettre qui que ce soit à cette peur de manquer du « contenu » non plus.

Je ne veux plus de l’uniformisation de la pensée, de l’humour, des indignations à si grande échelle, d’autant qu’elle est orientée par les entreprises commerciales qui règnent aujourd’hui, comme cela était prévu de longue date, sur internet.

Bref, je ne trouve aujourd’hui plus aucun réconfort, aucune motivation, aucun plaisir, dans l’internet tel qu’il est devenu, et même il m’inquiète dans sa propension à nous esseuler tout en nous faisant penser qu’il nous rapproche les uns des autres. Je ressens aujourd’hui le besoin de rapports humains, d’œuvres collectives dans lesquelles le caractère, la vie et les envies de chacun ne sont pas effacés mais où tout ego, tout besoin de se faire valoir, se « vendre », de montrer comme sa vie est plus ceci ou moins cela que celle d’un autre, sont gommés au profit du plaisir esthétique et intellectuel partagé, et du faire ensemble.

Qu’on le veuille ou non, chacun se positionne vis-à-vis des compétitions tacites qui font la valeur qu’on accorde à une personne à une époque donnée. Il me semble qu’il s’agit aujourd’hui, pour ma génération du moins et celles venues après, d’être productif, apprécié et influent. J’aimerais, face à cela, tenter un pas de côté. Participer à proposer d’autres grilles de lecture, sans pour autant revenir à celles passées qui ont également fait souffrir tant de monde.

Cela naît évidemment du croisement de ma personnalité, de mes expériences passées et de l’état d’esprit qui plane sur l’époque actuelle. Je serai bien sûr amené à ajuster tout ça. Il n’y a que la mort dans laquelle tout est figé.

Vous pourrez noter la contradiction entre le fait de ne plus vouloir participer à tout cela et pourtant écrire un message ici, sur moi, sur internet. De contradictions je suis pétris, et je cherche justement à expérimenter des façons de faire qui me sont nouvelles pour tenter d’y voir plus clair. Plus clair dans ce que je suis, ce que je veux, et dans le fonctionnement du monde et des humains. Mais elles ne sont, ces contradictions, peut-être pas aussi fortes qu’elles le semblent au premier abord. Je cherche à démasquer et combattre à la fois les travers de l’époque et mes propres failles. Rien n’est simple là dedans. Pourquoi, par exemple, est-ce que je ressens sans cesse le besoin de me justifier sur le fait que je délaisse un site que personne ne visite vraiment ? (C’est ce que j’imagine, je rappelle que je n’ai aucune statistiques pour que vos données ne filent pas chez des entreprises qui fabriquent tous ces outils de pistage.) Cela fait partie de mes questionnements, des démangeaisons que je cherche à apaiser. Mieux me connaître et par là mieux connaître l’autre.

J’ai dit combattre, plus haut. Le mot est bien fort et ne fait pas partie de mon vocabulaire habituel. C’est que je juge aujourd’hui internet en partie responsable de la dégradation des liens sociaux. Même des amis proches n’ont plus le temps de s’enquérir les uns les autres de leurs vies, de leurs vécus. Quant on va mal, on doit aujourd’hui souvent payer un psychologue, car on ne trouve plus d’oreille dans son cercle proche. Bien sûr, personne ne fait le poids face aux fonctionnements voleurs d’attention d’un tik tok, personne n’a une vie aussi stimulante qu’une série netflix à raconter.

Internet, qui fut un temps le refuge et le forum des introvertis et des marginaux pour qui la vie réelle et ses injonctions étaient par trop angoissantes est aujourd’hui devenu leur prison et leur drogue.

Voyez cela comme ceci : longtemps malade, j’essaie d’apprendre à remarcher sans béquilles. Il va bien sûr me falloir, au hasard des rencontres, trouver des gens géographiquement proches et qui partagent plus ou moins certains de ces points de vus exposés, certains de ces dégoûts, certaines de mes failles, afin de lier des amitiés et que nous redevenions ensemble des humains tels que je les apprécie : doux, humbles, attentionnés et solidaires, et refusant de vivre leur vie par procuration.

J’espère qu’il en reste quelques uns de ce genre qui devant la dureté, l’austérité, la brutalité de la vie, n’ont pas complètement plongés dans les divers paradis artificiels que le monde virtuel propose, ou qui comme moi en reviennent et tentent de se sevrer. Moi qui ai longtemps combattu (décidément…) l’alcoolisme, et qui combat encore fréquemment le tabagisme et le cannabisme vers lesquels je replonge dès que tout redevient trop lourd, je reconnais en internet les mêmes travers destructeurs et les mêmes points d’accroche. J’essaie donc maintenant de combattre le netisme en tant qu’addiction affectant gravement la vie, le bonheur et les rapports sociaux de tous ceux qui y ont sombré. Je suis moi-même très mal armé pour mener ce combat, comme vous le voyez, ça ne sera pas facile. Nul n’est à l’abri de la rechute.

Tout ça est bien en désordre, je m’en excuse. Comprenez-y ce que vous pouvez, prenez-y ce que vous voulez.

Je vous souhaite, à tous et toutes, tout le meilleur. Prenez soin de vous, prenez soin des autres et… à la revoyure ? Nous voyurerons bien.