#253 – Lyonniais #078 – Akèneathlon

Aujourd’hui, je me suis levé un peu tard et il faisait beau. Comme souvent quand je me lève un peu tard et qu’il fait beau, je me suis dit tiens, si j’allais lire le journal en buvant un café quelque part en terrasse. C’est que l’énergie post-vacances revient doucement, mais le moral lui n’est pas encore totalement là. Alors soleil-café-lecture me paraissait être la base d’un bon programme du dimanche.

J’ai filé prendre ma douche sans rien avaler, mais quand j’en suis sorti, le caleçon à peine enfilé, j’ai aperçu par le fenêtre un terrible ciel gris, gris à perte de vue, gris même pas lumineux, gris clair à bien foncé dans les coins. Un coup d’œil sur le site de météo-france m’avisa que le beau temps, c’était pour demain. Pas grave que je me suis dit, déterminé, il faut que je me tienne un peu au courant de ce qui se passe dans le monde, et puis j’ai vraiment envie de cette cigarette trempée dans le café. J’ai transféré les deux derniers numéros du monde diplomatique que je n’ai pas lus sur ma liseuse, et après avoir refermé la porte de l’appartement, je me suis lancé dans les escaliers.

Arrivé au deuxième étage, j’ai commencé à entendre un son étrange et continu. Une sorte de bruit blanc dont l’amplitude augmentait à mesure que les marches défilaient sous mes pieds. Presque arrivé au rez de chaussé, j’avais l’impression qu’on avait allumé un aspirateur de la taille de deux immeubles devant ma porte, ou qu’on y faisait décoller un avion. C’est la pluie ça, que je me suis demandé ? Non, perdu. C’était le vent. La porte d’entrée, à peine ouverte magnétiquement, fut projetée en arrière et moi avec de quelques pas. J’ai dû lutter dans le couloir pour avancer vers la rue, et quand j’ai finalement réussi à mettre un pied sur le trottoir, voilà que cette saloperie de vent s’est jeté sur moi et mis à me torgnoler violemment, me balancer des postillons de nuages dans la gueule et me remplir les narines de poils de boules de platanes.

En levant les yeux pour essayer de mesurer ce qui se passait malgré les fines gouttes, le pollen et toutes les autres merdouilles qui voyageaient à grande vitesse à travers l’air, et semble-t-il spécifiquement en direction de mon visage, j’ai quand même réussi à apercevoir au loin les bouquinistes qui se battaient avec leurs tonnelles, essayaient de les rattraper avant qu’elles ne décapitent un passant ou, pire, un client, puis les démontaient. Vues aussi les serveuses du ninkasi qui courraient (enfin, courraient… avançaient péniblement courbées face au vent), pour plier la terrasse avant qu’elle ne se plie elle-même et s’en aille voir dans le Rhône ou sur la route, au choix, si les voitures et les péniches étaient assurées contre les chutes de tables.

Si j’étais du genre à croire au destin ou a voir des signes là où il n’y a que coïncidences, je ne serais pas sorti. L’univers, me serais-je dit, veut me faire comprendre que ce n’est pas le jour pour reprendre vie. Ou que le café-cigarette est mauvais pour ma santé. Ou encore que la lecture du monde diplomatique ne ferait qu’accroître en moi les sentiments d’angoisse face au futur et de résignation. Qu’est-ce que j’ai fait, alors, hein ? Eh bien je ne suis pas sorti. Mais pas parce que je crois à la destinée. Simplement parce que je n’avais pas envie de me prendre une tuile ou pire sur le coin de la gueule, en plus de me retrouver trempe et couvert de ces saloperies de poils que les platanes balancent en masse dans l’air en ce moment. J’ai donc pris trente secondes pour refermer la porte de l’immeuble contre son gré et je suis remonté chez moi, écouter du Brassens et continuer à déprimer tranquillement comme j’avais commencé à le faire en me levant.

Non, mais vraiment, les poils de boules de platanes, c’est peut-être le pire dans tout ça. Ça se colle dans les narines, dans les cheveux, dans les fringues, ça gratte les yeux, ça fait tousser, ça colle des maux de tête. L’horreur des allergiques et ça dure plus d’un mois. En a-t-on parlé dans le grand débat pour les faire interdire ? Non. Pourtant c’était à ce jour la seule véritable question qu’il y avait à poser. Celle-ci et la question des limitations de vitesse du vent. Bon, eh bien puisque c’est comme ça, je resterai donc toute la journée chez moi à bouder.