#39 – Montpelliérien #039 – Le temps fait tout de même au moins un tout petit peu quelque chose à l’affaire

Ce matin, je me suis presque levé de bonne humeur. Pourtant, la journée d’hier, à part pour deux heures de bénévolat en début d’après-midi, a été complètement vide. Vide d’évènements, vide d’envie quelle qu’elle soit, et donc vide de sens. Une de ces journées où j’erre, non pas à la recherche de ce que je désire, mais plutôt à la recherche de désir tout court. Je n’ai pas pu me rendre au festival de l’Université Paul-Valéry à cause de cette session de bénévolat entre 14h et 16h et puis de toute façon, bon. J’ai voulu aller voir un concert le soir, mais je n’ai pas eu le courage de m’assoir seul à une table dans un bar bondé avec mon jus de tomate, et puis de toute façon, bon. Alors j’ai marché dans la ville de nuit pendant deux heures, seul quand même. D’ailleurs, de la journée, à part heureusement quelques SMS échangés avec Gwlad qui subissait les réactions typiques à la journée des droits des femmes au boulot, je n’ai eu de contact avec personne de proche, pourtant je pense que ça m’aurait fait du bien, j’aurais dû faire péter les textos et les e-mails mais je l’ai pas fait, et puis toute façon, bon. Pour finir, pour la première fois depuis le lancement du blog, je n’ai eu quasiment aucune visite en journée. Les stats me disent que quelques personnes sont finalement venues fouiner vers 22h ou 23h, c’est dommage pour une fois que je parlais de choses qui se passaient le jour même et pas la veille, mais de toute façon, bon.

Pourtant, malgré tout ça, j’ai bien dormi le soir. Je m’en veux un peu de ne plus m’en vouloir de vivre des journées sans goût, au point de ne plus insomnier d’angoisse la nuit venue. Ça n’incite pas à faire changer les choses, de s’en foutre. C’est sans doute que je vieillis. M’angoisser, c’était un signe d’avoir des désirs et de les voir frustrés. De savoir que ces paysages fantasmés c’était pas moi qui les verrai, que ces sentiments tant anticipés c’était pas moi qui les vivrai, que cette nana tant aimée c’était pas sur moi qu’elle se coucherait… Pourquoi est-ce que ça continuerait maintenant que je me suis fait à l’idée qu’il suffit juste d’attendre la seconde d’après jusqu’à ce que tout ça se termine, et que tout se terminera bien assez vite ? Non vous voyez, les soirs à pleurer de déception de soi, c’est réglé. Par contre, je pensais que j’arriverai à trouver avec l’âge, et surtout sans alcool, sans joints et sans tabac une sorte de constance dans l’humeur. Mais non, vraiment ça dépend des jours. Aujourd’hui, comme je vous le disais, je me suis presque levé de bonne humeur, alors que le temps est gris dépression et qu’hier, c’était vraiment pas top. Sans doute est-ce justement le fait d’avoir bien dormi. Parfois ça a du bon de vieillir et d’être assez blasé pour dormir bien malgré une vie insipide au possible.

Photo par Gwlad (rue Levat)

Je vous laisse avec un extrait de La conspiration de Paul Nizan qui me hante depuis que je l’ai lu pour la première fois, me reconnaissant et reconnaissant trop mes insomnies passées à chaque phrase. Si je ne savais pas qu’il parlait de lui-même, je mettrais ma main à débiter en tranches qu’il parlait de moi. Je crois que c’est lui qui a décrit le mieux, mais vraiment dans le détail, au poil de chatte, ces angoisses de la vingtaine :

« Pour que les jeunes gens se tiennent tranquilles, les hommes de quarante ans leur racontent que la jeunesse est le temps des surprises, des découvertes et des grandes rencontres, et toutes leurs histoires sur ce qu’ils feraient s’ils avaient de nouveau vingt ans, leurs jeunes espoirs, leurs jeunes dents, leurs jeunes cheveux, avec leur fameuse expérience de pères, de citoyens et de vaincus. La jeunesse sait mieux qu’elle n’est que le temps de l’ennui, du désordre : pas un soir à vingt ans où l’on ne s’endorme avec cette colère ambiguë qui naît du vertige des occasions manquées. Comme la conscience qu’on a de son existence est encore douteuse et qu’on fait fond sur des aventures capables de vous prouver qu’on vit, les fins de soirées ne sont pas gaies ; on n’est même pas assez fatigué pour connaître le bonheur de s’abîmer dans le sommeil : ce genre de bonheur vient plus tard.

Personne ne pense avec plus de constance à la mort que les jeunes gens, bien qu’ils aient la pudeur de n’en parler que rarement : chaque jour vide leur paraît perdu, la vie ratée. Il vaut mieux ne pas s’aventurer à leur dire que cet impatience est sans raison, qu’ils ont l’âge heureux et qu’ils se préparent à la vie. Ils vous répondent que c’est gai, cette existence de larves en nourrice en attendant d’être de brillants insectes de cinquante ans. Tout pour les ailes futures : nous prenez-vous pour des hyménoptères ? Quelle est cette morale d’insectes ? À trente ans, c’est déjà fini, on s’arrange ; comme on a commencé à s’habituer à la mort et qu’on fait plus rarement qu’à vingt ans le compte des années de reste, avec tout ce travail qu’on a, les rendez-vous, les politesses, les femmes, les familles, l’argent qu’on gagne, il arrive qu’on croit tout à fait à soi-même. La jeunesse a fait son temps, on va rendre de petites visites à cette morte, on la trouve touchante, heureuse, auréolée du pathétique halo des illusions perdues : tout cela est moins dur que de la voir mourir en vain, comme on fait à vingt ans. »

Et vous, sinon, ça va ?