#40 – Montpelliérien #040 – Peut-on boire du jus de tomate et revendiquer sa sympathie pour les scènes underground sans faire des phrases trop ampoulées ?

Hier, car je vais encore vous parler de choses que vous avez ratées, hier, donc, vous avez qu’à sortir un peu aussi, je peux pas tout faire à votre place, hier, on y vient, la soirée a été chargée. Je vais essayer de vous la faire courte et efficace. Oui, oui, vous pouvez me regarder avec votre air moqueur, j’ai assez de recul sur moi-même pour savoir que court et efficace, ce n’est pas mon truc. Écoutez, c’est samedi matin, vous n’allez pas commencer. Ça commence, justement, hier, encore, par un message de Feldo sur l’un des multiples forums privés par lesquels on s’échange des mots doux régulièrement :

« Mercredi je suis allé au Barricade pour voir jouer un gars (nom de scène Ben Johnson) qui parle de sa vie dans une ZAD forestière. Et ben c’est super bon, ça dure que 50 minutes, c’est à prix libre (dans les lieux militants en tt cas). Et je me disais « meeeeeeeeeerde dommage je l’ai su trop tard et puis de tte façon je pouvais pas savoir que ça allait être top). ET BEN POUF, AU LIEU DE RETOURNER A MARSEILLE IL VA REJOUER CA CE SOIR. Ça se passe dans le « RAID » près du tram G∝∴℘∠♠ L∋⌉⊆Δ. Si je ne m’abuse c’est un squat récent, je sais pas exactement où. On devrait me filer une adresse sous peu. Je suis pas sûr d’y retourner, mais j’ai un pote qui y a va pour 19 heures. Éventuellement, si vous y allez avec une plume dans le cul je lui dirai d’aider les gens qui ont une plume dans le cul. »

Il avait raison sur plusieurs points et s’était planté sur d’autres. Le RAID est bien un squat récent puisque ouvert en octobre 2017, le prix était bien libre, et il ne savait bien pas où ça se situait exactement. Par contre c’était à 20h et son pote n’est pas venu, heureusement que je ne m’étais pas mis une plume dans le cul. Le spectacle s’appelait donc La Cucaracha, mélange de tranches de vies en ZAD en mode TDI, de questionnements concernant l’acceptation des autres tels qu’ils sont et de lâcher prise en même temps que de résistance, de chants ibériques, arabes et de danse, ainsi que de quelques chroniques animalières. C’était court, 40 minutes, ça aurait bien pu durer le double que ça ne m’aurait pas dérangé, mais c’était bien comme ça aussi, compact et dense. C’était touchant, rythmé, drôle, questionnant, singulier. Le comédien-auteur se fait appeler Miguel Aziz Ben Johnson, j’espère tellement que c’est son vrai nom mais je n’y crois que d’un œil. Il ne s’économise pas, il joue pour de vrai, il imite parfaitement le serpent sous ayahuasca, le coq revanchard et le luchador sensible. Il fait partie du collectif Xanadou. Y a un trailer du spectacle sur youtube mais il est vraiment nul à en boucher les rainures du parquet à la merde, s’il vous plaît ne le regardez pas.

Il devait y avoir ensuite une diffusion de film sur les violences policières au cours d’une COP 21, 22, ou 23 on a perdu le compte, mais Feldo avait rendez-vous avec une amie très belle mais très je passerai pas dix minutes en sa compagnie alors, ne connaissant personne et étant un peu timide malgré l’accueil plutôt invitant au RAID, je suis parti aussi. Seulement, ne souhaitant pas me joindre aux pérégrinations nocturnes de copain et pas copine, je me suis cherché un concert gratuit. C’est comme ça qu’à 21h30 je me suis retrouvé dans la cave du Bric À Brac pour trois heures de punk. Du vrai. Du gras.

Photo par Koinkoin (rue Montgolfier)

Le premier groupe à passer, c’était Triploï. Quatre mecs : guitare, guitare, guitare basse, voix et une boîte à rythmes zoom à 60€ qui étonnamment sonnait très bien. Bonne programmation par le fondateur du groupe, j’imagine. Le groupe existe depuis sept ans, est de Bédarieux, mais a connu de multiples restructurations avec le temps. Le fondateur, toujours, me disait qu’il était allé chercher des gens qui ne savaient pas faire de musique au départ mais qui avaient l’envie, et que tant pis si des fois ça n’allait pas, il préférait faire les choses comme ça. Je dois dire que j’aime beaucoup cette démarche et j’admire les gens qui s’y tiennent malgré les déconvenues. Pour le coup, là, on voyait qu’ils aimaient ça, le punk, dans sa totalité. Les mecs avaient le look total, crête ou béret, Docs et t-shirt à logo, en plus de l’énergie, qui s’accordait bien à leurs tronches de bons gars à l’attitude pas prétentieuse pour un sou. Que ceux qui me disent que les punks devraient pas faire gaffe à leurs sapes aillent relire l’histoire du mouvement pour se rendre compte d’à quel point ces gens-là ont été coquets Docs coquées en plus de cokés depuis toujours. L’esthétique visuelle et sonore avant tout, le propos n’est que prétexte, quoi qu’on veuille bien en dire. Les propos du groupe justement ? Dénonciation d’une société oppressive, anti-militarisme, anti-cléricalisme, anti-fascisme. Comment que ça sonne ? Vous voyez du punk français ? Ben ça sonne comme ça, gras, avec des chœurs dont on entend moins les notes que le grain des larynx défoncés. C’est pas punk rock, c’est punk, teinté d’hardcore. Ils ont joué leur set en entier et ont refait quatre chansons en rappel. Ce qui était sympa c’est que les morceaux, qui ont tous une sacré pêche, étaient assez reconnaissables les uns des autres pour ne pas qu’on ait l’impression d’entendre toujours le même durant le premier passage, bien que tous dans un même genre, mais pas assez pour qu’on ait l’impression de les avoir déjà entendus pendant le rappel. Et que demander d’autre ? J’exagère un peu, je les ai reconnus, en vrai, les morceaux, ils passaient juste très bien une seconde fois.

Après ce premier concert je suis remonté au bar me prendre un jus de tomate. Je l’ai bu là-haut et vite, méfiant comme tout que je suis du jugement des buveuses·rs de bière et d’anisette. J’ai bien fait, un vieux keupon commençait à me faire des remarques amusées et risquait d’ébruiter ma triste sobriété. Je ne voulais pas risquer que la nana super jolie qui me matait discrétos depuis qu’elle avait mis les pieds dans la salle n’apprenne que j’étais un buveur de softs invétéré. Rassurez-vous, elle ne l’a pas su, elle n’a donc pas arrêté de se rapprocher de moi au cours de la soirée, et je n’ai pas osé l’aborder quoi qu’il en soit parce que je suis timide comme une pucelle bourgeoise élevée au couvent. C’était pas l’envie qui m’en manquait, c’était plutôt que je suis con.

Fix-o-Dante, c’était le deuxième groupe. Un batteur qui frappe comme un sourd sur ses tambours, une bassiste qui avait parfois du mal à suivre mais elle se plantait avec tellement de bonne humeur qu’on s’en foutait, c’est aussi ça l’avantage du punk, et un chanteur guitariste qui jouait au poil, braillait tout aussi bien, composait un punk ‘n’ roll super efficace et qui faisait bouger les têtes. Les thèmes étaient plus personnels et plein d’humour, des dealers jamais à l’heure à sa fille élevée par un autre mec, des hommages à notre grand-père à tous comme il disait, Lemmy, comme aux multiples anonymes qu’en ont trop pris et à qui il manque quelques chicots, annonce-t-il avant d’ôter son dentier pour le porter bien haut sous les spots tout en souriant pour bien appuyer le propos, le refrain c’était descendants des sans dents si j’ai bien pigé. Bref, j’irai les revoir avec plaisir. Le point commun d’avec le groupe précédent à part la base punk des deux styles ? Pas de prise de tête. L’envie de se faire plaisir et la gentillesse enfantine qui émane évidente des musiciens·nes. Comme la musique était vraiment bonne, drôle et entraînante, y a rien à demander de plus. Je suis même pressé de retourner les voir. J’ai moins à dire que sur le premier groupe, oui, pourtant je préférais plutôt celui-ci, mais j’avais l’esprit pris. Oui pripri c’est pas très joli, mais voilà c’est comme ça, j’avais l’esprit pris par cette jolie fille qui, comme je vous l’ai dit, était venue au bout d’une heure et demi de zieutage en douce se coller à cinq centimètres de moi pour danser, et comme depuis le début j’avais fait mine de l’ignorer tout en ne m’éloignant pas pour ne pas qu’elle croit que je la mate et me prenne pour une gros lourdingue, j’étais pris à mon propre piège et ne pouvait plus en sortir, et alors, j’aimerai bien vous y voir vous, à continuer d’apprécier le concert d’une manière analytique tout en vous insultant vous-même copieusement à l’intérieur de votre tête de petit merdeux d’handicapé de la drague de merde.

Bon, ça fait un sacré pavé, c’est assez pour aujourd’hui. Ce soir quand même, quartier les aubes, parc Rimbaud, Maison pour Tous George Sand, playback théâtre à 20h, entrée à prix libre, sur le thème des histoires de voisinage du quartier. Qu’est-ce que c’est que le playback théâtre ? Chaque spectateur arrive avec son histoire sur le thème, les comédiens improviseront là-dessus. Entre théâtre d’impro et éducation populaire s’il faut qu’on vous mette des étiquettes sur tout.

Allez, à demain, bises.