#378 – Au Strof

Avant-hier au Strof, il y avait concert. Hier au Strof, il y avait concert. Ce soir au Strof, il y a concert. Et demain ? J’en sais rien, mais au doigt mouillé je vous répondrais bien : il y aura concert.

Pourtant, le Strof n’est pas une salle de concert. C’est un bar aux chiottes atypiques. Seulement il se trouve qu’à partir de 22h, la playlist n’est plus assurée par une quelconque application mais par des êtres humains ayant fait le curieux choix de vie de monter sur scène, un morceau de bois ou de ferraille entre les saucisses, pour voir si leur manière de faire vibrer l’air déclenche plutôt une marée de déhanchés ou une pluie de légumes pourris. Certains aiment vivre dangereusement, que voulez-vous que je vous dise.

Kike Perdomo Quartet

Avant-hier, jeudi donc, alors que je faisais ma petite balade du soir, me perdant totalement dans les rues du centre-ville comme à mon habitude, j’entends au loin un groupe qui joue. Fort. Et sacrément bien. Alors, à l’oreille, je me dirige vers cette batterie qui tape des rythmes ultra-syncopés, et je finis par tomber sur le Strof. Sur scène, c’est le Kike Perdomo Quartet. Piano, basse, batterie et saxophone. Nom de nom ! Il était tard et je n’ai assisté qu’à la dernière demi-heure du concert, mais c’était laisser bien assez de temps à cette bande de jazzeux sauvages pour qu’elle me prenne par la croupe et me retourne comme une crêpe. Avouons-le, on flippe tous de se retrouver coincés dans un concert de jazz aussi technique que chiant. Tout le contraire ici. C’était technique et jouissif. Les tours de passe passe, les ruptures, les sinuosités, tout au service de l’ambiance et du feeling. Si vous étiez là et que vous ne vous êtes pas surpris à hocher la tête à un moment ou à un autre, c’est que vous avez un problème de cervicales. Contactez un kiné.

J’ai donc pris une petite mousse et me suis posé sur la terrasse avec vue sur le concert, par les fenêtres ouvertes du rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée, c’est là que tout se passe. Les concerts et les cocktails. Il y a l’étage, mais il est aussi ouvert sur le rez-de-chaussée. En vérité, je crois qu’il n’y a que les chiottes qui ne donnent pas sur le concert, mais enfin elles sont déjà bien croquignoles, n’en demandons pas trop. Je dis que j’ai pris une mousse, mais j’en ai vu qui ne prenaient rien. J’en suis venu à me demander comment il était possible qu’on soit là, quasi gratos et tout à fait gratos pour certains, à écouter ce quartet de folie qui aurait sa place dans n’importe quel bon festoche de jazz. C’était tellement bon. Et puis voilà, le concert s’est terminé, j’ai vidé mon verre et j’ai décarré.

Maple Paper

Hier, vendredi, alors que je faisais ma petite balade d’après-midi, je décide de passer devant le Strof, voir si par hasard y aurait pas re-concert. Aucun suspense, je vous l’ai dit en début d’article : y avait. Je décide de revenir plus tard.

22h. C’est Maple Paper qui joue. Trois jeunes gens talentueux. Ils disent faire du rock psyché aux influences progressives et des ambiances chill. Et ils ne mentent pas. Oui. Vous avez tout à fait raison. De même qu’à un concert de jazz abstrus, on peut tout à fait se faire chier à en crever dans un concert étiqueté rock prog psyché. Eh bien pas avec Maple Paper. Les atmosphères s’enchainent, les transitions sont bien senties, bien bossées aussi, il y a plus d’instruments que d’instrumentistes sur scène, ce qui est toujours sympa et permet de varier véritablement les ambiances. De chill à pêchu, tout y passe. Les sons qui sortent de la guitare sont impeccablement sculptés. Je ne sais pas comment font ces gratteux avec leur vingtaine de pédales d’effets pour, premièrement, avoir la patience de trouver LE son qu’il faut et, deuxièmement, réussir à ne pas juste appuyer sur huit des vingt pédales en même temps dans le feu de l’action, le tout sans se prendre les pieds dans leur câble jack, évidemment. En tout cas ce guitariste-ci s’en est très bien sorti. Bon et puis en dehors de ça, les mélodies sont belles, les harmonies de voix aussi. La batteuse chante divinement bien. C’est déjà pas simple de faire les deux séparément, alors en même temps, ça m’impressionnera toujours. N’oublions pas le bassiste-guitariste-clavieriste qui saute d’un instrument à l’autre tout en maniant ces enfers de machines que sont les pédales de boucle.

Puisqu’on cause de ça, je sens bien que je pédale dans la semoule pour vous décrire le concert. C’est que j’ai picolé plus que je ne me l’étais autorisé, quatre pintes de trop à la louche, et ce matin j’ai bien du mal à remettre mes neurones en ordre de travail. Maple Paper fait donc de la musique qui pousse à boire. C’est une bonne excuse pour moi, et une belle occasion de faire fortune pour les patrons d’établissements qui les inviteront à se produire sur leur scène.

Quand le concert s’est terminé, j’ai entendu une bonne partie de mes co-imbibés se demander pourquoi musique déjà finie ? C’est bon signe. Ça vous arrive souvent quand vous vous taisez que les gens soient un peu déçus ? Voyez. Maple Paper a sans doute plus d’avenir que vous.

Est-ce que je viens de décrire un groupe qui pousse à l’alcoolisme et frustre son public ? Si vous préférez voir le verre à moitié vide, ça n’engage que votre côté pervers. Je ne me suis pas privé de faire des retours sans enrobage au groupe après le concert, car je suis un sale con quand j’ai bu. Mais je leur tire vraiment mon… allez, chapeau, j’ai pas la force de trouver mieux, parce qu’ils ont vraiment bien géré les problèmes de sono advenus durant la première partie. Pas de son sur le clavier, ni sur un des trois micros, et une basse sans basses. Eh ben roule ma poule, ils ont continué à jouer et je suis sûr que les gens qui n’avaient pas les yeux rivés sur la scène ne se sont rendus compte de rien.

Heureusement l’ingé son du Strof a réglé tout ça pendant l’entracte, et la seconde partie s’est déroulée sans accroc. Et au Strof, quand le son est bon, le son est bon.

Le Strof

Et donc le Strof. Boissons un peu chères à mon goût, mais bon, les concerts sont gratos et vous pourriez en profiter depuis la rue. Le lieu est convivial, les gens discutent entre eux facilement. Le patron a l’air d’être souvent là, même s’il laisse son équipe gérer. On le sent sincèrement heureux quand on le voit sourire en contemplant son bar et ses clients qui passent un bon moment. On sent qu’il veut en faire un beau lieu de vie, de musique, de fête et d’échanges. Eh ben ça fait plaisir, je vous le dis. On a trouvé là le coin parfait pour passer les soirées d’été qu’on espérait à peine après ces satanées confinettes. Ah, et j’oubliais. Il doit y avoir une quinzaine de jeux d’échecs à disposition !

Vous pouvez donc, selon vos besoins, vous faire paraître bien plus intelligent que vous ne l’êtes en jouant aux échecs pendant un concert de jazz tout en sirotant votre cocktail préféré, ou vous lâcher au son d’un bon rock et renverser toute votre bière sur votre pantalon. C’est vous qui décidez. Remarquez, vous pourriez également vous poser tout simplement au soleil, l’après-midi, quand il n’y a pas de concert, et siroter un thé en bouquinant, personne ne vous l’interdira.

Bref, le Strof est bien parti pour être l’un des lieux les plus agréables et conviviaux de Bruxelles, à mon goût en tout cas. Je suis bien content d’être tombé dessus.

Et d’ailleurs, j’ai rencontré hier les membre du groupe qui doit jouer ce soir, j’y retourne donc dès que je sors du travail. Ce soir, par contre, je reste à l’iced tea. Ça va bien les gueules de bois, mais j’ai plus dix-huit ans. Et puis j’ai pas arrêté de fumer de joints à l’excès pour me vautrer dans la picole aussi tôt. Faut que je me surveille.