#382 – On se foutrait pas un peu de ma gueule, Strof…

Je suis au Strof. Encore ? La dernière fois que j’y étais c’était la semaine dernière. Calmez-vous. J’ai simplement posté aujourd’hui l’article sur le concert d’il y a cinq jours.

Et voilà, on m’a dit que j’exagérais dans mon premier article, et qu’il n’y avait pas des concerts absolument chaque soir dans ce bar. Alors, en rentrant du travail il y a deux heures, je mate viteuf la programmation sur le net, et c’est vrai qu’il n’y a rien de prévu. Mais je me dis : ils vont pas m’avoir comme ça, je vais aller m’assurer de mes propres oreilles qu’il n’y a rien de rien.

22h30, j’arrive au Strof, il y a un concert. Un pianiste de jazz accompagné alternativement d’une chanteuse et d’un chanteur…

Je me sens tellement trompé.

En fait, il y a en ce moment un festival de jazz à Bruxelles. Deux affiches en plus de celle de la progra habituelle du bar sont placardées à la porte avec des dates supplémentaires pour le festoche. Je mate attentivement, histoire de savoir à qui j’ai affaire ce soir sans avoir à demander au patron cette fois-ci. Il n’y a pas la date de ce soir, sur aucune des trois affiches.

Moi, j’abandonne. Je passerai chaque soir où je le peux, en sachant très bien que d’une manière ou d’une autre, il y aura un concert. Désormais personne ne saura me convaincre du contraire.

Et oui, j’écris cette note directement depuis le bar, parce que je sais pas quoi faire d’autre maintenant que le concert est fini et que j’ai un verre devant moi. Non, je n’ai pas d’ami, oui, vous pouvez arrêter de vous moquer.

#381 – Alliance of the Billing, c’est un jeu de mots

Samedi dernier, je suis allé voir Alliance of the Billing au Strof. Une semaine n’étant toujours pas passée depuis, il est encore temps que je vous raconte.

J’avais croisé deux des membres du groupe la veille, au concert de Maple Paper. Ils étaient là pour voir à quoi ressemblait la scène, à quelle sauce ils allaient se faire becqueter. C’est qu’ils ont du matos et qu’ils sont cinq, ça demande un minimum de place. On avait causé un brin et le moment avait été bien agréable, même si comme je vous l’ai raconté j’avais commencé à boire plus que de raison. Me rappelle plus de tout dans les détails, du coup. Ce dont je me souviens, c’est de n’avoir pas pigé le nom du groupe tout de suite.

« Et c’est quoi votre nom ?
« xxx of the Billing
« Pardon ?
« Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots, par rapport à la coalition of the willing.
« Ah oui… Tout à fait.
« Rapport à la politique de désarmement de l’Irak et son invasion par les Américains, sous l’ère Bush.
« Ah mais oui ! »
C’est dans ce genre de moments que je regrette de n’avoir pas été attentif à mes cours de civilisation américaine à la fac, j’avais clairement pas la réf.

Et enfin bref, ils me demandent si je passerai le lendemain voir leur concert, et que oui ! je réponds, avec plaisir.

Le lendemain est un cauchemar. Je me lève avec la gueule de bois après quatre heures d’un mauvais sommeil, je mets quatre autres heures à écrire ma note de blog, je file au travail le bide en vrac, la tête dans le brouillard. Je termine à 20h30. Deux collègues veulent qu’on aille boire un verre. Je sais que le concert ne commencera qu’à 22h et que ce n’est qu’à quinze minutes de là, alors j’accepte de boire un iced tea en mangeant une grande assiette de frites des lendemains de cuite, et à 21h45 je pars en flèche au Strof.

Quand je débarque, le concert n’a pas commencé, comme prévu. Je repère direct Clément, le bassiste de Maple Paper qui est également revenu. Il y a aussi les mecs du groupe qui sont là avec des amis venus les voir. En me voyant débarquer ils s’écrient : « il est venu !! » On sent qu’il y avait du pari dans l’air. Ils m’accueillent chaleureusement, ont l’air d’être sincèrement contents que je me sois pointé et amusés de voir qu’un mec bourré peut tenir parole. Ne savent pas à quel point il s’en fallait de peu que je choisisse d’aller plutôt m’écrouler dans mon pieux, d’autant que le lendemain je devais me lever à 6h du mat pour ouvrir le magasin, puis partir à Soignies dès la matinée de boulot terminée pour fêter l’anniversaire d’une amie. Mais si je dis à quelqu’un que je viens à sa petite kermesse, je viens. Surtout si je le dis quand j’ai picolé. J’aime pas me bourrer la gueule, alors que ce soit une excuse pour ne pas tenir mes engagements, c’est hors de question.

Et donc je suis là. C’est la même serveuse que la veille. Première chose qu’elle me dit en me voyant : « j’ai plus de Stella. » Merde alors, j’aurais vidé le fût à moi tout seul ? Peu probable. Je ris un peu honteusement en lui annonçant que ce soir c’est thé glacé jusqu’au bout de la nuit.

Et le concert alors ? J’en parle du concert ou je vous raconte mon panaris ? J’ai pas de panaris, c’est une façon de causer, mais merci de vous inquiéter. Bon. Le concert commence. Le rez-de-chaussée est plein. Heureusement que Clément, moins dans les choux que moi, a su détecter le moment pile où il nous fallait nous avancer pour avoir notre place au premier rang.

J’entends le premier coup de grosse caisse, poum. L’impression que quelqu’un m’a balancé un coup dans le bide. J’étais pas prêt, le son de la batterie est monstrueux. Le jeu est clair. Le guitares mixées un peu trop bas. J’ai pas de bouchons, contrairement à mon voisin venu bien équipé. Je regrette un peu, mais ça fait aussi parti du plaisir de te prendre un gros son brut direct dans tes petits tympans, à un concert de rock.

D’ailleurs, est-ce du rock ? Il y a un batteur qui tape duraille, deux guitaristes saturistes autant qu’arpègistes, un bassiste qui connait bien son rôle de super glue des sections rythmiques et mélodiques et n’hésite pas à dissoner sévèrement sur certains passages qui l’y invitent, et il y a un claviériste qui crée de l’espace, texture les interstices, et apporte ainsi de la couleur à chaque morceau. L’un des gratteux chante un peu, rarement, ici et là. La voix utilisée comme un instrument occasionnel, j’aime ça. Ici pas de riffs joués bien en chœur, mais des ambiances, des moments qui gonflent et dégonflent, des orages, des éclaircies. Hé, patate, vous allez me dire, ça porte un nom ce genre de musique et c’est pas du rock, c’est du post-rock. Et vous n’aurez pas tort, mais que voulez-vous, je connais mal les frontières musicales. Je suis déjà post-genres, rendez-vous dans le turfu.

Alors, qu’est-ce que ça donne au final ? Un truc un peu sombre. Rêche et planant. Une invitation au voyage dans une variété de friches industrielles s’étendant jusqu’à l’horizon, par temps de ciel rouillâtre, dans la poisseur des brumes de gaz toxiques. Une phrase, deux mots qui n’existent pas. C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant ce concert. Des éléments de vocabulaire et de syntaxe dont je suis familier dans d’autres contextes, mais utilisés d’une manière qui m’est assez inconnue. Je ne crois pas avoir vraiment écouté de post-rock auparavant, et encore moins en concert. Je dis que j’ai écouté le concert, par opposition à aller voir un concert, car oui, j’ai pas mal fermé les yeux. La scène était trop petite, la salle trop exigüe, pour me laisser vraiment apprécier les visions de vastes étendues ravagées par un monde ayant laissé les industries l’avaler et le recracher ensuite. Et, les yeux fermés, j’ai bien voyagé.

Quels éléments de la musique d’Alliance of the Billing m’ont provoqué ces visions ? Les nappes de synthé, les guitares sombres qui font krr krr, les guitares cleans qui sont pure mélancolie, les samples, la voix parfaitement posée véhiculant impuissance, tristesse et un brin de hargne ont certes chacun joué leur rôle. Mais cela venait également du fait que chaque voix, possédant en général sa rythmique propre, contrastait et complétait les autres, formant en se superposant une texture complète et régulière qui évoquait un très curieux mélange d’organique et de mécanique, comme un flux continu constitué d’éléments discrets. Là j’allais évoquer la physique des photons pour compléter l’image, et les fugues de Bach qu’on joue au clavecin, mais sur internet mieux vaut éviter de causer des deux au même endroit, sans quoi vous attirez toutes les psychoses du quartier dans votre section de commentaires.

Eh bon, j’aurais aimé vous parler plus longtemps de la musique d’Alliance of the Billing, mais voilà que je dois partir bosser dans moins d’une heure. Il me faut boucler l’article.

Quand le concert s’est terminé, j’étais vraiment heureux d’avoir été invité au voyage en ces contrées musicales sauvages, inquiétantes et évocatrices de paysages désolés. C’est beau un paysage désolé. En art. Je suis reparti en ayant eu l’impression d’avoir assisté à un mini-festival du court-métrage post-apocalyptique. M’a bien aéré les neurones tout ça. Pas regretté le déplacement.

J’ai redemandé à l’un des musiciens : « Au fait, c’est quoi déjà le nom du groupe ? Rise… of the… Willing ?
« Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots avec coalition of the willing.
« Okay, cette fois je crois que c’est bon, je l’ai. »

Je l’avais pas, j’ai dû rechercher sur internet en rentrant chez moi. Mais après avoir écrit cet article et écouté trois fois leur album enregistré en 2019 sur Spotify, puisqu’il y est disponible, je pense que c’est rentré une fois pour toutes.

Vous aussi, donc, retenez leur nom en le répétant plusieurs fois d’affilée et lentement, et allez les voir quand ils passent près de chez vous avant que le monde entier ne soit devenu une friche industrielle dans laquelle il sera difficile de trouver une salle de concert.

Je vais être en retard au travail, je corrigerai les fautes plus tard.

#378 – Au Strof

Avant-hier au Strof, il y avait concert. Hier au Strof, il y avait concert. Ce soir au Strof, il y a concert. Et demain ? J’en sais rien, mais au doigt mouillé je vous répondrais bien : il y aura concert.

Pourtant, le Strof n’est pas une salle de concert. C’est un bar aux chiottes atypiques. Seulement il se trouve qu’à partir de 22h, la playlist n’est plus assurée par une quelconque application mais par des êtres humains ayant fait le curieux choix de vie de monter sur scène, un morceau de bois ou de ferraille entre les saucisses, pour voir si leur manière de faire vibrer l’air déclenche plutôt une marée de déhanchés ou une pluie de légumes pourris. Certains aiment vivre dangereusement, que voulez-vous que je vous dise.

Kike Perdomo Quartet

Avant-hier, jeudi donc, alors que je faisais ma petite balade du soir, me perdant totalement dans les rues du centre-ville comme à mon habitude, j’entends au loin un groupe qui joue. Fort. Et sacrément bien. Alors, à l’oreille, je me dirige vers cette batterie qui tape des rythmes ultra-syncopés, et je finis par tomber sur le Strof. Sur scène, c’est le Kike Perdomo Quartet. Piano, basse, batterie et saxophone. Nom de nom ! Il était tard et je n’ai assisté qu’à la dernière demi-heure du concert, mais c’était laisser bien assez de temps à cette bande de jazzeux sauvages pour qu’elle me prenne par la croupe et me retourne comme une crêpe. Avouons-le, on flippe tous de se retrouver coincés dans un concert de jazz aussi technique que chiant. Tout le contraire ici. C’était technique et jouissif. Les tours de passe passe, les ruptures, les sinuosités, tout au service de l’ambiance et du feeling. Si vous étiez là et que vous ne vous êtes pas surpris à hocher la tête à un moment ou à un autre, c’est que vous avez un problème de cervicales. Contactez un kiné.

J’ai donc pris une petite mousse et me suis posé sur la terrasse avec vue sur le concert, par les fenêtres ouvertes du rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée, c’est là que tout se passe. Les concerts et les cocktails. Il y a l’étage, mais il est aussi ouvert sur le rez-de-chaussée. En vérité, je crois qu’il n’y a que les chiottes qui ne donnent pas sur le concert, mais enfin elles sont déjà bien croquignoles, n’en demandons pas trop. Je dis que j’ai pris une mousse, mais j’en ai vu qui ne prenaient rien. J’en suis venu à me demander comment il était possible qu’on soit là, quasi gratos et tout à fait gratos pour certains, à écouter ce quartet de folie qui aurait sa place dans n’importe quel bon festoche de jazz. C’était tellement bon. Et puis voilà, le concert s’est terminé, j’ai vidé mon verre et j’ai décarré.

Maple Paper

Hier, vendredi, alors que je faisais ma petite balade d’après-midi, je décide de passer devant le Strof, voir si par hasard y aurait pas re-concert. Aucun suspense, je vous l’ai dit en début d’article : y avait. Je décide de revenir plus tard.

22h. C’est Maple Paper qui joue. Trois jeunes gens talentueux. Ils disent faire du rock psyché aux influences progressives et des ambiances chill. Et ils ne mentent pas. Oui. Vous avez tout à fait raison. De même qu’à un concert de jazz abstrus, on peut tout à fait se faire chier à en crever dans un concert étiqueté rock prog psyché. Eh bien pas avec Maple Paper. Les atmosphères s’enchainent, les transitions sont bien senties, bien bossées aussi, il y a plus d’instruments que d’instrumentistes sur scène, ce qui est toujours sympa et permet de varier véritablement les ambiances. De chill à pêchu, tout y passe. Les sons qui sortent de la guitare sont impeccablement sculptés. Je ne sais pas comment font ces gratteux avec leur vingtaine de pédales d’effets pour, premièrement, avoir la patience de trouver LE son qu’il faut et, deuxièmement, réussir à ne pas juste appuyer sur huit des vingt pédales en même temps dans le feu de l’action, le tout sans se prendre les pieds dans leur câble jack, évidemment. En tout cas ce guitariste-ci s’en est très bien sorti. Bon et puis en dehors de ça, les mélodies sont belles, les harmonies de voix aussi. La batteuse chante divinement bien. C’est déjà pas simple de faire les deux séparément, alors en même temps, ça m’impressionnera toujours. N’oublions pas le bassiste-guitariste-clavieriste qui saute d’un instrument à l’autre tout en maniant ces enfers de machines que sont les pédales de boucle.

Puisqu’on cause de ça, je sens bien que je pédale dans la semoule pour vous décrire le concert. C’est que j’ai picolé plus que je ne me l’étais autorisé, quatre pintes de trop à la louche, et ce matin j’ai bien du mal à remettre mes neurones en ordre de travail. Maple Paper fait donc de la musique qui pousse à boire. C’est une bonne excuse pour moi, et une belle occasion de faire fortune pour les patrons d’établissements qui les inviteront à se produire sur leur scène.

Quand le concert s’est terminé, j’ai entendu une bonne partie de mes co-imbibés se demander pourquoi musique déjà finie ? C’est bon signe. Ça vous arrive souvent quand vous vous taisez que les gens soient un peu déçus ? Voyez. Maple Paper a sans doute plus d’avenir que vous.

Est-ce que je viens de décrire un groupe qui pousse à l’alcoolisme et frustre son public ? Si vous préférez voir le verre à moitié vide, ça n’engage que votre côté pervers. Je ne me suis pas privé de faire des retours sans enrobage au groupe après le concert, car je suis un sale con quand j’ai bu. Mais je leur tire vraiment mon… allez, chapeau, j’ai pas la force de trouver mieux, parce qu’ils ont vraiment bien géré les problèmes de sono advenus durant la première partie. Pas de son sur le clavier, ni sur un des trois micros, et une basse sans basses. Eh ben roule ma poule, ils ont continué à jouer et je suis sûr que les gens qui n’avaient pas les yeux rivés sur la scène ne se sont rendus compte de rien.

Heureusement l’ingé son du Strof a réglé tout ça pendant l’entracte, et la seconde partie s’est déroulée sans accroc. Et au Strof, quand le son est bon, le son est bon.

Le Strof

Et donc le Strof. Boissons un peu chères à mon goût, mais bon, les concerts sont gratos et vous pourriez en profiter depuis la rue. Le lieu est convivial, les gens discutent entre eux facilement. Le patron a l’air d’être souvent là, même s’il laisse son équipe gérer. On le sent sincèrement heureux quand on le voit sourire en contemplant son bar et ses clients qui passent un bon moment. On sent qu’il veut en faire un beau lieu de vie, de musique, de fête et d’échanges. Eh ben ça fait plaisir, je vous le dis. On a trouvé là le coin parfait pour passer les soirées d’été qu’on espérait à peine après ces satanées confinettes. Ah, et j’oubliais. Il doit y avoir une quinzaine de jeux d’échecs à disposition !

Vous pouvez donc, selon vos besoins, vous faire paraître bien plus intelligent que vous ne l’êtes en jouant aux échecs pendant un concert de jazz tout en sirotant votre cocktail préféré, ou vous lâcher au son d’un bon rock et renverser toute votre bière sur votre pantalon. C’est vous qui décidez. Remarquez, vous pourriez également vous poser tout simplement au soleil, l’après-midi, quand il n’y a pas de concert, et siroter un thé en bouquinant, personne ne vous l’interdira.

Bref, le Strof est bien parti pour être l’un des lieux les plus agréables et conviviaux de Bruxelles, à mon goût en tout cas. Je suis bien content d’être tombé dessus.

Et d’ailleurs, j’ai rencontré hier les membre du groupe qui doit jouer ce soir, j’y retourne donc dès que je sors du travail. Ce soir, par contre, je reste à l’iced tea. Ça va bien les gueules de bois, mais j’ai plus dix-huit ans. Et puis j’ai pas arrêté de fumer de joints à l’excès pour me vautrer dans la picole aussi tôt. Faut que je me surveille.