#274 – Monsieur Victor Ardisson

Lorsque Ardisson s’est présenté à moi, il était vêtu d’une blouse blanche, d’une chemise fournie par la prison, d’un pantalon gris. Il était coiffé d’un chapeau gris enfoncé à la manière des maçons et chaussé de gros souliers de campagne.

C’est un homme petit, d’allure massive et paysanne, la tête inclinée à droite. Il sait qu’il est intéressant. En venant vers moi, dans la cour de la prison, il lisse hâtivement sa moustache. En entrant, il salue franchement et sourit. Il a les cheveux blonds, la moustache très blonde, le bas de la figure carré. Il a l’air niais, surtout dans son rire qui ressemble à un hoquet. Dans ma première visite, le Dr Doze, qui a bien voulu m’accompagner, entame la conversation en provençal. Ardisson répond en riant à toutes les questions qu’on lui pose. Il est content qu’on s’occupe de lui, se soumet sans difficulté à l’examen et me répond en français aussi bien qu’il le peut. Il répète qu’il se trouve très heureux en prison, l’écrit même sur ma demande et fume avec plaisir les cigarettes que nous lui offrons.

Il n’y pas un instant de doute à avoir. C’est bien un « minus habens » que j’ai devant moi. Et comme tous ceux qui l’ont jusqu’à présent interrogé, je suis obligé de sourire de cette stupéfiante absence de sens moral, de ce rire saccadé dont il accompagne jusqu’aux plus ignobles détails qu’il me révèle.

A l’inspection un peu détaillée, je remarque que les cheveux sont blond clair, assez fournis, à un seul tourbillon, normalement implantés et à bordure régulière. Le front est moyen, non fuyant, les sourcils épais. Les yeux sont peu fendus, à angle externe relevé, gris avec quelques rares reflets orangés. Le nez est droit, présente à sa racine une ride circonflexe assez rare en anthropologie pour être signalée. Les narines sont moyennes et peu mobiles. La lèvre supérieure est épaisse, proémine, la moustache et la barbe sont d’un blond un peu roux. Le menton est légèrement en retrait, ce qui constitue un certain degré de prognathisme supérieur. Les dents inférieures sont en retrait sur les supérieures de quelques millimètres. Les angles des mâchoires sont très saillants, les pommettes effacées, les zygomes peu accentués. Les oreilles sont moyennes, bien ourlées, sans tubercule de Darwin, à lobule adhérent.

Le crâne est en carène, sans inégalité autre qu’une proéminence de la bosse pariétale gauche. La bosse occipitale n’est point bombée, le crâne est au contraire petit en arrière. L’ensemble est nettement dolichocéphale.

En regardant attentivement la face, on aperçoit une asymétrie peu marquée à première vue mais certaine. A gauche, l’angle de la mandibule est plus saillant, la pommette plus forte, la paupière inférieure plus haute, ce qui fait paraître l’œil plus petit et son angle externe plus relevé que du côté droit. L’oreille gauche est implantée très légèrement plus haut que la droite.

Les plis et rides de la face sont symétriques et réguliers. Ils sont nombreux et égaux dans le rire et le siffler.

La langue est droite, très mobile, un peu tremblante.

Le cou est court, tout à fait normal.

Le buste est épais, le thorax bombé et non velu, mais n’est point en carène. L’épaule gauche est nettement plus haute que l’épaule droite. Il n’y a aucune déviation ni déformation de la colonne vertébrale. L’abdomen est gros.

Le membre supérieur est un peu grêle, mais bien conformé. La main ne présente aucune anomalie. Elle a les plis habituels. Le pouce n’est ni carré, ni en bille. Les ongles n’ont pas de striation. L’ongle de l’auriculaire, surtout à gauche, est très long. C’est par coquetterie. « Ça sert à faire tomber la cendre de la cigarette », me confesse Ardisson. Les bras et surtout les mains sont le siège d’un tremblement généralisé rappelant le tremblement sénile. Il augmente quand on attire l’attention sur lui, ou suivant les jours. Imperceptible parfois, il peut être tel qu’il empêche de tenir les objets. Il n’augmenterait point dans l’excitation sexuelle.

Les jambes sont normales, assez velues, pas très musclées. Les condyles fémoraux internes sont un peu saillants. Le pied n’offre de particulier que des orteils carrés, non déformés et presque égaux en longueur. Le tremblement est très accentué aux jambes, surtout quand le membre inférieur est étendu sans être soutenu. Il existe une véritable danse de la rotule.

J’ai fait ensuite l’examen détaillé des organes des sens.

Yeux. — Réflexe palpébral interne intact. Il y a quelquefois du battement des paupières.

Réflexe conjonctival normal.

Pupilles égales, réagissant très bien à la lumière et à l’accommodation.

Acuité visuelle normale. Ardisson prétend y voir presque aussi bien la nuit que le jour. Cette nyctalopie demanderait à être confirmée.

Le champ visuel est très rétréci, des deux yeux également. Grossièrement mesuré, il m’a donné 25 centimètres environ.

Oreilles. — Jamais d’écoulements, ni de maux d’oreilles. L’acuité auditive est très diminuée, la montre n’étant entendue qu’au contact de l’oreille et n’étant pas entendue au contact du crâne.

Appareil olfactif. — L’odorat est nul. Ardisson ne discerne même pas le poivre à l’odeur. On s’explique ainsi qu’il ait pu vivre à coté d’un cadavre en putréfaction sans répugnance.

Appareil gustatif. — Le goût est également aboli ; il ne permet pas la distinction du salé et du sucré. Ardisson a mangé de la viande pourrie et les choses les plus abjectes, comme le sperme, grâce à cette agustie totale. Il fume sans éprouver du tabac la moindre impression.

Toucher. — Le tact est imparfait, tant à la pulpe des doigts qu’aux lèvres et à l’extrémité de la langue. Il faut piquer fortement pour provoquer de la douleur.

La sensibilité générale est amoindrie d’une façon égale des deux côtés. L’hypoesthésie est surtout marquée au tronc. Il faut un écartement anormal du compas de Weber pour les pointes soient perçues.

Les organes génitaux sont d’apparence très normale, assez petits, bruns, velus. Le prépuce, assez long, recouvre le gland sans le dépasser. Les testicules sont fermes, très sensibles à la pression, le gauche un peu plus bas que le droit. Il n’y a pas de trace de maladie vénérienne.

Les érections ne sont point fréquentes. Il semble qu’en prison le détenu soit calme au point de vue génital. Le réflexe crémastérien existe, plus net à gauche.

La force musculaire est au-dessous de la moyenne. On sait que si Ardisson n’emporta que le cadavre d’une enfant de trois ans, c’est qu’il trouva les autres trop lourds. Les mains surtout ont peu de force pour serrer. Les bras résistent mal quand on cherche à les étendre et à les élever. Les jambes sont bien plus robustes. Ardisson est droitier.

Par le pincement, on provoque sur le biceps une onde musculaire très nette.

Les réflexes musculaires et tendineux sont nuls aux muscles temporaux et masséters ainsi qu’à la face antérieure du bras. La percussion du triceps au-dessus de l’olécrâne détermine une extension assez franche de l’avant-bras. La flexion brusque des doigts par percussion de l’avant-bras est peu accentuée. Le réflexe de Westphal est légèrement exagéré des deux cotés. Celui du tendon d’Achille n’existe pas.

Les réflexes peauciers au cou et à l’abdomen n’existent pas. Le réflexe crémastérien, ai-je dit, est marqué. Le chatouillement de la plante du pied provoque une sensation, mais très peu de mouvement. Au pied droit j’ai cependant, à plusieurs fois, vu cette manœuvre suivie de l’extension du gros orteil et d’un ou deux des orteils suivants.

Les réflexes muqueux ont montré une abolition complète de la sensibilité pharyngée.

Les réflexes circulatoires ne sont pas marqués. Ardisson est pâle et ne rougit point. Il n’y a ni dermographisme, ni troubles vaso-moteurs.

La circulation est du reste en général normale et les bruits du cœur n’offrent rien de particulier.

L’appareil respiratoire n’offre rien à signaler. L’auscultation est difficile.

L’appareil digestif présente comme particularité l’extraordinaire intensité de l’appétit. A la prison Ardisson mange trois gamelles et deux pains, c’est-a-dire le régime de trois détenus ; au régiment, sa voracité nous a été rapportée par le capitaine Lemoine. Le besoin de manger est le primum movens dans la vie d’Ardisson. Je ne reviens que pour mémoire sur la façon hétéroclite dont il se nourrissait.

Les digestions et les selles sont normales.

L’appareil urinaire ne présente rien d’intéressant.

Le système pileux examiné avec soin n’a donné lieu à aucune remarque particulière.

Les stigmates physiques de dégénérescence ont été cherchés infructueusement. J’ai décrit l’asymétrie faciale et le tremblement. La voûte palatine n’est point ogivale, les dents sont au complet, très saines, très régulières, très bien plantées. Les oreilles n’ont que l’adhérence du lobule.

Les stigmates psychiques de dégénérescence sont par contre légion.

La sensibilité est, nous l’avons vu, très amoindrie chez lui.

La volonté ne l’est pas moins. Les impulsions même n’ont pas plus de force que chez un sujet normal, mais c’est le frein qui manque tout à fait, le discernement de ce qui est bien et de ce qui es mal.

La mémoire, sans être complètement défectueuse, n’est pas brillante. Elle se fatigue vite.

Si Ardisson n’a ni cauchemars, ni hallucinations, il rêve à haute voix à ce que disent ses co-détenus.

Enfin, il a quelques absences sur lesquelles je n’ai pu avoir aucun détail.

En somme Ardisson est un débile mental inconscient des actes qu’il accomplit. Il a violé des cadavres parce que, fossoyeur, il lui était facile de se procurer des apparences de femme sous forme de cadavres auxquels il prêtait une sorte d’existence.


Description de Victor Ardisson par Alexis Épaulard, élève de l’ École du Service de santé militaire, dans sa thèse pour obtenir le grade de docteur en médecine : VAMPIRISME : Nécrophilie, Nécrosadisme, Nécrophagie, présentée à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon, et soutenue publiquement le 23 décembre 1901 (disponible sur Gallica).

Le chapitre dédié à Victor Ardisson se trouve pages 20 à 37.


J’ai posté cet extrait ici parce que :

  • Cette description d’une technicité folle m’a tellement emporté qu’en la lisant j’ai oublié les 30 pages d’horreur que je venais de me taper juste avant. J’aimerai franchement posséder ce sens de l’observation à la Sherlock Holmes, j’imagine que ça s’apprend mais j’ai sans doute passé l’âge.
  • Je me suis aussi dit que vous n’alliez pas voir venir la chute tout de suite et je me frottais les mains de vous imaginer presque en empathie avec ce pauvre bonhomme un peu bêta sous le regard froid d’un scientifique jusqu’à ce que vous compreniez que ce malheureux-là a réellement violé, entre autres, le cadavre d’une petite fille de trois ans.
  • Je sais que quand on fait une liste on ne met ni majuscules ni points, vous avez qu’à faire vos propres listes si vous êtes pas jouasses.

Sachez par ailleurs qu’en début d’ouvrage l’auteur dédie sa thèse à ses parents. Ils devaient être contents. Je me demande s’ils l’ont lue. Et si oui, si la fierté l’a emporté sur l’envie de gerber.

#259 – Lyonniais #084 – Le papy de Fourvière

Il ne faut pas teaser. Sur le coup on se dit que c’est une bonne idée, on se trompe toujours. L’envie d’un jour d’aborder un sujet le lendemain s’évapore presque à coup sûr dans la nuit. Mais c’est trop tard, j’ai teasé. Tant pis pour ma gueule. Voici donc l’histoire du papy de Fourvière nous racontant l’histoire de Lyon. Je voulais l’agrémenter de photos liés aux lieux cités, mais je n’en ai pas prises sur le coup, j’ai voulu aller les prendre aujourd’hui, mais je me suis rappelé qu’on était samedi, et un samedi de très beau temps avec ça, donc que l’endroit serait plein à craquer de touristes… Alors voici, une fois de plus, un texte bien sec, sans jolies petites images pour vous délasser les oreilles intérieures de votre voix intérieure. Je les rajouterai dans quelques jours peut-être, les photos.

Nous étions donc, mon amie et moi, accompagnés de mes parents à qui nous faisions visiter la ville. En haut de Fourvière, sur le côté gauche de la basilique, appuyé sur la table-plan de la ville, je devais être en train de dire que là-bas c’était l’hôtel de ville, et là-bas l’opéra, des trucs comme ça quoi, quand un petit bonhomme, casquette vissée sur la tête, lunettes de soleil fixées au nez, très très fine moustache droite à l’ancienne soulignant le rebord de la lèvre supérieure, est venu nous demander : « Vous êtes de Lyon ? »

« Euh… oui depuis pas longtemps et non… » Il s’est alors mis à nous dire qu’il était dommage qu’à Lyon tout soit si mal indiqué, tenez par exemple, regardez droit devant vous, à l’horizon… puis à nous décrire parfaitement les conditions climatiques par lesquelles on pouvait, de la rambarde contre laquelle on était appuyés, apercevoir les alpes, et même le Montblanc. Conditions climatiques aujourd’hui difficile à réunir, notamment à cause des fleuves et des particules fines dans l’atmosphère. Cela dit, nous a-t-il précisé, ce n’était pas pire qu’à l’époque où, les usines étant encore dans le ville, les particules s’échappant des cheminées n’étaient pas fines du tout et plongeaient bien souvent Lyon dans un brouillard Londonien.

Il a enchainé sur la tour métallique, elle aussi à gauche de la basilique. À gauche quand on fait face à la porte principale de celle-ci, hein. Cette tour est une copie du troisième étage de la tour Eiffel, nous a-t-il appris. Elle mesure 85 mètres de haut. Pourquoi ? Parce que, placé où elle est, à 290 mètres au dessus du niveau de la mer, son sommet dépasse ainsi le sommet de la tour Eiffel, la vraie. La plus grosse quéquette, on n’en sort jamais. Il y avait à sa base une brasserie, continua-t-il, mais celle-ci ferma et le tout fut clos au public pendant des années. Pourquoi ? Parce que personne n’y venait. Il n’y avait à l’époque que le funiculaire pour vous y conduire. Les gens n’avaient pas de voiture. Elle fut ensuite rachetée par la télévision et restauré, me ne rouvrit jamais au public.

Ce qui nous a tous frappé, je pense, c’est à quel point les explications s’enchaînaient, sans une seule hésitation, pas un bredouillement, avec précision en ce qui concernait les années et les chiffres, et dans un français impeccable et délicieusement daté. Il nous raconta également pourquoi les Romains avaient choisi Fourvière pour établir Lungdunum et comment lorsqu’ils en descendirent, les kilomètres de canalisations en plomb qu’ils avaient installé pour l’acheminement de l’eau avaient été volés par d’autres Romains. Entre deux commentaires digne des plus grands guides conférenciers, il nous apprit qu’il était arrivé à Lyon en 1951, exilé d’Espagne, qu’il avait 87 ans, et nous montra qu’il pouvait encore lancer sa jambe au dessus du niveau de sa ceinture, ou comment il pouvait d’un coup poser ses fesses sur ses talons et se relever, tout ça sans la moindre peine, sans la moindre raideur. C’était très impressionnant.

Il en profita, comme toute personne âgée, pour faire un petit détour par les jeunes qui ne respectaient plus trop les choses aujourd’hui. Tenez, avant, là il y avait une grande table en pierre et en verre qui a été saccagée. Exemple. Et puis, autre exemple, comment, un jour, ici même, alors qu’il parlait à d’autres touristes (ce qui nous fit comprendre que ce monsieur profitait en fait de sa retraite pour faire gracieusement le guide), des jeunes l’avaient croisé et étaient revenus en courant par derrière pour lui voler sa casquette. Pauvre papy. Il profita de l’anecdote pour en glisser une troisième, vous savez comment sont les papys, et pour relativiser le manque de civisme de notre époque, car s’il avait l’air un peu attristé, il ne semblait pas du genre à condamner toute une génération : à son arrivée à Lyon, dans les années 50 donc, il y avait déjà des pickpockets. Il y en avait même beaucoup. C’était au surlendemain de la guerre, et les gens vivaient majoritairement dans la misère. Mais, nous confia-t-il, à l’époque, quand un pickpocket vous volait votre portefeuille, il y prenait l’argent, d’accord, et les tickets de tabac, celui-ci étant rationné, et allait rendre le portefeuille à la poste. Sympa les voleurs de l’époque.

Tout ce que je vous raconte-là, s’est passé en vingt minutes environ. Et j’en ai oublié plus de la moitié. La cour des Voraces, le grand bâtiment là bas, celui-ci en contrebas, l’autre côté du Rhône, le maire laïc et l’accès à l’église non restauré, l’histoire des aqueducs, le nombre exact de tuyaux en plombs installés et volés par les Romains, et sur combien de kilomètres, et les couverts en plomb aussi. Tout ça toujours avec la même précision dans les nombres, la même assurance dans le propos, la même diction parfaite. Épatant le papy. Moi à 87 ans, je serai mort ou sénile. Sûr.

Je m’aperçois que je ne rends pas assez bien compte de la différence entre ce monsieur d’un certain âge et un vulgaire emmerdeur en mal de conversation qui vous tient la jambe des heures durant sans se rendre compte que vous vous emmerdez mais êtes trop polis pour l’arrêter. C’est qu’il était totalement avec nous. Il ne vomissait pas sa litanie, ne racontait pas dans le vide. Il posait des questions, rebondissait sur nos remarques. Il n’était pas tout seul à dérouler sa science à nos oreilles bouchées. Il était dans la conversation. Par exemple, pendant qu’il nous expliquait la Croix-Rousse et les métiers à tisser Jacquard ainsi que l’histoire des Canuts et pourquoi ils avaient migré du Vieux Lyon à la Croix-Rousse justement parce que les nouveaux métiers à tisser jacquard étaient plus hauts et ne rentraient pas dans les vieilles baraques, il en profita pour nous apprendre qu’à Lyon, on pouvait entendre dire : « arrête ton bistanclaque ! » Bistanclaque, mot onomatopéique qui reproduit le son du métier à tisser des Canuts, le bruit pas tenable quoi, et qui finit par désigner le métier à tisser lui-même. Donc, quand on dit arrête ton bistanclaque, ça veut dire arrête de raconter tes salades, tu me fatigues les oreilles. Explication après laquelle le monsieur ne manqua pas d’ajouter : « un peu comme je suis en train de faire là avec vous », et de rigoler. Vous voyez, c’est à ce genre de petites choses qu’il était agréable de l’écouter. Sa véritable présence. Ses mots pas seulement pour s’entendre parler, mais pour nous instruire véritablement, nous étonner, nous amuser. Il y avait de l’interaction.

Bon, c’est pas tout mais… Ah oui, l’aqueduc, on peut encore en voir une partie du réservoir, qu’il nous dit. Vous voulez que je vous montre ? C’est juste à côté. Oui qu’on a dit. On l’a donc suivi. Pendant une heure, une heure et demie je pense.

Avant d’avancer trop, il nous a montré une sorte de petit kiosque sur le côté de la basilique. Ça, ça servait à vendre les tickets pour les visites du toit de la basilique. On y montait par un petit escalier. Mais ils l’ont fermé aujourd’hui. Pourquoi ? Trop de suicides. L’avant-dernier l’avait particulièrement touché nous avouait-il. Il s’agissait d’une jeune fille d’une vingtaine d’années. Elle vivait dans un tout petit une pièce, tout seule avec son bébé, sur les pentes de la Croix-Rousse, elle était étudiante. Elle avait des soucis avec ses parents, ils avaient fini par ne plus se parler, brouillés. Elle avait très peu de moyens de subsistance, elle ne voyait plus comment s’en sortir, s’est sans doute sentie acculée. Elle a monté les marches, s’est postée sur le rebord du toit, a jeté son bébé en premier qui a atterri dans les branches d’un arbre en contrebas, puis s’est jetée elle-même la tête la première dans le vide. « Vous vous rendez-compte ? qu’il nous disait le papy de Fourvière, il ne jugeait pas, l’état de désespoir dans lequel il faut être pour en arriver là ». Le dernier suicide en date, c’était un jeune homme de trente quatre ans. « Le désespoir… » n’arrêtait-il pas d’évoquer. C’était touchant de voir ce vieil homme avoir tant d’empathie. Lui pétait la forme, mais quand on lui demandait comment il avait fait, il répondait je n’ai pas fais d’excès, mais j’ai surtout eu beaucoup de chance. Il avait assez vécu pour ne pas juger, pour se mettre à la place des autres, pour constater sans doute comme une existence humaine se construit sur des deuils et des douleurs. Merci papy, tu m’as ému.

Et puis il nous a finalement emmené voir le réservoir d’eau de l’aqueduc Romain, que personne ne pourrait trouver seul, et l’arche qui restait de l’aqueduc, l’endroit ou le funiculaire arrivait, d’où le tramway avec remorque à cercueils partait pour aller au cimetière, le chemin du cimetière étant trop dur pour les chevaux. Il nous emmena également voir, depuis une terrasse, les vestiges romains, l’odéon et le grand machin dont je me souviens plus le nom, lui la savait. L’ancienne résidence du désormais tristement et nationalement connu Barbarin, nous dit à peu près où était né l’empereur romain Claude (an 10 avant l’autre tarte), nous montra la première rue de Lungdnum, nous expliqua comment on choisissait la première rue pour bâtir une ville à l’époque, où le maire avait fait mettre une plaque pour expliquer cette histoire et comment la plaque avait été ôtée de là, bien qu’on en voit encore la trace, pour être mise quelques rues plus loin, par hasard juste à côté de l’hôtel quatre étoiles. Il n’oublia pas de plaindre, mais avec tendresse, cette époque dirigée par l’argent à cette occasion. Tout est pour le business. Enfin il nous raccompagna au funiculaire, nous montra comment de la sortie du funiculaire on avait l’impression qu’une des deux tours de la basilique était plus grande que l’autre et de nous préciser que ce n’était qu’un effet d’optique, car la basilique était en fait bâtie légèrement de travers par rapport à la sortie du funiculaire.

Le fait que l’un des mendiants sur le parvis de la basilique le hèle « hé ! papyyy ! », qu’il nous apprennent qu’il le craignait celui-là, qu’il était un peu fou —s’était par exemple mis sans raison à détester un musicien aveugle qui, ayant perdu sa femme à New York, était revenu à Lyon et jouait désormais parfois sur le parvis de la basilique, ce musicien étant son ami à papy—, ce fait-là, donc, finit de nous conforter dans l’idée que le papy de Fourvière squattait souvent les lieux, à la recherche de touristes à qui faire découvrir les environs. Et franchement, tant mieux. C’était une belle rencontre, une belle visite. On avait rien demandé, on s’attendait à rien. Il nous a dispensé le meilleur cours d’histoire sur Lyon que j’ai eu l’occasion de prendre, le plus complet (je vous promets que j’ai oublié de noter ici bien plus des deux tiers de tout ce qu’il nous a raconté, et en détail) depuis le lieu où l’on voit le mieux la ville. Sans rien nous demander en retour. Pour son plaisir, indéniablement, et pour le notre, pour notre curiosité. Il y avait le savoir encyclopédique, mais aussi l’humour, l’analyse critique, et parfois politique (au sens politique municipale du terme), et de l’humain. Le beau, le pas beau, le drôle, le triste. Tout ça était complet. Et après tout, s’il est à la retraite depuis plus de vingt ans, à Lyon depuis presque soixante-dix ans, encore capable de gambader encore comme un jeunot (il marchait plus vite que nous), faire guide gratuit pour des gens avides d’en apprendre plus sur le site alors que, comme il le disait, la moitié des choses intéressantes ne sont pas signalées, c’était une sacrément bonne idée.

Si j’avais été seul, je serai resté la journée entière à crapahuter avec lui dans tout Lyon et à l’écouter me raconter et l’histoire officielle et ses souvenirs. Il a été un peu déçu, ça s’est vu, quand on lui a dit qu’on devait y aller après qu’il nous a proposé de nous emmener au cœur des ruines romaines pour prolonger la visite, mais il n’a pas du tout insisté. Comme je disais, il ne tenait pas à s’imposer. Il proposait. On a fini par prendre le funiculaire tous ensemble et, une fois arrivés dans le Vieux Lyon, prétextant que lui aussi avait des choses à faire, il est parti de son côté après nous avoir indiqué où l’on pourrait manger. On a dû passer presque deux heures en sa compagnie en tout. Il ne nous a pas dit son nom, ne nous a pas demandé le notre. C’était une rencontre comme il devrait s’en faire plus souvent.

Si vous passez à Fourvière, cherchez donc un papy, casquette et lunettes de soleil, fine moustache, et si vous le trouvez, demandez-lui s’il connait un peu les environs. Prévoir une bonne demi-journée.

#52 – Montpelliérien #052 – Excusez-moi, je suis pressé

Salut à toutes, salut à tous ! Je vous l’avais dit, l’article d’aujourd’hui sera court. Pourquoi ? Pour contraster avec celui d’hier, déjà, pour ceux et celles qui ont pris le temps de le lire. Et ensuite parce que je vais devoir partir dans trente minutes et que je ne pourrais pas être de retour avant tard cette nuit. Donc, court. Pressé. Mal écrit. Sans relecture possible.

Si vous êtes vraiment en manque de trucs à lire et que vous avez raté les sept derniers jours, je vous conseille tout de même deux articles en particuliers. Pourquoi ces deux-là ? Parce que c’est ceux dans lesquels je parle des travaux des autres, c’est quand même plus intéressant que quand je vous raconte ma petite vie, et de façon longue, et moi j’aime bien les articles un peu longs. Ces deux articles sont :

Sinon, je peux aussi vous dire que ce soir, à la Friche de Mimi, 42 rue Adam de Craponne, quartier Figuerolles, c’est le retour du playback théâtre par la troupe Magma dont je vous parlais dans l’article (seconde partie) : Oulah ! J’ai failli marcher dans une œuvre d’art. Ce soir, le thème sera « le masculin » et c’est à 20h30. J’ai hâte de voir ce que les gens vont bien pouvoir raconter à ce sujet. Je vous le rappelle, ce n’est pas une pièce construite autour d’un thème, ce sont plein de petites impro par la troupe autour des histoires personnelles des spectateurs.

Et ben, vous voyez, ça fait trois articles au final. Et alors que dire à celles et ceux qui les ont déjà tous lus ? Il me faudrait plus de temps… Ah tiens, voilà, j’y pense, j’ai un petit texte inédit sur ce blog qui pourrait convenir.

Photo par Gwlad (quai du Palladium)

Soixante secondes dans une minute, soixante minutes dans une heure, soixante heures dans une journée. Le monde est bien fait.

Certes, les jours sont un peu longs, l’humain moyen fait trois siestes de sept heures pendant les phases ombragées. Enfin, cela ne change somme toute pas grand chose. Et surtout, soixante, qu’il soit divisé par deux, trois, quatre, cinq ou six donne un nombre entier ! C’est très utile en plus d’être très beau. Ce nombre est parfait.

Toutefois, malgré cette pureté mathématique, des mouvements sociaux ont été entamés. La classe ouvrière se plaint de ne plus arriver à boucler les mois de soixante jours. Les veaux !

En revanche, la longévité moyenne semble s’être allongée par un mystérieux effet collatéral. Cela peut paraître fou, mais le nombre de centenaires a explosé suite à la réforme des siècles de soixante ans.

Voilà, voilà. Je sens que vous êtes soufflé·e. Un si grand talent littéraire qui tient dans un si petit blog, que vous vous dites. Vous exagérez un peu, il n’est pas si petit.