#262 – Le cahier de la mort

Avant-hier, alors que je bénévolais tranquillou pour l’asso dont je vous causais dans cet article, voilà que je suis tombé sur un curieux cahier. J’étais en train de vider les caisses que l’on prépare à l’atelier pour mettre tout le fourbi qu’elles contenaient en rayon. Remplies à craquer d’articles de papeterie, les cagettes-plastique. Feutres à 1€ la trentaine, stylos à 0,50€ pour le même nombre, classeurs, carnets, cahiers à 0,50€ ou 1€ l’unité selon la qualité… Je triais donc tout ça et le déposais dans la bonne étagère, quand, au milieu de ce bordel, un cahier tout noir me chope l’œil.

Ouais, ouais.

« Oh putain ! » que je me dis. Oui, je suis assez aride en vocabulaire sous le coup de la surprise et les grossièretés moralo-sexistes bien franchouillardes m’échappent encore malheureusement assez vite. J’y travaille, mais enfin, c’est des choses incrustées depuis l’enfance. Bon, combien qu’il coûte ? 1€ ? Pas cheros. Je prends, par curiosité.

Pour ceux et celles qui ne connaitraient pas, j’essplique : un Death Note est un cahier d’un genre un peu spécial. Inscrivez le nom d’une personne sur l’une de ses pages type papier-lettre, visualisez bien son visage dans votre petite caboche meurtrière, et la personne clabote d’un arrêt cardiaque dans les 40 secondes qui suivent si vous n’avez pas été assez pervers·e pour spécifier la cause et l’heure du trépas programmé. En gros. C’est tout le concept du manga du même nom (by le mystérieux Ōba Tsugumi au scénar et le fameux Obata Takeshi au dessin). Je vais pas vous décrire tout ça méticuleusement. C’est paru il y a 16 ans déjà, facile à trouver et sans doute à bon prix. Si ça vous intéresse je vous conseille la version manga, c’est assez long et rébarbatif passé le premier quart, mais l’animé est pire et toutes les adaptations filmiques sont absolument mauvaises. Je vous pousse pas à l’achat, les divers wiki de fans consacrés à vous narrent l’intrigue dans le détail.

Enfin bref. Ayant lu ce manga, justement, je ne pouvais pas moi-même ne pas me questionner sur l’utilisation que je ferais d’un tel objet si je mettais un jour la main dessus ? Un vrai, hein. Propriétés magiques et tout le bazar. Sans doute n’oserais-je pas écrire le moindre nom. Un tel pouvoir, ça doit faire gamberger sévère, détruire une vie, la sienne, en plus de celles des malheureuses et ·reux que vous avez pris·es en grippe. Qui tuez-vous ? Hein ? D’un simple coup de bic, à distance, bien planqué·e. Un dictateur sanguinaire ? Et si celui·celle qui le remplace est pire, vous recommencez ? Combien de temps ça va durer ? Peut-on s’arrêter une fois qu’on a commencé ? Serait-ce-t-y pas vous qu’êtes rendu·e sanguinaire autocrate en fin de compte ? Dissertez.

Bon, j’ai de la chance. Ce n’était pas un vrai. Ai-je inscrit un nom et constaté qu’on n’annonçait nulle part sur les réseaux, pourtant prompts à colporter les détails scabreux de l’existence, que ladite personne avait calanché ? Non. Pas si gogo, je suis. Et quand bien même j’aurais été un demeuré total, les différents logos de la série présents à chaque coin de page, les noms déjà inscrits à l’intérieur, ceux que le personnage principal de l’histoire originale est supposé avoir notés, typographiés, m’auraient aiguillé quant à la nature merchand-merdeuse du machin. Machin de bonne facture tout de même, faut l’avouer. Y a des clairefontaine autrement plus minables. Autre détail, et c’est ce qui me fait vous en causer aujourd’hui : j’ai remarqué que les textes, typographiés dans une police imitation écriture manuscrite, n’étaient pas écrits en japonais, mais en chinois.

Ouép, c’est du chinois.

Cherche une explication à ça CanardCanardVa, cherche. Trouve. Voilà qu’en 2005, deux ans après son lancement, un certain engouement pour la série s’est développé en Chine chez les écoliers·lières et collégiens·giennes. La mode prit alors d’avoir chacun·e son Death Note. Pas forcément manufacturé comme celui que j’ai trouvé. À tel point que dans certaines écoles de Shenyang on a fini par interdire l’usage de tout cahier type papier à lettre. Lorsque les enfants avaient fini leurs devoirs, certains s’amusaient paraît-l à inscrire les noms des profs qui leur hérissaient le poil. Enfin, le duvet, à cet âge-là.

Bien malin, un fabricant de jouets et outils s’est mis à en produire et à les distribuer à grande échelle dans les environs de Shenzhen. Le 20 mars 2007, un article de presse rapportait la présence de cahiers de la mort dans les écoles et les chaumières. Le 22 mars, 187 Death Notes avaient été confisqués dans les magasins de jouets et de fournitures scolaires. Le bureau administratif chargé de superviser le marché culturel déclare les Death Notes illégaux et les font interdire à la vente. Prétexte ? Outre les plaintes alarmées des parents qui retrouvent jusque sous les oreillers de leurs enfants de tels cahiers, aucune mention légale ni information quant au fabricant ne sont visibles sur l’objet. Pas un ISBN, pas un code barre, pas une adresse, pas un nom, rien. Illégal donc. Pratique.

Dans les boutiques du coin, on constate que cette mode a fait grimper les ventes de carnets en tous genres comme le mercure sous verre au cul de l’enfiévré·e. Les mômes ont-elles et -ils pris goût à fomenter les pulsions assassines qui sommeillent en chaque être ? Sans doute pas. La plupart n’écrivaient apparemment rien là-dedans, le gardaient comme un objet collector. Se pavanaient avec. Leur donnait l’air cool. L’air aussi de petits moutons facilement manipulables par les marchands sachant marchander sans chiens de berger, mais, ça, ne s’en rendront compte qu’avec le recul, dans quelques années. Sans doute comme moi se posaient-ils la question : qu’est-ce que j’en ferais si c’était un vrai ? Mais c’était pas des vrais. Jeunes, d’accord, mais pas plus abrutis·es que leurs vieux. Moins, peut-être, au vu de la réaction disproportionnée desdits adultes. Les ado arborant aujourd’hui fièrement leur cape attaque des titans seraient-ils prêts à se sacrifier au combat comme en 14-18 pour la défense d’un territoire si la guerre éclatait ? Revêtir la cape aiguise-t-il leurs penchants nationalo-patriotiques ? J’ose espérer que non et je ne le pense franchement pas. D’autant que les capes, pour le combat, c’est clairement pas la bonne idée. Un coup à s’étrangler sans l’aide de personne dans un mouvement de fuite.

La seconde question que je me pose maintenant c’est : mais qu’est-ce que je vais foutre de ça ? Comme si j’avais pas assez de conneries entassées dans ce minuscule 20 m2 qui nous sert de logement à mon amie et moi, et dont nous allons sans doute déménager très bientôt… Troisième question : Lyon compte une forte population sinophone, est-ce que je ne laisserais pas malencontreusement tomber le Death Note, mine de pas m’en apercevoir, devant la première personne de moins de 20 ans causant l’une des treize langues et dialectes de Chine ? Mmm… Honnêtement, je préfère me perdre en rêveries à ce sujet plutôt que de me demander qui j’aimerai bien zigouiller d’un coup de feutre.

Allez, à bientôt.

Ah oui, pardon. Les sources : ici et .


#233 – Lyonniais #059 – C’est pas très ranormal tout ça.

Ne me demandez pas comment, mais il se trouve qu’aujourd’hui, je me suis retrouvé par hasard à lire la page Wikipédia de Jacques Pradel. Dis-donc, les POG, Jacques Pradel, ce serait pas devenu un blog nostalgie ici, que vous vous demandez ? C’est vrai que ces derniers temps, sur le blog comme dans ma vie, je suis tourné vers le passé plus que vers l’avenir. Y a des périodes comme ça. Donc qu’est-ce que je lis sur Jacques Pradel ? Je lis qu’il animait L’Odyssée de l’étrange, émission qu’il avait co-créée avec Marie-Christine Thomas. J’avais oublié. J’apprends que l’émission devait s’appeler Le Troisième œil, mais que ça ne s’est pas fait car une plainte avait été déposée par le producteur de l’émission Mystères, présentée, elle, par Alexandre Baloud. Là, vous vous dites que nous sommes tombés dans les bas-fonds des productions audiovisuelles françaises, et je ne peux pas vous donner tort.

Ces émissions, je les ai matées étant gamin, j’avais entre cinq et huit ans. Ça m’a marqué. Et pas forcément dans le bon sens. Quelques épisodes dont je me souviens en en relisant les titres : La maison qui saigne, Les pommes volantes, Le monstre du Loch Ness, La forêt de Brocéliande, Les hommes sauvages, Le suaire de Turin, Le poltergeist et un que je n’oublierai jamais car il m’a traumatisé pour des années : Le vampire de Highgate. Je n’ai pas revu la plupart depuis mais ils m’avaient fortement impressionnés. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai longtemps été porté par une passion sans borne pour les monstres et l’horreur. En tout cas, il est tout à fait certain que c’est la raison pour laquelle j’ai tiré ma couverture jusqu’au dessus de ma tête tous les soirs jusqu’à mes neufs ans environ, afin qu’aucun vampire ne puisse accéder à mon tendre cou lorsque je dormais. Ce qui, en fait, à cause de la chaleur et du manque d’air, m’empêchait de m’endormir pendant des heures durant lesquelles j’étais submergé par des vagues de paranoïa, imaginant des personnages livides qui sentaient la chair pourrie et munis de longues crocs avançant à pas feutrés dans le couloir qui desservait ma chambre. Bon, d’accord, c’était pas seulement à cause de l’émission, c’était également à cause de mes cousins, bien plus âgés que moi, qui m’avaient fait une très mauvaise blague le soir où l’épisode du vampire de Highgate passait à la télé et que nos parents étaient trop occupés à bouffer et à picoler pour nous surveiller.

Ce que je déplore le plus avec ce genre d’émissions, c’est qu’ils laissent planer le doute quant à la plausibilité des phénomènes paranormaux qu’ils traitent. Le sommet de la mauvaise foi ayant été atteint avec le dossier Roswell. Pour attirer un audimat de crédules, jamais on n’ose dire que tout ça c’est du divertissement. Je m’en foutais pas mal avant, mais c’était avant. Avant quoi ? Avant de bosser dans une crèche et d’entendre de la bouche de certaines collègues que, par exemple, les enfants pouvaient voir des choses que les adultes ne pouvaient pas voir, par exemple encore, des fantômes. Celle qui m’a raconté ça disait également que si tu avais une angine il fallait simplement déposer des demi-citrons aux quatre coins de ta maison et hop, ça passait. Mais pour le coup des fantômes, où l’avait-elle vu ? Pourquoi y croyait-elle si fort ? Parce que c’était passé chez Cauet. C’était des experts qui l’avaient dit chez Cauet, donc c’était vrai. Forcément, puisque c’était à la télé, chez Cauet. Sinon Cauet les aurait pas invité, si c’était pas vrai, tu penses bien. Ben ouais. Un jour elle a voulu faire venir un « magnétiseur » à la crèche sans prévenir la direction, pour qu’il épure un peu les lieux des mauvaises ondes qu’elle pouvait ressentir. Continuons donc à faire du divertissement sur les sujets paranormaux en présentant ça comme une exposition de faits comme les autres, ça ne peut pas faire de mal, hein ?

Les articles Wikipédia sur ces émissions insistent sur le fait que la sauce n’a pas pris en France, contrairement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne qui fournissaient bon nombre d’épisodes à nos programmes copiés sur les leurs. Pfiou. Qu’est-ce qu’on a évité…


#231 – Lyonniais #057 – Peut-On Gagner (sans tricher) ?

Un certain commentateur persévérant remet tous les deux jours le sujet sur le tapis, et mon amie m’a également fait part de son envie de me voir traiter la question. Alors voilà : parlons POG, parlons bien.

Selon votre âge, le terme réactualisera chez vous de nostalgiques images de cour d’école ou ne vous dira absolument rien. De mon côté, le simple fait de lire ces trois lettres fait surgir de ma mémoire sacs bananes et croûtes aux genoux. J’appartiens donc à la première catégorie, celle qui était à l’école primaire quelque part entre 1990 et l’an 2000.

Pour les autres, de quoi parle-t-on ? On cause de petits disques de carton d’environ 5 cm de diamètre. Côté face, un dessin, côté pile, une marque. On peut les collectionner, les échanger, mais on peut également jouer aux POG. Dans ce cas, chacun·e ramène ses POG —de préférence dans un sac banane, comme je vous le disais, dont on aura vidé quelques unes des billes qui s’y trouvaient pour faire un peu de place à ce nouveau passe-temps—, puis on discutaille afin de décider lesquels chacun·e met en jeu : « moi je mets mon POG tête de mort qui brille, donc il vaut beaucoup, donc il faut que toi tu mets au moins deux POG qui brillent pas pour que ça le vale ». Ensuite, on monte une petite colonne en empilant les POG choisis par chaque participant·e, côté face vers le sol. C’est là qu’on sort les kinis. Un kini est un disque de plastique, cette fois, de même diamètre qu’un POG mais plus épais. Chacun·e va se servir de son kini en le balançant à tour de rôle sur la pile de POG. Après chaque lancé, la joueuse ou le joueur récupère les POG qu’il a réussi à faire se retourner côté face en l’air : elle ou il les a gagnés. On refait la pile, et on recommence jusqu’à ce que tous les POG aient trouvé un·e propriétaire.

Pour gagner plus facilement des POG, une technique consistait à ne pas jouer soi-même, mais à faire discrètement le tour des bananes restées ouvertes et sans surveillance par les joueurs et joueuses trop concentrés·es sur leur partie. Seulement il ne fallait pas oublier de se sentir un peu coupable ensuite, et surtout se souvenir de ne pas rejouer ces POG-là, sans quoi on se faisait pincer. Au propre comme au figuré.

Il y a quelques années, plein de nostalgie que j’étais, j’avais acheté sur eBaie une machine à fabriquer des POG ainsi qu’une dizaine de planches officielles de POG vierges. C’était encore l’époque où les blogs BD foisonnaient, et je comptais demander à plusieurs dessinateurs et -trices de réaliser des séries d’une dizaine de POG chacun·e. Les POG auraient ensuite était vendus, et la somme récoltée aurait servie à me rembourser de ces achats ainsi qu’à rémunérer les artistes. POGU, que ça devait s’appeler. U pour Underground. Ç’aurait été un peu noir, un peu adulte, monstres et cul. Évidemment, ce projet, comme tout projet digne de ce nom, a fini au fond d’un tiroir. Je ne saurai même plus me souvenir d’où se trouve ce matériel ou si je ne l’ai pas tout simplement jeté.

Tout à l’heure j’ai parlé des années 90, mais par souci d’exactitude il faudrait préciser que ce jeu existe depuis les années 20 ou 30. Dans les pays anglophones, il est mieux connu sous le nom de Milk caps. Pourquoi ? Parce qu’à la base ces petits disques de carton se trouvaient dans des bouchons de bouteilles. Bouteilles de jus de fruit ou de lait. Tout cela aurait débuté à Hawaii quelques décennies après le début du siècle donc, bien qu’un jeu très similaire existait déjà au japon au XVIIe (men’uchi 面打 ou menko 面子). Le nom qu’on connait par chez nous vient d’ailleurs de la marque de jus très descriptive Passion fruit-Orange-Guava créée en 1955 par une entreprise de Maui. Et s’il y a effectivement eu un regain d’intérêt pour le jeu dans les années 90, c’est sous l’impulsion de deux entreprises marchandes ayant flairé le juteux filon: la World POG Federation et la Canada Games Company (qui fit faillite en 1997 quand la mode s’essouffla).

Il y avait, selon les dires des experts, un avantage au POG original, celui sortant d’une bouteille, qui venait de l’irrégularité des disques de carton, ce qui permettait d’intégrer un peu plus d’aléatoire au jeu. Moi avec le recul j’aurais plutôt dit que c’était de ne pas se faire, une fois de plus, taxer son argent de poche par des commerçants peu scrupuleux qui vous vendaient des bouts de carton à prix d’or par l’intermédiaire du tabac-presse du coin. Mais après on va encore raconter que je vois le mal partout.

D’ailleurs, maintenant que j’y repense, je me demande si Passion fruit-Orange-Guava Underground, ça n’aurait pas été un poil ridicule.

#227 – Lyonniais #053 – La mairie et l’église sans passer par le mariage

Aujourd’hui, je suis allé faire faire ma nouvelle carte d’identité. Nouvelle photo d’identité, toujours la même gueule d’assassin. J’en avais une bien mais elle était trop vieille. C’est toujours pareil, sur ces photos, à force d’essayer de ne pas sourire, on finit par faire carrément la gueule. C’est pas comme si les IA d’aujourd’hui allaient pas te reconnaître parce que tu souris. C’est peut-être simplement pour que quand les flic t’arrêtent ce soit raccord avec la gueule que tu tires sur le moment. J’en sais rien, y a des pays où t’as le droit d’avoir l’air sympathique sur tes papiers, mais pas en France. Parlez-moi toujours d’entretenir un rapport sympathique avec l’administration quand ça commence par là.

Bon, mais ce qui m’a le plus scotché (on dit encore « ça m’a scotché » ?), c’est qu’on n’accepte pas les attestations de la CAF comme justificatifs de domicile. Sans déconner. On préfère vous demander une facture d’abonnement de téléphone mobile, version à télécharger en ligne, que vous pouvez changer en deux clics sans qu’on vous demande aucune preuve, qu’une attestation de l’organisme le plus casse-bonbons (je dis bonbons pour pas dire couilles) qui soit en matière de vérification. Il y a à peine un mois, janvier 2019 donc, je recevais par exemple de leur part un message disant qu’ils n’arrivaient pas à joindre mon propriétaire pour obtenir une quittance de loyer de juillet 2018. Après avoir passé trois mois à leur envoyer touts les baux et les attestations imaginables. Mais ça, non, on n’en veut pas de leur attestation à eux. Par contre, une facture qui ne prouve rien, ça oui. Donc quand on habite depuis peu dans un studio (pas encore d’avis d’imposition à cette adresse) loué meublé et toutes charges comprises, sans internet, on est un peu embêté. Si votre proprio est comme le mien et ne vous fait pas de quittances de loyer, on est encore un peu plus dans l’embarras. Si votre assurance habitation est contractée par votre amie et que votre nom de figure pas dessus, là ça commence à devenir vraiment dur. Votre seul espoir, c’est que la personne avec laquelle vous vivez vous fasse une attestation sur l’honneur comme quoi elle vous héberge depuis plus de trois mois, en gros qu’elle vous héberge chez vous. Vous parlez d’un justificatif de domicile. Petit article-mémo si vous ne vous rappelez plus des documents valables comme justificatifs de domicile.

Sinon, j’ai profité de ce bref passage à la mairie du 2e arrondissement de Lyon (on n’est pas obligé d’aller à la mairie de l’arrondissement dans lequel on réside pour faire faire ses papiers), pour fureter autour de la basilique Saint-Martin D’Ainay. Une basilique, c’est une église ou une cathédrale qui plaît au pape. Le pape se pointe, mate votre édifice et dit : « elle passe bien celle-là ». Et paf, voilà que votre église devient basilique. Attention cela dit, faut quand même pas vous la péter de trop, elle n’est devenue qu’une basilique mineure. Si vous vouliez une basilique majeure, c’est à Rome qu’il fallait la bâtir, et puis de toute façon c’est trop tard, elles sont au nombre de quatre et le petit Jésus a décidé que ça suffisait comme ça. À Lyon, il y en a deux, ce qui veut dire que le pape vient souvent, mais pas autant qu’à Marseille, où il y en a quatre. Les Lyonniais·es sont jaloux·ses. Ils et elles aiment bien le pape par ici, ils et elles voudraient que le pape les aime un peu plus en retour. Moi le pape je m’en fous, je l’ai jamais rencontré.

Alors, qu’est-ce qu’elle a de spécial cette basilique Saint-Martin d’Ainay ? Elle a été construite au XIIe siècle, ce qui est vieux, et dans un style roman, c’est qui est sobre. Et je n’en sais pas plus. Vous avez cru que vous étiez sur un blog tourisme et patrimoine ? Je vous ai dit que j’avais juste tourné autour, z’avez vous y rendre si ça vous intéresse.

J’ai quand même pris deux reliefs en photo. Un où l’on peut voir que le peuple, en danger de mort, trime salement et que le clergé s’en fout :

L’autre ou l’on comprend franchement pas ce qui se passe, à part que deux types soulèvent une teub tellement lourde que chacun doit la tenir par une couille pendant que d’autres font la fête à l’étage.

C’est tout pour aujourd’hui. À demain.

#178 – Lyonniais #005 – Je m’inquiète de peu, mais ça va passer

Je suis inquiet. Pourquoi donc, me demanderez-vous, en cette période faste, et d’harmonie sociale, et de paix mondiale, et de stabilité climatique, et de démocraties florissantes ? Je vois que vous n’avez pas perdu votre humour. C’est bien, nous en aurons sans doute besoin dans les années qui viennent. Bon. Je suis inquiet car je me demande si l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Le cycle des guerres et des armistices est-il donc impossible à arrêter ? Y aura-t-il un décembre 2018 cinquante ans après mai 68 ? Y avait-il un Elon Musk en Atlantide qui avait déjà commercialisé avec succès des voitures électriques et envisagé le voyage sur Mars ? Les Atlantes colportaient-ils-et-elles eux-et-elles-mêmes les rumeurs d’une île engloutie à la technologie hautement avancée alors que tout le monde savait bien que c’était des conneries ? Euheum. Excusez-moi, je me perds en digressions absurdes, mais c’est tellement tentant avec des questions aussi ouvertes et banales que celle-ci. Allez, une petite dernière : combien de fois au cours de l’Histoire a-t-on déclaré que ou s’est-on demandé si l’Histoire n’était qu’un éternel recommencement ? Je ne le sais pas plus que vous. Je peux simplement vous indiquer, et plutôt maladroitement, les quelques éléments qui ont fortuitement contribué à mon inquiétude à ce sujet aujourd’hui.

J’étais tranquillement en train de bouquiner sur un banc de l’université cet après-midi (non, je n’ai pas repris mes études, je suis auditeur libre, mais j’y reviendrai sans doute un autre jour), quand je m’avisai qu’un ou plusieurs hélicoptères nous survolaient. Je me demandai si c’était la Carte au Trésor qui tournait un épisode à Lyon, mais, sans personne de mieux informé alentour, je poursuivis ma lecture sans me poser plus de questions :

« L’histoire offre peu de spectacles aussi poignants que ce retour de violence qui déchira le tissu de la paix impériale. Destin des civilisations tranquilles : elles s’enrichissent de leurs travaux, s’amollissent dans le confort — et deviennent la proie d’envahisseurs étrangers. Les Japonais, du XIIe au XVIIe siècle, surent fort bien s’envahir eux-mêmes et se massacrer insulairement. La violence, longtemps endormie, se réveilla comme une fièvre contagieuse. Dans les provinces, les clans s’armaient. Des brigands venaient hanter les abords de Heian. Les monastères bouddhiques eux-mêmes se constituaient des milices, et d’un temple à l’autre les querelles donnaient lieu maintenant à des batailles rangées. Les moines, rassemblés jadis au sommet du mont Hiei pour protéger de leurs prières la capitale, portaient le tumulte dans ses rues et brandissaient en processions menaçantes des hallebardes et des images saintes. (…)

Ceux qui restaient isolés étaient perdus, il fallait entrer dans la mouvance d’un clan majeur, et renforcer les plus forts pour mériter leur protection. Des coalitions se formèrent, de plus en plus vastes, et ce mouvement d’agrégation fit apparaître, au XIIe siècle, deux ensemble rivaux, de puissance à peu près égale, l’un dirigé par la maison de Taira, nommée aussi Heike — l’autre par celle des Minamoto, ou Genji. Tout se divisait et se polarisait, il fallait être soit blanc, soit noir, comme dans la Florence de Dante. Ce partage, qui sillonnait toute l’épaisseur de la société japonaise, depuis les plus lointaines rizières jusqu’à la cour, rendait la lutte à mort inévitable. (…)

Les fujiwara se flataient d’être les spectateurs d’une guerre d’usure, ils attendaient l’annihilation de la violence par la violence — illusion toujours déçue des neutres. La cour n’avait plus le pouvoir d’arbitrer le conflit, elle n’avait même plus les moyens de défendre sa neutralité. Le jeu des forces rivales la traversa, la ballotta, la déchira. (…)

Les mœurs avaient changé : l’exil ne suffisait plus, ni le cloître. La peine de mort, l’attentat, le suicide étaient de nouveau la sanction dernière des conflits de pouvoir. On n’hésitait plus à faire mourir un moine convaincu de conspiration, à brûler des temples pour l’exemple. Un prisonnier de guerre, on le décapitait. On s’exerçait sur lui au maniement des armes, on vérifiait sur sa chair le tranchant d’une lame. Le droit de survivre à la défaite n’était pas reconnu. Pas de quartier pour celui qui n’avait pas su vaincre, qui vaincu n’avait pas su fuir, qui ne pouvant fuir n’avait pas su se tuer. »

Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon, Éd. Gallimard, 2012.

C’est à peu près à cet endroit du bouquin que je fus tiré de ma lecture par des clameurs venant de l’extérieur. C’était à n’en pas douter les voix mêlées et grognantes d’un bon groupe de manifestants bien de chez nous. Au même moment des hommes de la sécurité passèrent juste devant moi, courant je ne sais où, une entrée sans doute, et gueulant dans leur talkie-walkie : « PUTAIN ! PUTAIN ! FERME !! FERMEEE !!! » Pendant ce temps, les hélicoptères ne cessaient pas de tournoyer là-haut dans le ciel mi-gris, mi-bleu, ça dépendait des moments. Évidemment, je me doutais bien que ce n’était pas grand chose —et ça n’était réellement pas grand chose— aussi je me replongeai dans mon livre, mais bon, vu l’ambiance dans le monde et dans le pays, ma lecture ne sonnait pas exactement de la même manière que si j’avais été vautré sur l’herbe d’un parc entouré d’enfants s’amusant pendant les trente glorieuses. J’eus quelques pistes possibles sur les raisons de cette effervescence juste avant de rentrer dans l’amphi, par les conversations captées vite-fait entre certaines étudiantes : « manifestations… lycéens… écoles… casseurs…. fermetures… contrôles… moi j’aime pas les carottes, sauf crues… moi c’est les épinards… » Rien de bien original quoi. N’empêche qu’hier, même si comme je vous le disais en ce moment je ne suis pas l’actualité, j’avais également eu vent de certains évènement qui m’invitaient à penser que les choses risquaient de devenir un peu plus sérieuses qu’elles ne l’avaient été au cours de ces dix dernières années en matière de conflits sociaux.

En cours, nous avons enchaîné sur l’histoire de Tokyo, de la fin du shogunat à nos jours, et il me fut fort navrant (je sais pas pourquoi j’emploie ce registre, alors posez pas la question) de voir dans un même pays une jeunesse nourrie au nationalisme puis quelques années plus tard une autre au pacifisme et comme les deux recettes avaient été aussi aisées l’une que l’autre à composer par le gouvernement et à accepter par le peuple. La différence étant que l’une avait produit une nation prodigieuse économiquement parlant, tandis que l’autre avait conduit à, choisissons au hasard parmi ses prouesses, 20 millions de morts en Chine et Pearl Harbor. Les images de la montée du nationalisme m’évoquaient évidemment aussi tous les discours qu’on peut entendre à nouveau murmurés de-ci de-là en Europe et aux États-Unis ces derniers temps. Ah, mais le plus rageant et inquiétant à la fois, c’était de voir comme l’être humain se satisfait de décennies de massacres de masse aussi bien que de longs siècles de raffinement toujours plus poussé dans les interactions sociales et dans les arts, ou bien de la recherche perpétuelle de justice comme de l’arbitraire le plus éhonté. Si seulement au Japon on avait sauté l’étape sanguinaire pour passer directement au premier pays dont la constitution interdit à jamais à son peuple de se munir d’une armée (à jamais, c’est ce qui est écrit, aujourd’hui il y a tout de même des débats à propos de…), ça aurait été… euh… ben, vachement plus sympa. Après la guerre, d’une génération à l’autre, les jeunes n’ont même pas bronché quand leurs professeurs ont changé de méthodes pédagogiques et de morale, ils ont mangé la bonne purée d’idéal de paix mondiale qu’on leur donnait et, surprise, ils n’ont pas été malades ! Même, je crois que ça leur a donné le goût de. C’est dommage qu’on n’ait pas commencé par ça tout de suite, parce que pour ceux qui y ont goûté jeune le gout du sang à l’air difficile à oublier. 

Nous avons également revu brièvement quelques images du mai 68 japonais que nous avions déjà étudié auparavant un peu plus en détail. Les images nous sont familières. On dirait la France, à voir l’équivalent des C.R.S. Japonais déloger à coups de canons à eau les étudiants en colère de leur université occupée depuis un an. Sauf que ! si chez nous l’histoire nous apprend que les étudiants gauchistes (et ce n’est pas un sale mot dans ma bouche) qui naguère rêvaient d’un monde plus humain et s’unissaient aux travailleurs (rêvant, eux, d’un travail moins con, moins dur et surtout plus justement rémunéré et organisé) pour caillasser la flicaille à la solde du pouvoir en place sont devenus les fervents défenseurs du libéralisme antisocial d’aujourd’hui, au Japon elle nous a montré que les mouvements de gauche peuvent, aussi bien qu’une droite conservatrice, produire de bons assassins, comme ceux de l’Armée Rouge Japonaise ; ces gens qui n’hésitaient pas à détourner des avions, tirer dans la masse pour faire entendre leurs idées, et qui finissaient même par s’éliminer entre eux, par paranoïa ou pour d’infimes divergences entre les doctrines de leurs différentes factions.

Pour être tout à fait honnête, peut-être que ce qui m’a également rendu un poil nerveux, c’est de m’être enfilé quatre cafés en deux heures, alors que d’habitude je n’en bois pas, le tout en compilant les horreurs de l’humanité sur ce petit bout de terre entouré des eaux. Mais bon, même sans café, temps de paix et temps de guerre semblent tout de même inlassablement se succéder jusqu’à aujourd’hui.

Alors, l’Histoire, un éternel recommencement ? Ai-je raison de m’inquiéter un peu, moi qui n’ai jamais été porté au déclinisme ou à l’apocalyptisme (doit y avoir un vrai terme pour ça, mais là je l’ai pas) ? Les humains sont-ils condamnés à s’entretuer, se sacrifier, à intervalles réguliers pour des conflits d’idéaux dont les enjeux seront incompréhensibles ou simplement jugés ridicules à leurs propres yeux dix, vingt, cinquante, cent ans plus tard ? J’ose espérer que non. D’ailleurs, pour ne pas laisser croire que Monsieur Pinguet se montre injuste envers l’humanité dans son bouquin, je terminerai cette note par un autre extrait :

« S’il existait une nature humaine, nous pourrions nous contenter d’en demander raison aux sciences de l’homme. Psychologie et sociologie nous livreraient une essence peut-être variée et complexe mais immuable du suicide — comme de la famille, de l’art, du châtiment, du travail, de la folie, du pouvoir, ou de toute structure cardinale de l’être homme. Ce serait le cas si l’homme était séparable du temps — vieux rêve que l’idéalisme métaphysique poursuivit et que la science voulut reprendre. Mais comment fixer, au nom de la loi divine, au nom des lois de la nature, des limites que l’homme ne voudrait pas dépasser ? Nous pouvons décrire et comprendre, mais définir et déterminer, non. À la question : qu’est-ce que l’homme ? — nous ne pouvons que répondre : demandez-le à son histoire, car l’homme est à lui-même une énigme éparse dans le temps. Il n’est que la somme dispersée de ses possibilités, de tout ce dont il se rendit, se rend et se rendra capable. Ce qu’il est n’est que ce qu’il peut être, et ce qu’il peut être c’est à la réalité historique future ou déjà accomplie de nous le dire — en le recueil de sa mémoire, en la fermeté de sa décision et de son espoir. L’unité de l’homme n’est pas menacée par la liberté qu’il prend de s’inventer puisque toute pratique inscrite dans l’histoire se laisse  comprendre et se révèle, à l’examen, dotée de sa logique propre, peu à peu intelligible à travers, nous dit Nietzsche, « tout le long texte hiéroglyphique, laborieux à déchiffrer, du passé de la morale humaine ». »

Allez, à demain.

#177 – Lyonniais #004 – Ces rues de Lyon qui changent de nom et de genre

Aujourd’hui, après nous être levés à six heures du matin mon amie et moi, je suis allé marcher un peu. Six heures !! vous vous dites. Et oui. Nous sommes à la fois la France qui se lève tôt et les assistés au RSA. Certains ou certaines pourraient y voir un paradoxe, maiz-ilz-et-zelles se tromperaient. C’est que nous sommes de vraies raclures, le vice dans le sang je vous dis : si on se lève si tôt, c’est pour pouvoir profiter au maximum de nos journées à ne rien branler. Les heures qu’on passe à dormir, c’est de la bonne oisiveté perdue. Confiture aux cochons. Allons, allons ! Calmez-vous ! Reposez ce stylo Sarko 2012 et rangez ce pins du medef… je vais tout vous expliquer, vous n’allez quand même pas risquer la taule pour ça, non ? Tout ça c’est des blagues, vous vous en doutiez bien. Mon amie devait parcourir des kilomètres pour effectuer en stage dans le but de travailler un jour *tousse-traîtresse à la cause-tousse-tousse*, et moi je me suis simplement levé par solidarité. Bon, où j’en étais ? Ah oui, je suis sorti marcher. Comme souvent. J’adore marcher. Et depuis que j’habite ici, j’ai souvent tendance à partir du côté du Vieux Lyon. Pour ça je traverse le pont de la Guillotière, puis tout droit par Bellecour —sans jamais y jeter un œil, il paraît que c’est le kilomètre 0 de Lyon, mais pas que ! c’est également le degré 0 de l’esthétique. Remarquez, avec un nom pareil on ne peut que décevoir—, et enfin y a plus qu’à se farcir le pont Bonaparte à l’entrée duquel (côté Quai des Célestins) on peut parfois écouter et regarder un bonhomme jouer de l’orgue de barbarie.

Je marchais, donc, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir vous raconter sur ce blog parce que je ne peux pas vous faire le coup de la panne d’inspiration chaque jour, quand je tombai sur une rue qui venait d’être renommée. Le coup de bol quoi !

Sur le coup, je me dis : chouette ! Je vais essayer d’en trouver d’autres, et quand j’en aurais pas mal, je ferai un article sur les nouvelles vieilles rues du Vieux Lyon. Rien qu’à le lire, vous voyez bien que c’est une bonne idée. Bon, mais au final ce n’est pas ce que j’ai fait. Je me suis aussi dit : c’est vrai qu’il y a beaucoup d’églises ici et qu’on m’avait prévenu que c’était le fief des cathos, alors peut-être qu’au fond ce n’est pas si mal de commencer à lentement déreligieusiser (je sais) les lieux publics en donnant le nom d’un écrivain à l’ancienne rue des Prêtres. Notez que je n’ai rien contre les religions, mais bon, puisque c’est souvent sujet à tensions, si on peut trouver autre chose… Seulement comme je viens de m’apercevoir du fait que le titre de cet écrivain était Monseigneur, je me demande si ma remarque était bien pertinente.

Enfin, bon, et puis j’avance d’une, deux centaines de mètres, pas plus, et là ! sur quoi est-ce que je tombe ? Une nouvelle rue renommée. Et oui. L’univers avait entendu ma demande, le cosmos m’avait répondu, il me tapait sur l’épaule et me disait : t’es pas tout seul mon vieux, t’es pas tout seul…

Bon, okay, ça ne fait pas aussi officiel. Ou alors la mairie est vraiment dans la merde financièrement. Mais non, vu le quartier, c’est pas possible. Il s’agit donc sans doute d’une démarche féministe. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet dans ses moindres détails, car d’autres l’ont fait bien mieux je ne le pourrais, mais ils s’agit de rendre les femmes un peu plus visibles dans notre société, dans nos espaces publics. Ce genre d’actions a déjà été mené à Lyon en 2014, puis à Paris en 2015 et à Montpellier en 2016 (qui d’ailleurs semble avoir convaincu la municipalité) par l’association Osez le féminisme ! L’un de ces articles nous informe aussi du fait que dans notre beau pays où « égalité » s’étale en lettres capitales sur le fronton de nos mairies, 2% seulement des noms de rues sont celles de femmes retenues par l’Histoire. Aux dernières nouvelles, les femmes constituent 49,6% de la population mondiale. Vous voyez où on veut en venir à peu près du coup ?

Les pas jouasses qu’auraient du beurre à la place de la culture et qui l’étaleraient donc en conformité au bon mot dont je ne me souviens plus mais qui est très connu en clamant que si on retient plus souvent les grands hommes de l’Histoire que les grandes femmes, c’est parce qu’elles sont moins nombreuses devraient y réfléchir à plusieurs fois avant d’ouvrir leur claque-merde. C’est justement cette erreur de raisonnement que ces actions démontent en montrant qu’on pourrait aisément rendre un hommage à une femme illustre pour chaque rue, place ou MJC, ou stade ou quoi ou qu’est-ce, que compte une ville. Et même, on pourrait faire le pari que pour chaque rue, on pourrait même rendre hommage à deux femmes.

Mais ménageons les angoissés d’un non-respect de la parité inversé dans un avenir proche : il n’a jamais été question au cours de ces démarches de faire disparaître les noms masculins de petites plaques bleues ou blanches (ou vertes… je ne sais pas s’il y a d’autres couleurs encore. Y a-t-il une norme des plaques de noms de rues ? C’est à chercher). Bien qu’à La Ville-aux-Dames, près de Tours, ce soit le cas (bel article à ce sujet) et que personne ne trouve à s’en plaindre. À Perpignan par contre, loin des 100% de noms de femmes, nous sommes à 1%.

Espérons donc que ces petites plaques choquent moins les quelques angoissés du grand remplacement du masculin par le féminin qu’elles ne rappelleront à tout le monde qu’on oublie encore trop souvent les femmes qui par le passé ont contribué à faire de notre présent ce qu’il est, et qu’il est temps de corriger la mauvaise manie des chroniqueurs et queuses de l’Histoire de n’accorder qu’au masculin les honneurs posthumes. Temps également de casser la triste habitude d’envisager l’Histoire uniquement comme l’histoire des gouvernements, des armées et des religions —domaines majoritairement conçus comme chasse gardée des hommes— et non celle des folklores, des arts populaires, des actions sociales et solidaires spontanées, des sciences et de la recherche sur le terrain, de l’enseignement et de l’éducation avec les moyens du bord, bref, l’histoire de toutes celles et ceux qui, plus ou moins anonymement, ont simplement vécu. Femmes comme hommes, sans distinction.

Aung San Suu Kyi, hein ? Ouais, bon, les rebaptiseuses et/ou rebaptiseurs auraient pu trouver un peu moins dictatorial comme exemple, mais après tout, il y en a sans doute aussi, inscrits sur des plaques, des noms de bonhommes qui ont chié sur l’humanité de leur vivant pour ne favoriser qu’une petite partie bien délimitée de celle-ci. À Montpellier, Georges Frêche, qui lui même n’était pas un saint, nous à bien gratifié d’une place du XXe Siècle où les statues de Nelson Mandela et de Gandhi côtoient celles de Lénine et de Mao Zedong… Et lui ne s’est pas contenté d’inscrire leurs noms sur une feuille à carreaux à ses propres frais. Non. Il a fait sculpter dix statues en bronze avec du bon argent bien public. D’ailleurs, cette place du XXe Siècle, on l’appelle aussi place des Grands Hommes, sans doute pour la bonne raison qu’une fois de plus une seule femme pour neufs hommes est représentée, et il s’agit de Golda Meir. Alors bon, Aung San Suu Kyi ? Ça n’aurait pas été mon choix, mais pourquoi pas. La Birmanie, je n’en sais vraiment pas grand chose, et au premier coup d’œil il m’est difficile de comprendre quel rôle joue réellement cette personne dans sa région du monde.

Au passage, ces plaques de rues artisanales me touchent d’autant plus que les personnes les ayant posées n’ont pas attendu une journée internationale des droits des femmes, ou un quelconque rassemblement (à ce que je sache), et n’avaient visiblement pas de grands moyens. Elles l’ont juste fait avec ce qu’elles avaient sous la main. Peut-être même que cette personne était seule. Bravo, donc. J’applaudis des deux mains (quelle expression à la con), et j’espère que vous en faites de même derrière votre petit écran d’ordinateur.

Je repense à la plaque d’Aung San Suu Kyi et je me dis que, de toute façon, le principe de l’égalité homme-femme-autre, c’est bien aussi que chacun·e ait le droit d’être aussi con·ne, aussi méchant·e, aussi arrogant·e, aussi opportuniste, aussi manipulatrice·teur, que son voisin ou sa voisine. Bien sûr qu’on souhaiterait que toute cette tolérance enclenche une sorte de cercle vertueux, mais bon… Enfin, chacun·e devrait également avoir le droit d’être aussi bisounoursiste que sa voisine ou son voisin, non ? Quoi qu’il en soit, en vérité, moi, grands hommes ou grandes femmes et honneurs posthumes hein, dans l’absolu, j’en ai rien à carrer. Les gens de pouvoir, les personnes qui veulent influencer les masses, marquer l’histoire… ils et elles me sont suspects, de base. Après, faut voir au cas par cas… Non, sans déconner, ça me travaille beaucoup trop cette plaque Aung San Suu Kyi. Faut que j’arrête d’y penser. Vous n’êtes pour l’instant pas très nombreux·ses à lire ce blog (peut-être parce qu’on n’en est qu’au quatrième billet et que j’ai laissé tomber l’écriture quatre mois entre le précédent blog et celui-ci) mais si ça invoque une envie pressante de vous exprimer, n’hésitez pas à vous soulager dans la section des commentaires, c’est fait pour ça.

Anecdote à la con pour conclure ce billet bien fourni : il y a quelques années, je voulais écrire un scénario de B.D. ou de court-métrage dans lequel il aurait été révélé que le ras-de-marée d’émissions de télé-réalité complètement pourries sous lequel nous avons été englouties·s ces quinze dernières années était en réalité non pas la conséquence d’une volonté conjointe des chaînes de télévisions et des annonceurs publicitaires de faire un max de pognon, mais bien une tentative des municipalités et des constructeurs de faire émerger de nouvelles célébrités le plus rapidement possible afin de pouvoir nommer les centaines de milliers de rues et d’immeubles nouvellement créés chaque année, l’Histoire ne suffisant plus à en fournir en quantité nécessaire au rythme où bâtissent nos sociétés modernes. Hélas, ce scénario est rendu caduque par le fait que désormais nous constatons toutes et tous que si l’on venait à manquer de noms, il suffirait de commencer à choisir du côté de l’humanité né avec une paire d’ovaires —aujourd’hui, et au dernières estimations, cette part de représenterait environ 3,7 milliards d’individus, ça devrait amplement suffire même si on s’interdisait de taper dans les personnes décédées—, et cette constatation, qui fait voler en éclat mon petit scénario, nous la devons aux féministes. Décidément, elles sont toujours là pour faire chier celles-là.

 Allez, à demain. La bise.