On est dimanche, et le dimanche Gwlad met sa tombe à jour. Son blog pardon. Blog sur lequel vous pouvez aller admirer les tombes du monde, les monstres de musée, les écorchés, les animaux morts envitrinés ou pas, les ciels pluvieux, les fruits pourris et les fleurs fanées.
Évidemment je m’amuse à vous lister tout ce qui fait fuir le commun des mortels dans les travaux de Gwlad, mais je vous promets que ça vaut le coup d’œil. Si je voulais être très précis, je devrais dire que sur la partie blog du site vous pourrez surtout admirer des plages, des campagnes, du béton sur lequel la nature a repris ses droits, et toute sorte d’endroits insolites ou investis par l’art. Vous n’aurez même pas à aller sur Wikipédia pour en savoir plus, puisque en véritable guide touristique notre photo reporter assortit les images d’une petite plaquette présentatoire. En français et en anglais ! Oui, m’sieurs-dames.
Sur la partie photo du site, vous pourrez voir le penchant plus ouvertement artistique de notre amie.
Gwlad, elle a ce truc de l’image depuis toujours. Enfin depuis 17 ans que je la connais au moins. Une espèce d’énorme intuition esthétique qui me souffle. Elle aime les lumières et les couleurs dans la nuit, les vitres et les reflets, les superpositions de plans transparents. Quelque chose me dit qu’à 7 ans elle avait déjà internalisé Wong Kar-wai et tout le cinéma américain et asiatique des années 70 à 90. Surtout ceux dans lesquels il pleut et c’est la nuit. Maintenant elle se trimballe avec son appareil photo et elle prend des clichés inédits de lieux et d’ambiances qui existent depuis toujours dans les rêves. C’est un peu comme ça que je le ressens. Ses photos me replongent très souvent dans des sensations proches de ce que je pouvais ressentir des éclairages et de l’obscurité quand j’étais enfant. Ces sensations étaient très fortes à l’époque, elles se sont estompées avec les années, mais elles sont souvent ravivées par l’art. Dont les photos de Gwlad.
Tout ça c’est mon ressenti perso, bien sûr. Je suis certain que vous trouverez des aspects différents de son œuvre qui vous toucheront car son travail est plus diversifié que je ne le laisse entendre dans un si court article. Allez donc voir ça par vous-même.
Ah oui, je disais que le dimanche Gwlad mettait son blog à jour, c’est du moins ce qu’elle a dit qu’elle ferait. N’hésitez pas à aller lui mettre un coup de pression, il est déjà quinze heures et toujours rien. C’est pas sérieux tout ça.
Depuis que j’ai acheté une anthologie de ses textes, Poésies (1923-1988) chez Gallimard, il ne se passe pas deux semaines sans que j’aille en lire quelques pages, sans que je sois ébloui par son humour autant que par son style. Avez-vous déjà ressenti ça ? Lisant quelques pages d’un auteur, vous vous rendez immédiatement compte qu’il s’agit d’un lointain cousin que personne dans la famille ne vous avait présenté ? Les veaux. Parce que c’est ce que je ressens dès que je lis Norge. C’est le cousin inconnu, et celui qui a réussi, avec ça. Pas la réussite qui écrase tous ceux qui viennent après lui, non, la réussite qui inspire. Celle qui montre aux petits jeunes qu’ils peuvent faire quelque chose de beau et de pas prétentieux, avec un peu d’encre et du papier.
Norge est mort, mais trop récemment. Je ne peux pas, légalement, vous partager ses œuvres ici. Pas encore tombées dans le domaine public. Ce n’est qu’à l’âge de nonante-deux ans, en 1990, qu’il a claboté. Il aurait pu se presser un peu, car si aujourd’hui ses ayants droits ne font pas un tapage à la Hergé, et que ses textes ne circulent pas librement, j’ai bien peur que d’ici cinquante ans il soit oublié de tous. Dans mon entourage direct, il ne se trouve pas une seule personne de moins de trente ans qui connaisse son nom ni le moindre de ses poèmes. Ça me rend triste.
Alors voilà. Je vais faire une petite entorse à la légalité. Une seule. Il y a quelques mois, j’ai enregistré l’un de ses textes sur une petite piste instrumentale de mon cru dont je ne savais que faire. C’était en décembre je crois. Entre un moment où je me trouvais très mal et une période où je n’allais pas me sentir bien du tout. Durant cette éclaircie de quelques jours, m’étant remis à la musique, je cherchais ce que je pourrais bien raconter dans mon micro nouvellement acquis. J’ai ouvert mon recueil de poèmes de Norge, et le premier texte sur lequel j’ai posé les yeux était : On sonne. Je me souviens avoir fait ça en quelques minutes, avoir trouvé que l’ambiance convenait bien à ce texte, qui est l’un de mes préférés d’ailleurs, et m’être dit que je le retravaillerai plus tard avant de l’oublier au fond d’un tiroir.
Je ne le retravaillerai pas. Je n’ai rien mixé, il n’y a aucun travail du son effectué sur la voix, j’ai enregistré et c’est resté tel quel, brut, depuis six mois. C’est trop tard maintenant. Je ne me sens pas la force de revisiter tout ça. Je viens de le réécouter une fois. De la voix à la guitare, tout me fait grincer des dents. Je me contenterai donc de déposer cette chose ici et de ne plus jamais la réécouter. Ce qui compte, c’est que ce sont les mots de Norge. Ça vous donnera peut-être envie de lire davantage de ce qu’a écrit ce monsieur. Si ce n’est pas le cas, dites-vous que c’est ce montage audio qui n’y fait pas honneur, et lisez-le quand même.
Ah oui, dernière chose. Qu’on m’excuse d’avoir ajouté un s à chiens-et-chat, je ne m’en suis rendu compte qu’après avoir enregistré, je recommence pas tout pour un s. Fainéant un jour… Qu’on m’excuse également, à moi comme à tous les gens originaires du sud de la France, de ne faire absolument aucune distinction entre les différents sons « o ». Nous ne les entendons tout simplement pas. Jusqu’à ce que nous rencontrions un Parisien, en général c’est un Parisien, qui nous le fasse remarquer en se moquant bien, nous n’avons pas conscience que cette diversité de « o » existe. Ensuite on est au courant, mais on n’entend toujours pas la différence. Je sais que ça choque l’oreille de beaucoup de francophones. Soyez donc gentils, et concentrez-vous sur mes autres défauts de diction.
Voici donc :
ON SONNE
Cher univers, tu m’étonnes. Tu dis blanc, mais tu dis noir. Excuse-moi, car on sonne. Oui, j’y cours, oui, j’y vais voir.
Me revoici, que disais-je ? Ah oui : je comprends bien mal Ton feu froid, ta chaude neige Et tes trois règnes en al.
Pardon, mais l’on sonne encore. Une seconde ! J’arrive. (Elle insiste, la pécore.) Attends-moi, tiens prends ce livre.
Ouf ! tu répondais, je crois Que l’habitant de la lune… Je parlais de croix, de croix ; Ah oui, tu parlais de prune.
Je ripostais cependant… Tonnerre, encor la sonnette ! Je disais : le mal aux dents… Non, je disais : l’alouette…
Ces escaliers me tueront. Tu réponds : ta voie lactée, Tes soleils et tes nuitées, Que tout ça tourne assez rond.
Bien, bon, c’est joli à voir, Mais pour nous, c’est du spectacle Si tu crois nous émouvoir, Nous renâclons, je renâcle !
Je te parle chien et chat, Je te parle messieurs-dames, Vie et mort, amour, crachat, Je te parle corps et âme.
Tudieu, la sonnette encore. Qui sonne ? La mer, l’azur, Les siècles, Nise, un centaure ? Mais on sonne, c’est bien sûr.
On sonne, on sonne, on re-sonne. Univers, excuse-moi. Tu disais : chaud, je dis : froid ! J’ouvre et je ne vois personne.
Samedi dernier, je suis allé voir Alliance of the Billing au Strof. Une semaine n’étant toujours pas passée depuis, il est encore temps que je vous raconte.
J’avais croisé deux des membres du groupe la veille, au concert de Maple Paper. Ils étaient là pour voir à quoi ressemblait la scène, à quelle sauce ils allaient se faire becqueter. C’est qu’ils ont du matos et qu’ils sont cinq, ça demande un minimum de place. On avait causé un brin et le moment avait été bien agréable, même si comme je vous l’ai raconté j’avais commencé à boire plus que de raison. Me rappelle plus de tout dans les détails, du coup. Ce dont je me souviens, c’est de n’avoir pas pigé le nom du groupe tout de suite.
« Et c’est quoi votre nom ? « xxx of the Billing « Pardon ? « Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots, par rapport à la coalition of the willing. « Ah oui… Tout à fait. « Rapport à la politique de désarmement de l’Irak et son invasion par les Américains, sous l’ère Bush. « Ah mais oui ! » C’est dans ce genre de moments que je regrette de n’avoir pas été attentif à mes cours de civilisation américaine à la fac, j’avais clairement pas la réf.
Et enfin bref, ils me demandent si je passerai le lendemain voir leur concert, et que oui ! je réponds, avec plaisir.
Le lendemain est un cauchemar. Je me lève avec la gueule de bois après quatre heures d’un mauvais sommeil, je mets quatre autres heures à écrire ma note de blog, je file au travail le bide en vrac, la tête dans le brouillard. Je termine à 20h30. Deux collègues veulent qu’on aille boire un verre. Je sais que le concert ne commencera qu’à 22h et que ce n’est qu’à quinze minutes de là, alors j’accepte de boire un iced tea en mangeant une grande assiette de frites des lendemains de cuite, et à 21h45 je pars en flèche au Strof.
Quand je débarque, le concert n’a pas commencé, comme prévu. Je repère direct Clément, le bassiste de Maple Paper qui est également revenu. Il y a aussi les mecs du groupe qui sont là avec des amis venus les voir. En me voyant débarquer ils s’écrient : « il est venu !! » On sent qu’il y avait du pari dans l’air. Ils m’accueillent chaleureusement, ont l’air d’être sincèrement contents que je me sois pointé et amusés de voir qu’un mec bourré peut tenir parole. Ne savent pas à quel point il s’en fallait de peu que je choisisse d’aller plutôt m’écrouler dans mon pieux, d’autant que le lendemain je devais me lever à 6h du mat pour ouvrir le magasin, puis partir à Soignies dès la matinée de boulot terminée pour fêter l’anniversaire d’une amie. Mais si je dis à quelqu’un que je viens à sa petite kermesse, je viens. Surtout si je le dis quand j’ai picolé. J’aime pas me bourrer la gueule, alors que ce soit une excuse pour ne pas tenir mes engagements, c’est hors de question.
Et donc je suis là. C’est la même serveuse que la veille. Première chose qu’elle me dit en me voyant : « j’ai plus de Stella. » Merde alors, j’aurais vidé le fût à moi tout seul ? Peu probable. Je ris un peu honteusement en lui annonçant que ce soir c’est thé glacé jusqu’au bout de la nuit.
Et le concert alors ? J’en parle du concert ou je vous raconte mon panaris ? J’ai pas de panaris, c’est une façon de causer, mais merci de vous inquiéter. Bon. Le concert commence. Le rez-de-chaussée est plein. Heureusement que Clément, moins dans les choux que moi, a su détecter le moment pile où il nous fallait nous avancer pour avoir notre place au premier rang.
J’entends le premier coup de grosse caisse, poum. L’impression que quelqu’un m’a balancé un coup dans le bide. J’étais pas prêt, le son de la batterie est monstrueux. Le jeu est clair. Le guitares mixées un peu trop bas. J’ai pas de bouchons, contrairement à mon voisin venu bien équipé. Je regrette un peu, mais ça fait aussi parti du plaisir de te prendre un gros son brut direct dans tes petits tympans, à un concert de rock.
D’ailleurs, est-ce du rock ? Il y a un batteur qui tape duraille, deux guitaristes saturistes autant qu’arpègistes, un bassiste qui connait bien son rôle de super glue des sections rythmiques et mélodiques et n’hésite pas à dissoner sévèrement sur certains passages qui l’y invitent, et il y a un claviériste qui crée de l’espace, texture les interstices, et apporte ainsi de la couleur à chaque morceau. L’un des gratteux chante un peu, rarement, ici et là. La voix utilisée comme un instrument occasionnel, j’aime ça. Ici pas de riffs joués bien en chœur, mais des ambiances, des moments qui gonflent et dégonflent, des orages, des éclaircies. Hé, patate, vous allez me dire, ça porte un nom ce genre de musique et c’est pas du rock, c’est du post-rock. Et vous n’aurez pas tort, mais que voulez-vous, je connais mal les frontières musicales. Je suis déjà post-genres, rendez-vous dans le turfu.
Alors, qu’est-ce que ça donne au final ? Un truc un peu sombre. Rêche et planant. Une invitation au voyage dans une variété de friches industrielles s’étendant jusqu’à l’horizon, par temps de ciel rouillâtre, dans la poisseur des brumes de gaz toxiques. Une phrase, deux mots qui n’existent pas. C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant ce concert. Des éléments de vocabulaire et de syntaxe dont je suis familier dans d’autres contextes, mais utilisés d’une manière qui m’est assez inconnue. Je ne crois pas avoir vraiment écouté de post-rock auparavant, et encore moins en concert. Je dis que j’ai écouté le concert, par opposition à aller voir un concert, car oui, j’ai pas mal fermé les yeux. La scène était trop petite, la salle trop exigüe, pour me laisser vraiment apprécier les visions de vastes étendues ravagées par un monde ayant laissé les industries l’avaler et le recracher ensuite. Et, les yeux fermés, j’ai bien voyagé.
Quels éléments de la musique d’Alliance of the Billing m’ont provoqué ces visions ? Les nappes de synthé, les guitares sombres qui font krr krr, les guitares cleans qui sont pure mélancolie, les samples, la voix parfaitement posée véhiculant impuissance, tristesse et un brin de hargne ont certes chacun joué leur rôle. Mais cela venait également du fait que chaque voix, possédant en général sa rythmique propre, contrastait et complétait les autres, formant en se superposant une texture complète et régulière qui évoquait un très curieux mélange d’organique et de mécanique, comme un flux continu constitué d’éléments discrets. Là j’allais évoquer la physique des photons pour compléter l’image, et les fugues de Bach qu’on joue au clavecin, mais sur internet mieux vaut éviter de causer des deux au même endroit, sans quoi vous attirez toutes les psychoses du quartier dans votre section de commentaires.
Eh bon, j’aurais aimé vous parler plus longtemps de la musique d’Alliance of the Billing, mais voilà que je dois partir bosser dans moins d’une heure. Il me faut boucler l’article.
Quand le concert s’est terminé, j’étais vraiment heureux d’avoir été invité au voyage en ces contrées musicales sauvages, inquiétantes et évocatrices de paysages désolés. C’est beau un paysage désolé. En art. Je suis reparti en ayant eu l’impression d’avoir assisté à un mini-festival du court-métrage post-apocalyptique. M’a bien aéré les neurones tout ça. Pas regretté le déplacement.
J’ai redemandé à l’un des musiciens : « Au fait, c’est quoi déjà le nom du groupe ? Rise… of the… Willing ? « Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots avec coalition of the willing. « Okay, cette fois je crois que c’est bon, je l’ai. »
Je l’avais pas, j’ai dû rechercher sur internet en rentrant chez moi. Mais après avoir écrit cet article et écouté trois fois leur album enregistré en 2019 sur Spotify, puisqu’il y est disponible, je pense que c’est rentré une fois pour toutes.
Vous aussi, donc, retenez leur nom en le répétant plusieurs fois d’affilée et lentement, et allez les voir quand ils passent près de chez vous avant que le monde entier ne soit devenu une friche industrielle dans laquelle il sera difficile de trouver une salle de concert.
Je vais être en retard au travail, je corrigerai les fautes plus tard.
Ce matin, j’ai été témoin de deux drames. L’un financier, l’autre végétal.
Comme souvent quand je travaille les après-midis, je décide d’aller prendre un café en terrasse sur les coups de 9h. Cette fois-ci, ce sera au Supra Bailli. C’est comme ça, je suis mon instinct, il ne me trompe que 90% du temps.
Le Supra. Dernier bastion de convivialité et de comme-à-la-maison dans un quartier de costumes bleus cravates. Placé le long des rails du tramway, ce bar est sur une avenue très fréquentée. On y voit toutes les populations mélangées. Mais décalez-vous de trois rues, et une personne sur deux portera sur le dos des fringues et des bijoux dont la valeur équivaut à mon salaire mensuel. Je gagne pas énorme avec mon mi-temps, mais quand même. Ça vous donne un ordre d’idée.
Et voilà justement que je dois dépasser le bar de trois rues avant d’y poser mes fesses. Me faut retirer un peu de liquide. Le distributeur est dans le hall de la banque. On fait la queue. C’est long alors qu’il n’y a deux personnes devant moi. La dame occupant l’unique distributeur retire sa carte en soufflant. Remet sa carte. La retire au bout de deux autres minutes. La remet. On commencerait bien à s’impatienter mais, si je dois être honnête, il est 9h30 et jusqu’à ce que j’embauche à 15h mes seuls objectifs sont : écrire cet article et boire un café. Alors on patiente poliment, et on observe.
La dame au distributeur demande à celle qui suit dans la file : « où est-ce qu’on choisit les billets ? » Cette dernière essaie de la guider de loin, sans trop s’approcher du distributeur, qu’on aille pas croire qu’elle tente de lui chourave un ou deux biftons au passage. À deux, elles arrivent à trouver l’écran correspondant.
« Et, les billets de 100€, ils sont où ? s’enquit la première. « Ah, on dirait qu’il n’y en a pas, il n’y a que des 50, répond la seconde. « Mais, je vais pas retirer des billets de 50 ! »
Pauvre dame. Enfin, pauvre… façon de causer. Consternée, elle laisse passer celle qui l’aidait, et s’en va trouver un employé de la banque.
Le mec se pointe, essaie de minimiser : « Mais enfin madame, retirez des billets de 50. « Mais, j’ai pris rendez-vous, vous saviez que j’allais venir. « Oui, j’ai commandé votre argent ce matin. Les sous vous sont réservés dans l’appareil mais je ne sais pas vous garantir les coupures de 100 madame. « Mais, ce n’est pas possible. Alors je reviens demain ? « Il n’y aura pas d’autres billets demain madame. « Est-ce que je sais les retirer d’un autre endroit alors ? « Non madame, la réservation ne marche que pour trois jours et seulement dans cette agence. « Mais à quoi est-ce que ça sert qu’on prenne rendez-vous ? « Je vous ai réservé l’argent ce matin madame. « Mais, j’ai pris le rendez-vous il y a une semaine ! Ça fait une semaine que vous savez que je vais venir à 9h30. Qu’est-ce qu’on fait alors ? « Madame, je suis sûr que vous avez autre chose à faire de votre journée. Vous pouvez retirer des billets de cinquante ou laisser. « Mais ! Je ne vais pas retirer 4000€ en billets de 50 !! »
(non je n’ai plus aucune idée de comment on formate un dialogue, maintenant chut, ne me déconcentrez pas)
La dame me laisse passer et continue d’essayer de trouver une solution avec un banquier qui de toute évidence trouve, comme je le trouvais au départ, que madame exagère. Au final, je suis d’accord avec la dame. Elle a pris rendez-vous il y a une semaine pour une heure précise et un montant précis, et tout ce qu’on lui propose c’est de retirer ses 4000 euros au distributeur automatique en coupures de 50. La moindre des choses aurait été de la prévenir de prendre une valise.
Comme quoi, même quand ils ont du pognon, les banques n’en ont plus rien à foutre de leurs clients. Ce n’est plus là que se fait l’argent.
Et voilà pour le premier drame.
Je retire enfin mes 20 euros, et direction le Supra. J’y commande un croissant et un café, m’installe à la terrasse sur une petite table, à l’ombre du seul arbre. Une gorgée, une bouchée, et je dégaine ma tablette. Le temps d’allumer le clavier et d’activer le bluetooth : CRRACKK. Quelque chose tombe de l’arbre en plein dans la tasse. Sous le coup du plouf, le café gicle. La moitié du contenu de ma tasse se retrouve projetée sur la table, sur la tablette, sur le clavier, sur mon jean… bref, sur tout ce qui se trouvait dans un rayon de 50 cm.
J’ai un geste de recul immédiat, et mini moment de panique. Est-ce que ce qui vient de tomber dans ma tasse est vivant ? Oui et non. C’est un bourgeon, à l’apparence d’une grenade à fragmentation, qui vient d’exploser mon petit déjeuner. Je me trouve là complètement con, avec du café partout.
Je ramène ma tasse au bar, du café plein la coupe. Je regarde la serveuse de mon plus triste regard de caneton égaré, et tout ce que je trouve à lui dire sur le moment c’est : « je viens de me faire sauvagement agresser par le printemps. »
Je vois qu’elle ne comprend pas. Je lui montre la tasse en lui expliquant plus précisément qu’un bourgeon vient de tomber dans ma tasse. Elle pense sans doute que j’exagère, jusqu’à ce que j’extirpe un bourgeon de la taille de mon pouce de ce qu’il reste de café.
Comme vous le voyez, ma vie est passionnante dès le matin.
Bonus.
Hier, je suis retourné aux Halles Saint-Géry. Personne ne m’avait dit qu’il y avait bien longtemps qu’elles ne servaient plus de Halles. Au lieu de cela, c’est un espace très sympa, avec un bar aux prix raisonnables pour le cœur historique de la ville, des sièges confortables, de la végétation, plusieurs expositions temporaires et une exposition, semble-t-il permanente, sur l’histoire du lieu.
Il y a également un piano à disposition, et il se trouve qu’au moment de mon passage, un jeune et excellent pianiste en avait pris le contrôle. Il jouait un peu tous les classiques que les gens lui demandaient. De La Bohème d’Aznavour aux Gymnopédies de Satie, en passant par une version ragtime de Für Elise, et une autre fort swingante des Bare Necessities du Livre de la Jungle, ou encore ce magnifique prélude en mi mineur de Chopin qui donne salement envie de scander « j’t’explique que c’que j’kiffe, c’est de fumer des spliffs… » à pleins poumons.
Hier donc, il faisait une chaleur rendue étouffante par l’humidité qui saturait l’air. C’était donc avec plaisir que je suis descendu dans les caves de l’édifice, bien au frais, pour admirer l’exposition permanente.
Premier cartel (vous savez le texte qui accompagne ce qui est exposé, on peut aussi appeler ça une étiquette ou une notice), une faute. Il manque un e : « des Halles actuels. » Je me dis ah mince, c’est dommage dès le premier cartel quand même, ça fait mauvaise impression.
Deuxième cartel. Le texte est en trois langues : français, néerlandais, anglais. Enfin, est supposé l’être. Manque de bol, là, c’est en français deux fois, exit le néerlandais.
Troisième cartel, deux coquilles en deux phrases. Là je me dis que c’est pas possible. Je dégaine mon téléphone pour vous prendre les photos, en pensant à la manière dont j’allais m’en moquer sur le blog. Sale bête que je suis. Si j’avais eu les mains libres, je me les serais frottées d’un air mauvais. Je retourne au premier cartel, clic, second, clic, troisième, clic. J’arrive devant le quatrième, encore inédit. Je me dis que la série va s’arrêter là, c’est pas possible autrement. Je vous le jure, si j’avais été en train de boire à ce moment-là, j’aurais recraché ma boisson par le nez. Une personne avait corrigé toutes les fautes au bic, et inscrit en marge du texte « 8 fautes, bravo ! »
Bon, mettons ça sur le dos de stagiaires mal supervisés. C’est quand même dommage. J’ai arrêté de lire et commencé à simplement regarder les images et objets exposés, sans ça je n’aurais pas su me concentrer, secoué de rire que j’aurais été. Merci au correcteur ou à la correctrice en tout cas, qui que tu sois je me suis senti en communion avec toi.
Les images, donc. Si ces dernières sont sans grand intérêt, elle sont en revanche d’une qualité d’impression atroce. Que voulez-vous que je vous dise. Rien ne sauve véritablement cette exposition, sinon la fraicheur des caves qui en cette fin de printemps chaude est plus que bienvenue. Après, si vous aimez le flou, les couleurs passées, et les pixels de deux millimètres sur deux, flous et aux couleurs passées, vous serez servis. Bon, disons-le tout de même : l’expo est gratuite. Les chiottes, payantes.
Pour résumer, si vous ne savez pas où vous planquer du soleil à Bruxelles, direction les Halles Saint-Géry, si vous voulez écouter des pianistes de passage et, avec un peu de bol, de talent, direction les Halles Saint-Géry, si vous voulez boire un café à moins de 3€, Halles Saint-Géry, mais si vous voulez en apprendre plus sur les Halles Saint-Géry, préférez la bibliothèque ou un blog historique quelconque.
En tout cas très beau lieu. J’y retournerai sans doute les jours où il n’y aura pas trop de monde.
Si vous avez commencé à touchotter à quelque discipline artistique en même temps qu’internet est apparu par chez vous, et que vous n’avez pas lu I will not delete my games de Sweetfish, allez-y. Sûr qu’une part de vous s’y reconnaîtra.
J’ai fait mes premiers dessins à la maison, auprès de ma maman, qui loin de se soucier de la qualité de ma production souhaitait simplement que je passe un bon moment. Puis j’ai continué à l’école maternelle. Avec un faux départ tout de même. Quand ma mère a su que je m’étais fait durement réprimandé pour avoir dépassé en coloriant le loup en gris, elle m’en a retiré jusqu’à l’année suivante. La maîtresse détestait les enfants. Sur la dizaine de jours que j’ai dû passer dans cette classe, j’ai pu assister à la fessée cul nul debout sur une table et devant toute la classe d’un camarade avec un retard mental, parce qu’il avait fait caca dans la classe. Ah, la bonne époque.
Plus tard, avec les copains, à l’école primaire, on s’enregistrait. Soit improvisant des chansons, soit des sketchs « comiques » sur des cassettes, sur les chaînes hi-fi de nos parents, avec des micro de karaoké dénichés en brocante j’imagine.
Bon et puis il y a eu les premiers poèmes de pré-adolescence, les petites chansons fades, les trois accords de guitare…
Tout cela ne s’est jamais retrouvé sur internet. Et j’en suis fort heureux voyez-vous, que des millions de personnes ne nous aient pas entendus, ou pire vus, chanter « Mario, il court, il saute, il fait des flips à l’envers. » Notre scolarité n’en aurait pas été facilitée. Si la cassette est sans doute encore au fond d’un tiroir ou d’une malle, chez l’un de nos parents, la bande magnétique doit être collée et irrécupérable. Et si je suis soulagé que ce n’ait jamais été diffusé au grand public, j’avoue trouver un peu dommage que tout cela n’existe plus que dans mes souvenirs.
Internet n’est arrivé qu’en 1998-99 pour moi, quand mon frère nous a légué son ordinateur et son modem à la fin de son stage chez IBM à Montpellier. J’avais 11 ans. Je m’en servais alors uniquement pour télécharger et imprimer des images Dragon Ball ou South Park, en les cherchant sur Copernic. Ensuite, c’est devenu ma source des paroles de musiques anglophones auxquelles je ne pigeais pas grand chose. J’imprimais tout Eminem, The Offspring, Korn, Metallica… (si je dis Blink-182 et Sum 41 je devrais effacer cet article plus tôt que prévu alors excusez-moi de ne pas les mentionner)
Ce n’est qu’en 2006, que j’ai commencé à mettre ce que je faisais sur internet, si l’on ne compte pas ce que je partageais directement avec les amis sur AIM ou MSN. Les blogs, MySpace et le tout début de Facebook faisaient qu’un utilisateur cazu qui n’y connaissait encore rien en programmation ou en méthodes d’hébergement pouvait désormais facilement publier en ligne et gratuitement.
Que reste-t-il de mes chefs-d’œuvre de la période 2006-2022, en ligne, sur CD ou disque-dur ? Pour ce qui est des dessins, je dirais 80%, pour le textes sans doute 40%, pour la musique pas loin de 100%. Les textes en disent long sur ce que vous pensez, et j’ai toujours honte de ce que je pense. C’est donc ce que j’ai le plus effacé. Voyez, je suis en général assez convaincu de ce que je pense, mais cette conviction ne perdure qu’une minute ou deux après que ma pensée s’est manifestée par l’entremise de mes cordes vocales, et avec le soutien non-négligeable de mes dents, ma langue et mon palais. Une fine équipe qui ne manque jamais une occasion de me mettre dans l’embarras.
Les dessins et les morceaux de musique, s’ils ne sont pas associés au texte, me gardent au moins de cette honte. Honte de penser mal ou de dire mal ce qu’on pense bien. Ils me font simplement honte de n’avoir pas assez travaillé, ou d’avoir des goûts très discutables.
Il y a donc tout à parier que je ferai, un jour ou l’autre, disparaître ce blog d’internet. Mais effacerai-je tout, même mes backups ? Pour moi qui ai si mauvaise mémoire, ne serait-il pas utile de conserver quelques notes, pour me souvenir, à l’occasion d’une relecture, des évènements que j’aurais traversés quelques années auparavant ? Des personnes que j’aurais rencontrées ? Sans doute que si. Ce serait utile. J’oublie trop vite trop de choses. Il me faut des aide-mémoire.
Japon, préfecture de Toyama. Un homme s’est endetté. Nous l’appellerons Michel. Il a la quarantaine, il est pompier. Lieutenant, chez les pompiers, même. Mais sa paye ne suffit pas à rembourser ce qu’il doit. Alors que fait-il ? Revend-il à des fabricants de fourrure les chats qu’il sauve des arbres ? Non. Vend-il des calendriers sous le manteau ignifugé ? Non plus. Michel travaille quelques heures dans un fast-food, en dehors de ses heures de fonctionnaire. Combien d’heures ? Oh, une petite quarantaine de shifts de quatre heures entre août et décembre 2021, ce qui nous donne, allez, 6 à 8 heures par semaine.
Fin décembre, alors qu’il travaille au restaurant, un collègue de travail le reconnaît en venant procéder aux contrôles de sécurité de fin d’année : « Eh Michel !! Tu bosses ici ? Dis-moi, tu peux m’avoir une ration de frites en plus ? » n’est absolument pas ce que lui dit son collègue. D’ailleurs, on ne sait pas ce que lui dit son collègue. Ce qu’on sait, c’est que notre pompier-serveur se met à paniquer en le voyant. Et il a raison, car son collègue va cafeter.
« QUOI ?? MICHEL TRAVAILLE DANS UN FAST-FOOD ? » C’est la sidération chez les pompiers. Vont-ils faire montre de solidarité et se cotiser pour que ce brave homme puisse continuer à vivre décemment de son travail de sauveteur ? Encore non. Car il est interdit d’avoir un second emploi quand on est fonctionnaire dans cette région-là.
Michel doit s’excuser. Il est désolé d’avoir sali la réputation de sa famille et des pompiers. Avant-hier, 6 janvier 2022, une décision est prise. On va sanctionner Michel. On baisse son salaire de pompier de 10% pendant 6 mois.
Bonne chance pour payer tes dettes Michel. Ne te suicide pas. C’est eux les cons.
Faut-il rédiger une note thématique sur le nombre trois cent trente-trois quand on n’est pas croyant ? Je n’en sais rien. Mais arrivés à l’article #334, si ratée, l’occasion ne se représentera plus de le faire.
Me voilà donc parti, une fois de plus, pour vous éduquer. Cette fois-ci, nous allons nous plonger dans les aspects étranges et méconnus du nombre trois cent trente-trois ! Hein ? Oui, c’est ça, je vais aller sur Wikipédia et tout recopier ici en insérant un ou deux mots à gauche à droite. Vous n’avez qu’à le faire si vous trouvez que c’est si facile.
Il se trouve, par exemple, que 333 est un zéro. Ça, vous ne vous y attendiez pas à ça. Moi non plus. 333 est le zéro de la fonction de Mertens que voilà :
Heureusement, Wikipédia, bien gentil, nous explique qu’en termes moins formels, on peut dire que M(n) est le nombre d’entiers sans facteur carré inférieurs ou égaux à n et dont le nombre de facteurs premiers est pair, moins le nombre d’entiers sans facteur carré inférieurs ou égaux à n et dont le nombre de facteurs premiers est impair…
Attendez. M(n) est le nombre d’entiers sans facteur carré inférieurs ou égaux à n… et dont le nombre de facteurs premiers est pair moins le nombre d’entiers sans facteur carré inférieurs ou égaux à n… Moins le nombre d’entiers sans facteur carré… Inférieurs ou égaux à n et dont le nombre de facteurs premiers est…
Hmm… Écoutez. Retenez plutôt que 333 est utilisé pour représenter le démon Choronzon (prononcer koronzon) dans la Thelema d’Alister Crowley. Thelema dont on compte parmi les adeptes les plus fidèles les membres du groupe de musique Los Machucambos, qui composèrent le fameux titre Pepito (mi Choronzon) en 1961.
1+9+6+1 = 17
1 + 7 = 8
333 n’est pas divisible par 8, ou alors si, mais ça donne un chiffre à virgule pas très très joli. Que vous faut-il de plus ?
Constantin 1er n’était pas un con. Né d’une mère prostituée et d’un futur empereur romain, quand on lui demande à l’école s’il veut faire comme papa ou comme maman, il répond, à la surprise générale, comme papa.
Je dis empereur pour plus de simplicité. En vérité, à l’époque, règnent plusieurs Augustes (qui n’étaient pas encore devenus clowns, parlez d’un déclassement) secondés par des Césars. Remarquez la majuscule à Augustes et Césars. Met-on une majuscule à prostituée ? Non. C’est pour ça qu’en devenant César, et avant de finir Auguste, le père de Constantin, Constance Chlore, qu’on voyait souvent trainer aux abords des piscines et fontaines, dut se séparer de la mère du petit. Cette différence de majuscules n’aurait pas fait joli sur les papiers officiels.
Bref, une petite dizaine d’Augustes ayant péri par les armes ou la maladie (mais pas de vieillesse en tout cas), Constantin 1er se retrouve enfin Auguste. Et le seul, de surcroit.
Que fait-il une fois au pouvoir ? D’abord, il fonde une nouvelle Rome. Il ne la nomme pas Nouvelle Rome, ce qui aurait relevé d’un manque cruel d’imagination, mais Constantinople, qui signifie « ville de Constantin ». Constantinople qui, rappelons-le, n’est pas Istanbul puisque c’est littéralement Byzance. Une fois installé dans un beau siège, dans un beau palais, dans une belle ville, voilà qu’il s’attaque aux lois.
Il abroge celle qui sanctionnait durement et financièrement les personnes non mariées et sans enfant, il autorise l’affranchissement des esclaves, il interdit qu’au cours de la vente d’esclaves on sépare les familles, il fait appliquer des lois contre l’enlèvement des femmes dans le but de les marier, et des lois qui obligent à traiter plus dignement les prisonniers. Il promulgue également des lois contre la prostitution, que ça c’est vraiment un nid à engueulades, il faut être bien courageux pour s’y risquer, mais enfin, sa mère était pute, il savait peut-être de quoi il parlait.
Évidemment, il fait également appliquer des lois qui nous semblent moins reluisantes depuis notre époque. Par exemple, si une femme commet l’adultère avec son esclave, ce qui, disons-le tout de même, ne doit être agréable ni pour l’esclave ni pour le mari, c’est la peine de mort. Quant à l’homme qui trompe sa femme avec un esclave, bon, il y a tout à parier qu’il se fait au moins gronder un peu.
Mais vous savez ce que c’était, la meilleure chose qu’ait décidé Constantin 1er ? Je vais vous le dire, écoutez-moi bien : Constantin 1er commence à imposer le repos les dimanches. Oui. En l’an 321. Il y a mille-sept-cents ans tout pile.
Et vous savez quoi ? Nous sommes dimanche. Et aujourd’hui je ne travaille pas. Malheureusement, ce n’est pas souvent, mais là je vais en profiter et brûler un bâton d’encens à la mémoire de Constantin 1er.
Vous vous dites, tout de même, il dit qu’il travaille pas, mais il a pris le temps d’écrire cet article de blog ! Eh bien non. Je vous ai dupé. Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes vendredi. Demain, samedi donc, pas lundi, suivez, je travaille toute la journée de 7h à 18h, et le soir, hasard du calendrier, je vais boire un verre avec un Antoine et un Constantinos. Je vais voir s’il peut pas faire un truc pour que j’aie tous les dimanches, mais j’ai peu d’espoir car s’il est empereur il me l’a bien caché. Je vous tiens au courant demain. Lundi, pas samedi. Décidément vous avez du mal. Vous devriez vous reposer. C’est dimanche, profitez-en.
Je vous l’ai dit, il y a trois jours j’ai acheté des livres en bonne quantité. Dans le tas, Trésor de la poésie populaire française de Claude Roy (Guilde du Livre, Lausanne, 1954). Je ne vous mens pas, dans les cinq premières chansons que j’y ai piochées au hasard, il y avait ces trois-là. À vous d’en trouver les points communs entre elles, ainsi qu’entre celles-ci et Colin prend sa hotte.
La fille des sables
Dans la ville des sables,
Y a-t-un’ fille à marier.
Sur le bord de la mer
Elle est là qui écoute
Le marinier chanter.
— Apprends-moi z’à chanter !
— Entrez, bell’ dans ma barque
Et je vous l’apprendrai.
Quand la bell’ fut entrée,
Au large il a poussé.
De frayeur, de tristesse,
La bell’ se mit à pleurer.
— Oh ! qu’avez-vous, la belle,
Qu’avez-vous à pleurer ?
— J’entends, j’entends mon père,
M’appeler pour souper.
— Ne pleurez pas, la belle,
Avec moi vous soup’rez.
— J’entends, j’entends ma mère
M’appeler pour coucher.
— Ne pleurez pas, la belle,
Avec moi vous couch’rez.
L’ont bien fait cent lieu’s d’aive,
Sans rire et sans parler.
Au bout des cents lieu’s d’aive,
La bell’ s’mit à parler.
— Ah! c’est-i’ pas Versailles
Ou Paris que je voës ?
— C’est le château d’ mon père,
Ma bell’, que vous voyez.
Nous y couch’rons ensemble
Le soir après souper.
Quand ell’ fut dans la chambre,
Son lacet a noué.
—Mon épé’ sur la table,
Bell’, pourra le couper.
La belle a pris l’épée,
Dans l’ cœur se l’est plongée.
Maudite soit l’épée,
Celui qui l’a forgée !
Sans la maudite épée
Je serais marié
Avec la plus bell’ fille
Qu’y’ i’ ait à l’évêché.
Elle était aussi droite
Que le jonc dans le pré.
L’était aussi vermeille
Que la ros’ du rosier.
Si j’avais une amie
Si j’avais une amie,
Qu’elle m’aime bien !
De baisers et de fleurs
Je la couvrirai !
Si j’avais une amie,
Qu’elle m’aime bien !
La nuit et le jour
Avec elle dormirais !
Si j’avais une amie,
Qui ne m’aime pas !
La jetterais dans l’eau
Et la ferais noyer !
Si j’avais une amie,
Qui ne m’aime pas !
La couvrirais de paille
Et la ferais brûler !
La belle qui fait la morte
Dessous le rosier blanc
La belle s’y promène
Blanche comme la neige
Belle comme le jour ;
Ce sont trois capitaines,
Tous trois lui font l’amour.
Le plus jeune des trois
La prit par sa main blanche.
— Montez-y, montez, la belle,
Dessus mon cheval gris,
A Paris je vous mène
Dedans un grand logis.
Arrivés à Paris,
L’hôtesse lui demande :
— Et’ vous ici par force
Ou bien par vos plaisirs ?
— Ce sont trois capitaines
Qui m’ont conduite ici.
Vint l’heure du souper,
La belle mangeait guère.
— Soupez, soupez, la belle,
Prenez votre plaisir,
Avec trois capitaines
Vous passerez la nuit.
Au milieu du souper
La belle tomba morte.
— Sonnez, sonnez, trompettes,
Tambours, battez aux champs !
Puisque ma mie est morte
J’en ai le cœur dolent.
— Où l’enterrerons-nous,
Cette aimable princesse ?
Au jardin de son père,
Dessous la fleur de lis ;
Nous prierons Dieu pour elle,
Qu’elle aille en paradis.
Tout au bout de trois jours
Son père s’y promène.
— Venez, venez, mon père,
Venez me déterrer.
Trois jours j’ai fait la morte
Pour mon honneur garder.
Franchement sympathique n’est-ce pas ? Toutes ces chansons, populaires, sont chantées par les campagnes françaises depuis des siècles pour certaines. Sans doute bientôt oubliées totalement, sauf par une poignée d’amateurs de ces restes folkloriques et de professionnels de la musique ancienne. Je trouvais donc intéressant qu’elles soient présentes sur internet, quelque part, afin qu’on se souvienne que les emmerdements et violences que subissent les femmes de la part des hommes sont une constante à travers l’histoire.
Si vous pensez qu’on exagère quand on déplore la manière donc certains mecs se comportent avec les femmes, leur forcent la main comme de gros lourdauds pour les plus naïfs, comme de vrais gros cons dangereux pour les plus mauvais, revoyez votre copie en prenant en compte l’accumulation des preuves au cours des siècles. Ces chansons se sont longtemps transmises par le chant, car elles font écho au vécu de beaucoup de femmes.
La preuve qu’elles se sont transmises par le chant et non par les érudits, c’est qu’on en trouve des dizaines de variations dans différentes régions. Je vous invite à lire cet article de Camille Frouin sur lequel je suis tombé en cherchant l’origine de La belle qui fait la morte (spoiler : j’ai pas trouvé). Il y a dans l’article plusieurs variations de cette dernière, ainsi qu’une intéressante réflexion sur le sujet dont nous venons de parler. Tout cela est en plus bien sourcé car, contrairement à moi, Camille Frouin ne bâcle pas ses articles. Attention, je ne critique pas, je constate. Il faut bien des gens rigoureux dans ce monde pour ceux qui aiment ça. Et puis tout le monde n’a pas ma capacité à faire mal les choses et c’est bien normal, j’ai beaucoup travaillé pour en arriver où j’en suis.
Bon. Ne nous quittons pas sur ces tristes chansonnettes, en voilà donc une dernière, issue du même ouvrage de Claude Roy, qui va vous remonter le moral :
Combien de fois devrais-je vous le répéter ? Je suis un être d’inconséquence. Ce n’est pas parce que je vous ai dit hier que nous aborderions un nouveau sujet que je m’y tiens aujourd’hui.
Hier, donc, dès la publication de l’article, je reprenais mes recherches sur ce fameux air, et fouillais du côté de la plus vieille source citée sur divers sites. Laquelle est-elle ? Colin prend sa hotte. L’article dit que l’air de cette chanson-là ressemble étrangement à l’air qui nous intéresse, et qu’il fut publié en 1719 par Christophe Ballard.
Pour ma part, je l’ai trouvé dans un livre publié par Christophe Ballard, en effet, mais en 1704 : Brunetes ou petits airs tendres, avec les doubles, et la basse-continue, meslées de chansons a danser. Recüeillies & mises en ordre par Christophe Ballard, seul Imprimeur de Musique, & Noteur de la Chapelle du Roy. Tome second.
Il m’est impossible de résister à écrire ces titres en entiers, c’est comme ça. Vous pouvez retrouver ce livre numérisé sur le site de la bnf ici.
Mais qu’est-ce qui m’a poussé à revenir sur ma parole et vouloir vous le partager aujourd’hui ? D’une le fait qu’il s’agisse encore d’un gougeât qui interagit avec une femme, thème qui à l’air de coller de près à cet air, et de deux le fait que je ne savais absolument pas quoi vous raconter aujourd’hui.
Voilà donc à quoi ressemble cet air de Colin prend sa hotte :
et ce que ça donne une fois joué :
Mais, évidemment, ce sont les paroles qui m’ont intriguées, car on peut y voir un Colin se croyant tout permis, et une Godon ne se laissant pas faire, qui nous rappelle que même avant 1700 le consentement n’était pas une notion purement décorative.
Colin prend ſa hotte,
Et ſon hoqueton :
S’en eſt allé voir
La belle Godon,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
S’en eſt allé voir
La belle Godon,
La trouva dormant,
Auprés d’un buiſſon
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
La trouva dormant,
Auprés d’un buiſſon
Il s’approche d’elle
Luy prit le menton,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
Il s’approche d’elle
Luy prit le menton,
La Fille s’éveille,
L’appella Fripon,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
La Fille s’éveille,
L’appella Fripon,
J’iray en Juſtice,
J’en auray raiſon,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
J’iray en juſtice,
J’en auray raiſon,
Pardonnez la Belle,
A ma paſſion,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
Pardonnez la Belle,
A ma paſſion,
La faute en eſt faite,
N’y a point de pardon,
Bon, Haut le pied, Fillette,
Ma Mer’ vend du ſon.
Voilà. C’est pas joli joli.
Vous vous demandez sans doute ce que peut bien vouloir dire « haut le pied, fillette, ma mère vend du son ». Moi aussi. D’après mes recherches, le sens le plus probable en est : « Godon, dépêchons nous de baiser, ma mère est partie au travail ». Mais mère au travail ou pas, il me semble être clair que Godon n’est pas super chaude. Et non, c’est non.
Quant à l’air et à la structure, c’est vrai qu’il y a quelque chose de Kradoutja. Cela dit, c’est tout de même une mélodie très basique, je ne mettrais donc pas ma main à couper que les deux airs soient reliés.
Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com