#381 – Alliance of the Billing, c’est un jeu de mots

Samedi dernier, je suis allé voir Alliance of the Billing au Strof. Une semaine n’étant toujours pas passée depuis, il est encore temps que je vous raconte.

J’avais croisé deux des membres du groupe la veille, au concert de Maple Paper. Ils étaient là pour voir à quoi ressemblait la scène, à quelle sauce ils allaient se faire becqueter. C’est qu’ils ont du matos et qu’ils sont cinq, ça demande un minimum de place. On avait causé un brin et le moment avait été bien agréable, même si comme je vous l’ai raconté j’avais commencé à boire plus que de raison. Me rappelle plus de tout dans les détails, du coup. Ce dont je me souviens, c’est de n’avoir pas pigé le nom du groupe tout de suite.

« Et c’est quoi votre nom ?
« xxx of the Billing
« Pardon ?
« Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots, par rapport à la coalition of the willing.
« Ah oui… Tout à fait.
« Rapport à la politique de désarmement de l’Irak et son invasion par les Américains, sous l’ère Bush.
« Ah mais oui ! »
C’est dans ce genre de moments que je regrette de n’avoir pas été attentif à mes cours de civilisation américaine à la fac, j’avais clairement pas la réf.

Et enfin bref, ils me demandent si je passerai le lendemain voir leur concert, et que oui ! je réponds, avec plaisir.

Le lendemain est un cauchemar. Je me lève avec la gueule de bois après quatre heures d’un mauvais sommeil, je mets quatre autres heures à écrire ma note de blog, je file au travail le bide en vrac, la tête dans le brouillard. Je termine à 20h30. Deux collègues veulent qu’on aille boire un verre. Je sais que le concert ne commencera qu’à 22h et que ce n’est qu’à quinze minutes de là, alors j’accepte de boire un iced tea en mangeant une grande assiette de frites des lendemains de cuite, et à 21h45 je pars en flèche au Strof.

Quand je débarque, le concert n’a pas commencé, comme prévu. Je repère direct Clément, le bassiste de Maple Paper qui est également revenu. Il y a aussi les mecs du groupe qui sont là avec des amis venus les voir. En me voyant débarquer ils s’écrient : « il est venu !! » On sent qu’il y avait du pari dans l’air. Ils m’accueillent chaleureusement, ont l’air d’être sincèrement contents que je me sois pointé et amusés de voir qu’un mec bourré peut tenir parole. Ne savent pas à quel point il s’en fallait de peu que je choisisse d’aller plutôt m’écrouler dans mon pieux, d’autant que le lendemain je devais me lever à 6h du mat pour ouvrir le magasin, puis partir à Soignies dès la matinée de boulot terminée pour fêter l’anniversaire d’une amie. Mais si je dis à quelqu’un que je viens à sa petite kermesse, je viens. Surtout si je le dis quand j’ai picolé. J’aime pas me bourrer la gueule, alors que ce soit une excuse pour ne pas tenir mes engagements, c’est hors de question.

Et donc je suis là. C’est la même serveuse que la veille. Première chose qu’elle me dit en me voyant : « j’ai plus de Stella. » Merde alors, j’aurais vidé le fût à moi tout seul ? Peu probable. Je ris un peu honteusement en lui annonçant que ce soir c’est thé glacé jusqu’au bout de la nuit.

Et le concert alors ? J’en parle du concert ou je vous raconte mon panaris ? J’ai pas de panaris, c’est une façon de causer, mais merci de vous inquiéter. Bon. Le concert commence. Le rez-de-chaussée est plein. Heureusement que Clément, moins dans les choux que moi, a su détecter le moment pile où il nous fallait nous avancer pour avoir notre place au premier rang.

J’entends le premier coup de grosse caisse, poum. L’impression que quelqu’un m’a balancé un coup dans le bide. J’étais pas prêt, le son de la batterie est monstrueux. Le jeu est clair. Le guitares mixées un peu trop bas. J’ai pas de bouchons, contrairement à mon voisin venu bien équipé. Je regrette un peu, mais ça fait aussi parti du plaisir de te prendre un gros son brut direct dans tes petits tympans, à un concert de rock.

D’ailleurs, est-ce du rock ? Il y a un batteur qui tape duraille, deux guitaristes saturistes autant qu’arpègistes, un bassiste qui connait bien son rôle de super glue des sections rythmiques et mélodiques et n’hésite pas à dissoner sévèrement sur certains passages qui l’y invitent, et il y a un claviériste qui crée de l’espace, texture les interstices, et apporte ainsi de la couleur à chaque morceau. L’un des gratteux chante un peu, rarement, ici et là. La voix utilisée comme un instrument occasionnel, j’aime ça. Ici pas de riffs joués bien en chœur, mais des ambiances, des moments qui gonflent et dégonflent, des orages, des éclaircies. Hé, patate, vous allez me dire, ça porte un nom ce genre de musique et c’est pas du rock, c’est du post-rock. Et vous n’aurez pas tort, mais que voulez-vous, je connais mal les frontières musicales. Je suis déjà post-genres, rendez-vous dans le turfu.

Alors, qu’est-ce que ça donne au final ? Un truc un peu sombre. Rêche et planant. Une invitation au voyage dans une variété de friches industrielles s’étendant jusqu’à l’horizon, par temps de ciel rouillâtre, dans la poisseur des brumes de gaz toxiques. Une phrase, deux mots qui n’existent pas. C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant ce concert. Des éléments de vocabulaire et de syntaxe dont je suis familier dans d’autres contextes, mais utilisés d’une manière qui m’est assez inconnue. Je ne crois pas avoir vraiment écouté de post-rock auparavant, et encore moins en concert. Je dis que j’ai écouté le concert, par opposition à aller voir un concert, car oui, j’ai pas mal fermé les yeux. La scène était trop petite, la salle trop exigüe, pour me laisser vraiment apprécier les visions de vastes étendues ravagées par un monde ayant laissé les industries l’avaler et le recracher ensuite. Et, les yeux fermés, j’ai bien voyagé.

Quels éléments de la musique d’Alliance of the Billing m’ont provoqué ces visions ? Les nappes de synthé, les guitares sombres qui font krr krr, les guitares cleans qui sont pure mélancolie, les samples, la voix parfaitement posée véhiculant impuissance, tristesse et un brin de hargne ont certes chacun joué leur rôle. Mais cela venait également du fait que chaque voix, possédant en général sa rythmique propre, contrastait et complétait les autres, formant en se superposant une texture complète et régulière qui évoquait un très curieux mélange d’organique et de mécanique, comme un flux continu constitué d’éléments discrets. Là j’allais évoquer la physique des photons pour compléter l’image, et les fugues de Bach qu’on joue au clavecin, mais sur internet mieux vaut éviter de causer des deux au même endroit, sans quoi vous attirez toutes les psychoses du quartier dans votre section de commentaires.

Eh bon, j’aurais aimé vous parler plus longtemps de la musique d’Alliance of the Billing, mais voilà que je dois partir bosser dans moins d’une heure. Il me faut boucler l’article.

Quand le concert s’est terminé, j’étais vraiment heureux d’avoir été invité au voyage en ces contrées musicales sauvages, inquiétantes et évocatrices de paysages désolés. C’est beau un paysage désolé. En art. Je suis reparti en ayant eu l’impression d’avoir assisté à un mini-festival du court-métrage post-apocalyptique. M’a bien aéré les neurones tout ça. Pas regretté le déplacement.

J’ai redemandé à l’un des musiciens : « Au fait, c’est quoi déjà le nom du groupe ? Rise… of the… Willing ?
« Alliance of the Billing. C’est un jeu de mots avec coalition of the willing.
« Okay, cette fois je crois que c’est bon, je l’ai. »

Je l’avais pas, j’ai dû rechercher sur internet en rentrant chez moi. Mais après avoir écrit cet article et écouté trois fois leur album enregistré en 2019 sur Spotify, puisqu’il y est disponible, je pense que c’est rentré une fois pour toutes.

Vous aussi, donc, retenez leur nom en le répétant plusieurs fois d’affilée et lentement, et allez les voir quand ils passent près de chez vous avant que le monde entier ne soit devenu une friche industrielle dans laquelle il sera difficile de trouver une salle de concert.

Je vais être en retard au travail, je corrigerai les fautes plus tard.

#280 – Quattuor equites apocalyptici pragensis

Eh oui. Ce matin, profitant du beau soleil d’août que ça va pas durer, je me promenais tranquillement dans les rues de Prague sans me demander pourquoi je croisais un T-shirt Metallica toutes les deux minutes (un T-shirt avec quelqu’un dedans, entendons-nous bien, mais là on s’en fout du quelqu’un dedans). Non, je ne me le demandais pas, pourquoi, car je savais. Vendredi, un ami habitué de la ville apprenant que j’allais y arriver hier me demandait : « Tu vas voir Metallica dimanche ? Avec Ghost en première partie. C’est à l’Aéroport Letňany. » Je lui répondais que je n’en avais même pas entendu parler. Il me répondait à son tour que de toute façon il n’y avait sans doute plus de places.

Ce qui était faux. Le concert est ce soir et il y a encore des places. Des places à 160€. Vous me voyez donc bien désolé James, Lars, Kirk et Robert, mais je ne viendrai pas vous faire coucou depuis les gradins. Quant à vous, les musiciens de Ghost, je ne sais déjà pas ce que vous jouez comme musique, alors vos prénoms… Mais ne soyez pas fâchés, j’apprécie que les titres de vos albums soient en latin. Puisque j’essaie d’apprendre le latin. D’une manière générale, j’apprécie tous les efforts faits pour que la langue ne tombe pas totalement en désuétude avant que j’aie fini de l’apprendre.

Va donc falloir se faire une raison, ce soir je n’entendrai pas en direct les doux CRH-CRH-CRH-CRH-CRH-CRH qui ont bercé mon adolescence, et je ne découvrirai pas non plus ce groupe concept suédois dont on m’a tant vanté les costumes de scène (étonnamment jamais la musique). Ben allons-y, donc, faisons-nous une raison : Metallica, c’est peut-être sympa, mais leur merchandising de masse à la con qui fait qu’on retrouve de leurs T-shirts non seulement aujourd’hui dans tout Prague, mais également chaque jour jusque dans les coins les plus reculés du monde, me fait gerber. Metallica, si on regarde les choses en face, c’est 10% de musique, 90% de marketing. James Hetfield, si on regarde bien les choses en face, c’est un mec qui, mis à part faire de la musique, préfère plus que tout rouler en pseudo-dragster au dessus des limites de vitesse et aller braconner des ours en Sibérie complètement pété à la vodka. Lars Ulrich, si on regarde bien les choses en face, c’est Lars Ulrich.

Ah ! Voilà voilà, je me sens mieux. Ce soir, peuvent bien s’électrocuter avec leurs guitares de merde ces petits cons quinquagénaires ! Peuvent bien taper des poings et des pieds sur le sol, me supplier à genoux, non, non, non, j’irai pas les voir. Cavaliers de l’apocalypse, ça ? Dresseurs de poneys de fête foraine à gros budget, ouais.

Okay, okay. Je suis bien dégouté. Je dis des méchancetés et je les pense, mais si les places avaient été à moins de 50€, j’aurais fait mon tour de chapiteau, comme tout le monde.

On reparlera un jour de pourquoi les artistes peuvent bien souvent être classés parmi les plus gros manipulateurs au monde, avec les hommes politiques et les entrepreneurs, et de pourquoi il est vital pour eux de s’attaquer à leurs victimes dès l’adolescence. Ça oui, on en reparlera. Un jour. Peut-être.

DÜRER, Albrecht. « Les quatre cavaliers de l’apocalypse ». L’apocalypse de Saint Jean. 1497.

#51 – Montpelliérien #051 – Jamception

Hier, c’était soirée jam session, et scène ouverte, et re-jam session. Pas forcément dans cet ordre. Vous avez du temps devant vous ? Allez, tirez-vous une bûche, je vous explique.

Scène ouverte d’abord, à la Petite Scène. Je venais de me faire Manuel (Il Figglio) au Diagonal —très bon film. Un chouia déprimant. Je dis un chouia pour pas vous décourager d’y aller. Rythme lent, belle image, réaliste. Allez-y, allez-y pas, j’ai rien à vendre. Moi j’ai aimé. Toujours est-il qu’en sortant de là j’avais pas les yeux qui criaient l’amour de la vie (je sais bien que ça ne veut rien dire)—, j’avais besoin d’un petit remontant. Direction, donc, le bar dont je vous ai causé trois lignes plus haut. Relisez lentement en vous aidant du doigt si vous avez du mal à suivre. Arrivé là, je commande le sempiternel jus de tomate et je m’installe avec mon bloc note à la seule table de libre près de la scène. Ça commence.

Le premier des trois musiciens inscrits ce soir-là, c’est Ravi Johanis. Il vient d’Allemagne et m’expliquera plus tard qu’il a déjà fait un séjour à Montpellier dont il garde un bon souvenir, notamment grâce aux jam sessions sauvages alors spontanément organisées sur le parvis de l’église Saint Roch. C’était le bon temps.

Il saute en scène seul avec sa gratte électrique. Surprise. Le petit malin avait préparé une backing track pour l’accompagner. Très minimaliste mais pile ce qu’il fallait : basse et batterie légère : grosse caisse, caisse claire cross-stick, quelques cymbales. Premier morceau. Le son de gratte est superbe. Beau clean, avec du gain juste ce qu’il faut. Il a du feeling, de jolis licks. Y a de la rondeur et de la tension. Le morceau parle de you’re beautiful si je me souviens bien. Le second de need to see my love again, le troisième j’ai pas fait gaffe aux paroles, j’ai été beaucoup plus entraîné par la musique. Le style reste le même au cours des trois morceaux, mais c’est de plus en plus rythmé, ça gagne en complexité.

Quel style ? Hmm. Vous savez, quand je parle de musiciens, j’aime pas les comparer à d’autres, et j’aime pas les étiqueter genristiquement parlant. Je préfère décrire. Oui, mais voilà, je suis pas expert dans toutes les techniques et j’ai une culture musicale limitée, alors je vais dire ce que ça m’évoquait comme genre, car je n’ai pas peur de me contredire : blues moderne teinté de soul avec un arrière goût rootsy. Ou bien soul minimaliste saupoudrée d’un zeste de roots mais très bluesy. Ou encore quelques rythmiques un peu roots, un feeling général blues, mais pas oldscool , le tout un peu souly. Et démerdez-vous avec ça.

Quel ressenti général ? De très beaux morceaux, de jolies ambiances qui évoquent douceur et tranquillité, tout en faisant bien hocher la tête. Parfait pour un premier jour de printemps, et pour l’été qui suivra. On se demande pourquoi les morceaux durent pas plus longtemps, ils sont vraiment très courts, parce qu’une fois dedans on y est bien, on a envie d’y rester. J’ai pas parlé de la voix. Car Johanis chante également. C’est peut-être la partie qui mérite encore un peu de travail, les idées sont là, l’intention aussi, mais ça manquerait un tout petit peu de maîtrise. Après vous savez comment c’est, premier sur scène, à froid, un soir où personne ne vous attend vous particulièrement, il y a de quoi avoir les cordes vocales frileuses, d’autant qu’il faisait vraiment pas chaud, ça n’aide pas.

Vous n’avez pas le début du bout de la pointe de l’extrémité d’une idée de ce que tout ça peut bien donner en lisant mes baragouineries, pas vrai ? Alors, d’une, vous aviez qu’à y être, et de deux, vous pouvez allez l’écouter sur son soundcloud.

Johanis m’a dit qu’il comptait bien tourner plus souvent dans le coin, je n’ai pas eu la jugeote de lui demander s’il restait longtemps en ville, lui en tout cas a eu la gentillesse de m’offrir l’une de ses démo. Merci beaucoup, c’est super sympa. Sympa, d’ailleurs, le mec l’est très. Si, c’est français comme phrase. Il a pris le temps de saluer tout le monde, d’annoncer tous les musiciens qui allaient suivre, et de remercier encore une fois tout le monde. Donc, Ravi, Johanis, de t’avoir rencontré. Si je l’avais pas faite vous auriez été déçus·es, mentez pas, je le sais.

En parlant des musiciens suivants. En seconde partie, c’était Anthony. Ánthos. Flos Waldhari. Non ils sont pas trois, c’est juste pas facile de se décider sur un pseudo, et on le comprend. Z’avez qu’à relire mes premiers articles, vous comprendrez. Quels que soient ses noms, propres ou de collectif, son set m’a vraiment surpris.

Le mec se hisse sur la scène, guitare électro-acoustique cordes nylons en main. Devant lui une pédale à boucles et une pédale de reverb. Un micro aussi. Il commence, l’air de rien, par nous sortir une rangée de croches sur une seule note. Bon. La boucle part. Il entame une nouvelle série de notes identiques sur le même rythme qui ne paie pas de mine. Mais ça commence à harmoniser. Les boucles ne se remplacent pas les unes les autres, elles s’empilent. Une troisième. Une quatrième. Toujours l’harmonie s’enrichit. Toujours sur le même rythme quelques montées d’une gamme mineure harmonique maintenant. Bon, si ça s’arrêtait là, mais ça continue. Jusqu’à combien ? J’ai perdu le comte. Mieux encore, au milieu de tout ça il bidouille sa pédale, rajoute un delay qui décale toutes ces croches faites à un doigt sur une corde et jusque là synchronisées, ce qui, magie, crée un rythme flamenco hyper riche harmoniquement. La tension monte, l’ambiance gonfle et gonfle à mesure qu’il rajoute des couches jusqu’à ce que…

Patatras. Jusqu’à ce que tout foute le camp. Manque de bol, setup de scène ouverte plus accumulation de pistes avec delay oblige, son aigrelet de l’electro-nylonée aggrave, un larsen chopé à chaque passage, présent dans chaque boucle, commence à couvrir le morceau. C’était tolérable jusque ici, mais là, obligé de couper le son.

Pas grave on recommence. L’ambiance flamenco-western, donnant un tout assez baroque au final, reprend. Sans larsen cette fois. Là c’est le coup de grâce. Anthony-Ánthos-Flos-Waldhari-De-La-Vega-Morricone ajoute les voix. Encore des loops, une voix, deux, trois, quatre, je sais plus combien, du grave au super aigu. La vache, un vrai chœur à lui tout seul. Ça claque. Je vous ai dit que j’aimais le baroque ? Ben voilà, on est en plein dedans. Y a du Cant de la Sibil·la là-dedans, un air de tempête avant la fin du monde. Le morceau s’appelle La Tormenta, d’ailleurs. Tout à fait adéquat.

Bon ça finit un peu brouillon pour la même raison que précédemment, voix sur voix se superposant, un peu du boucan ambiant est repiqué par le micro et s’amplifie à chaque boucle. Ça oblige à baisser le son encore une fois, dommage parce qu’on sent bien que c’est supposé enfler et enfler encore sans jamais s’arrêter jusqu’à devenir une énorme masse d’harmonies et de rythmes apocalyptiques. Bref J’ai hâte de revoir ça avec une meilleure sonorisation.

Le second morceau, une valse, dix minutes. On sent que c’est de la chanson à texte, mais en anglais, j’entends pas bien les paroles. Dommage. L’ambiance est toujours super cool. On découvre encore mieux la voix d’Ánthos, et c’est bon ! Je dirais que ce qui fait l’originalité de sa musique ce soir-là, c’est sa façon de se servir des boucles et du delay pour créer des rythmes complexes —des trilles au delay !—, créer des textures riches, parfois à la limite des nappes de synthèse granulaire, et sa voix. Ses voix. Quand il s’y met. Heureusement il s’y met plus souvent qu’il ne s’y met pas. Et puis rappelez-vous, scène ouverte, à froid, enfin z’avez pigé. Le mec à la sono lui dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Anthony, encore un gars sympa, accepte.

Vous ne voyez toujours pas ce que je veux peindre comme tableau avec mes tournures alambiquées qui font pas honneur à ? Voilà son soundcloud. Je sais pas s’il y a ce que j’ai entendu hier, j’ai pas encore eu le temps d’écouter. En tout cas si vous entendez dire qu’il passe dans le coin, allez-y voir, je suis sûr que ce sera intéressant.

Normalement, c’est à peu près à ce nombre de mots que vous arrêtez de lire les articles. Ne niez pas, j’ai mes sources. Mais aujourd’hui, vous allez me faire le plaisir de faire un effort. On doit en être à un peu plus de la moitié, et il me reste encore de beaux moments musicaux et humains à raconter. Allez, entracte photo du jour, comme d’habitude, c’est Gwlad qui régale.

Photo par Gwlad (avenue des États du Languedoc)

Vous êtes délassées·s ? On reprend.

Le troisième musicien à monter sur scène, c’est deux musiciens. L’un dont j’ignore totalement le nom, et le deuxième, je vous dis pas tout de suite, je fais durer le suspense. Le premier a une guitare electro-acoustique dans les mains, il en joue, chantonne, rapotte. Je ne sais pas s’il reprend des paroles de chansons existantes sur des accords à lui, ou si c’est écrit de son stylo bic. Toujours est-il que je préfère quand il chantonne, quand il rapotte ça fait laïus égotique virilo-macho_montre-muscle et fier de ses défauts. Encore une fois, c’est peut-être des reprises, mais si tu viens me chanter des discours de Sarkozy dans les oreilles, t’attends pas à ce que je vienne te dire que t’as une jolie voix. Bref, je préfère quand il chantonne en anglais. Je fais un effort quand même, purement musicalement, on voit que le mec est à l’aise avec sa gratte, y a de la nuance dans son jeu malgré les accords joués en boucle, et la scansion est bonne.

Le deuxième du duo, dont je garde le nom secret pour l’instant, essaie de trouver sa place au départ, il tente des hum hum discrets, et puis d’un coup d’un seul, dès que l’espace est enfin disponible, putain, ce qu’il envoie ! Voix profonde, sculptée, qui fait des pirouettes avec une aisance assez dingue, voix expérimentée qui joue sur les timbres et les textures. Ça dure pas longtemps, mais j’y entends du Nina Simone, du jazz lyrique. J’avais dit pas de comparaison à des genres ou des artistes hein ? Me renier, c’est ma passion. Enfin, tout ça ne dure que quelques secondes. Mais voilà les secondes…

Deuxième morceau, cette fois ce qu’il envoie c’est une impro proche du scat aux accents reggae, toujours avec cette voix, profonde et chaude, non je parle pas du vagin de maman, je sais que vous avez la nostalgie de mais restez concentrés·es s’il vous plaît. Bref, en quelques secondes à chaque fois, on a le temps de sentir que le mec cache une musicalité énorme.

Le mec à la sono leur dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Qui ça d’autres ? Ils étaient trois musiciens inscrits pour la scène ouverte, enfin quatre, puisqu’il y avait un duo. Le mec leur dit que les musiciens pour la jam session sont impatients de monter sur scène. Ah, c’est eux. Et oui, jam session dans une soirée scène ouverte. Daitman —voilà, c’est lâché, c’est son nom au super chanteur, Daitman Paweto. Connaissez pas ? Ben vous feriez mieux de le retenir et d’aller voir ce qu’il fait dès que vous en avez l’occasion, ce mec va devenir célèbre, et ce sera mérité—, demande s’il peut quand même faire une chanson avec une guitare avant de descendre, il a quasiment pas eu le temps de chanter en fait. Le mec-anguille lui répond pas franchement, d’un air de descends maintenant mais je te le dis pas les yeux dans les yeux, d’un air de les amateurs ont assez joué place aux pros, d’un air de la scène ouverte c’est terminé les minus, z’avez assez joué, maintenant c’est les jazzmen de cinquante balais qui jouent, les musicos respectables, faites place, comprenez, la clientèle tout ça, vont pas s’alcooliser longtemps si on leur met pas du jazz à papa dans les pattes. Franchement à ce moment-là j’étais sur le cul. Daitman résiste, même quand le pianiste sosie d’Alain Chamfort, orgueilleux au possible, monte sur scène en lui lançant « je suis pas payé pour accompagner les mecs qui viennent chanter leurs chansons ». Rien à foutre, Daitman le regarde du genre je t’ai rien demandé. Il est malmené, mais pas grave. Il leur dit que cette scène est faite pour être partagée, ouverte, jam session, non ? On aurait compris de travers ? Il demande un capodastre, les mecs l’envoient bouler du genre démerde-toi on veut pas de toi ici avec ta chanson, ta putain de seule petite chanson que tu veux chanter que ça prendra trois minutes mais c’est trois de trop pour nous. Heureusement, Ánthos est là, près de la scène, il en a un de capodastre, il le lui prête. Johanis remonte aussi sur l’estrade et prend la basse. Merci !! Le groupe improvisé joue, et il envoie, le Daitman. C’était bon. Au bout de deux chansons à accompagner les autres, il redescend de scène.

Je lui touche deux mots de ce qui vient de se passer, il trouve ça bête, mais il en fait pas une affaire, il a pu jouer, c’est tout ce qui a l’air de compter. Il me dit qu’il se tire à la Pleine Lune, en fait il est censé y être depuis une heure et demie, il était juste parti en ville pour acheter des clopes et s’est retrouvé embringué là. Je décide de le suivre. À la Pleine Lune, c’est aussi jam session, mais on verra que c’est un autre genre. Allez, c’est l’article le plus long que j’ai écrit jusqu’à aujourd’hui, mais je suis sûr que vous avez encore le courage d’en lire un peu plus, on y va.

Sur le chemin, Daitman m’explique qu’il a trente ans, qu’il a commencé à monter sur scène à treize, qu’il a fait du rap, du reggae, du jazz, que maintenant il a trouvé son truc, son mélange, son effet à produire sur le public. Il m’explique sa vision de la musique, du groupe. Le mec a dix-sept ans d’artisanat zikal dans les jambes, il commence à savoir ce qu’il veut. Il avait ouvert un bar musical, mais des histoires familiales ont fait que. Aujourd’hui, il repart sur un nouveau projet. Il a remonté un groupe autour de lui. D’ailleurs, avant la Petite Scène, ils ont fait leur première répet en vue d’une série de concerts pour jouer l’album enregistré au Studio Vox et en cours de mixage. Ce que j’avais pressenti se confirme, il fait pas semblant Paweto Daitman.

On arrive à la Pleine Lune, c’est soirée Jam Session World Music, j’aime pas ce terme, World Music, ça sent la FNAC et le rayon CD du Super U. Sur scène, c’est aussi bondé que sur la piste de danse quand on déboule. Je saurais plus dire avec précision combien de musiciennes·s étaient présentes·s, mais comme ça je revois à notre arrivée : une clarinette, un sax, une trompette, un batteur, un violon, une basse, deux guitares, un clavier, une voix qui chante dans une langue arabe que je serais bien incapable de reconnaître. Y a une pêche d’enfer, les gens sont excités, ça danse, ça picole, ça se marre, ça dragouille, ça saute sur place. Et tous ceux qui veulent monter sur scène le peuvent. Même les gros relous bourrés. Ça, ça plaît pas trop à Ella.

Car oui, j’oubliais, sur place Daitman me présente des amies·s musiciennes·s à lui, Édouard que je n’ai pas vu jouer et dont j’ignore l’instrument de prédilection, Timothée le guitariste, et Ella la chanteuse. Tout ce petit monde est fort sympathique. Sont venus·es là pour la musique, pas se la coller. Chacun·e montera sur scène à un moment ou un autre. La musique, d’ailleurs, est un mélange hallucinant de toutes les sonorités possibles et pas imaginables, dans des combinaisons riches, surprenantes, et éphémères. La zik est improvisée à jusque douze musiciens·nes et chanteurs·ses, des morceaux qu’il fallait entendre sur le moment, car c’était la première et la dernière fois qu’on les jouerait dans l’histoire de l’univers.

Au niveau des voix : on a eu Ella qui à envoyé ses good vibes, d’une voix posée, calme, légèrement voilée, qui peut s’emballer d’un coup et partir dans les astres avec une apparente facilité. Apparente seulement, elle me le confirmera plus tard. On a eu Daitman, évidemment, toujours aussi bon. On a eu deux filles, toutes les deux dans une style soul-jazz, et dont j’ignore les noms. On a eu un rappeur, apparemment très souvent à l’ODB, grand, cheveux mi-longs attachés, le genre qui met l’ambiance, avec des textes qui appellent à l’empathie, comme son t-shirt, et une gueule qui appelle à être son pote. On a eu aussi un mec qui envoyait le salsifis, rap-reggae, textes humanistes, engagés.

Vous savez quoi ? Je vais arrêter là. Je suis sûr que vous n’en avez même pas lu la moitié, et je suis claqué. En tout cas, mon programme des mardis quand j’aurais rien prévu de particulier me semble maintenant tout trouvé. Petite Scène jusqu’à la fin de la partie scène ouverte pour voir les artistes de près et pouvoir échanger un peu ensuite, puis Pleine Lune pour finir dans une ambiance ouf.

Allez, la bise. Promis demain ce sera plus court.