#184 – Lyonniais #011 – Le temps ne fait (pas tout à fait) rien à l’affaire…

Quel bruit fait la voiture qui passe ? Vroooouuuum. Quel bruit fait le corbeau qui passe ? Croâ croâ. Quel bruit fait l’année qui passe ? Vous voilà bien emmerdé·e. C’est que c’est sacrément silencieux, une année. Raison pour laquelle elles passent les unes après les autres sans qu’on les remarque.

Depuis que ma mère m’a expulsé de sa matrice, un beau jour de temps pourri —tempête et inondations (c’est l’Orb qui débordait)—, mon cœur a battu, approximent les experts, environ un milliard cent trente millions de fois et des papillotes. Merci mon cœur. C’est sans doute la tâche que j’ai réussie à accomplir avec le plus de régularité tout au long de ma vie, et cela est certainement dû au fait que je n’y pensais pas. Si j’avais commencé à y réfléchir, nul doute que de questions sans réponses en réponses sans fondement, je n’aurais pas su me résoudre à m’y tenir. Moi, esclave d’une activité dont je n’aurais pas pesé cent fois le pour et le contre, dans laquelle je n’aurais pas décidé consciemment de m’investir ? Vous n’y pensez pas ! Plutôt crever.

Depuis, donc, que ma mère et le fleuve natal ont lâché les eaux en même temps, la Terre a parcouru à peu près vingt-neuf milliard trois cent cinquante millions de kilomètres autour du soleil, et le soleil deux cent vingt-cinq milliards et dix-sept millions de kilomètres autour du centre de la galaxie, ce qui me permettra d’écrire dans mon autobiographie que j’ai beaucoup voyagé. Et voilà pour les nombres. On s’attache beaucoup aux nombres, car il n’y a rien d’autre. On ajoute un un à un compteur ou un autre. Quand j’étais petit, en parlant de uns, je ne comprenais pas pourquoi lorsque ma grand-mère regardait la télé, la télé lui disait qu’elle regardait téhèfin, alors qu’en bas de l’écran il y avait écrit « tf1 ». C’est qu’on avait l’accent du sud dans la famille. Enfin, pas ma grand-mère, qui elle avait l’accent de Barcelone, je parle de ceux plus bas dans l’arbre généalogique. « – Mamééé, pourquoi y diseuh téhéfin alors que c’est téhéfeung, heing? C’est pas téhéfin, c’est téhéfeung, heing ? Mamééé, je peux avoir du paing ? – C’est palsqu’y sont des palisienss. Attends oun peu, on ba bientôt mandjer. » Je ne comprenais rieng à cette histoire d’axangs. L’expérience la plus marquante fut une rencontre avec l’un de ces fameux Parisiengs, un de mon âge, six, sept ans au pif, en vacances quelque part dans les Pyrénées. C’était sur le parking de l’hôtel. Je m’approche d’un gamin, sous l’œil de nos parents attentifs, et je lui demande : « – Dis, tu veux bieng étreu mon copaing ? – Hin, s’interloque-t-il ? – Tu veux étreuh mon copaing ? » Sur quoi le mioche se retourne vers sa mère et sort un cruel : « Mômon, y porle frônçais le garçon ? » Coup de poignard dans le cœur. Je me retourne à mon tour vers ma mère : « – Mais, il est bêteuh ou quoi ? – Il est parisieng mon chéri. » Bon, ben, on n’a pas été copaings. Là vous sentez bien l’enfance difficile, pleine de misère et de meurtrissures, hein ? Non. Ben non, vous avez raison. C’est dommage. Quand j’écrirais mon autobiographie je vais avoir bien du mal à faire verser la petite larme. N’empêche qu’au fil des années, je l’ai perdu mon accent. Devait y avoir un petit complexe caché quelque part.

Où j’en étais ? Je ne sais plus. Ah oui, je disais : et voilà pour les nombres. Il manque le plus important, que vous protestez ? Combien fais-je en ce jour de non-non-anniversaire ? Écoutez, je vous ai donné assez d’informations pour que vous puissiez calculer par vous-même. Allez, faites pas vos feignasses. Vous aussi vous vieillissez vous savez, alors prenez ça pour un cadeau que je vous fais. Faire un calcul, c’est faire reculer l’âge auquel Alzheimer vous tombera dessus de quelques jours.

Je fête un autre anniversaire en même temps : un an sans picole. Ça n’a pas été simple, mais ça n’a pas non plus été si dur que ce que je me l’imaginais. Pourtant au cours de ces dix dernières années je ne m’étais pas économisé le foie. Les sales habitudes étaient tenaces. J’avais comme qui dirait fini par organiser mes journées, et surtout mes soirées, autour de l’alcool. Et bien, vous me croirez vous me croirez pas, ma vie est plus belle que quand je me goinfrais trois litres à 9° par jour et que j’avais trop honte de mon état pour voir qui que ce soit, ou, si par malheur qui que ce soit m’avait vu, trop honte pour ressortir de chez moi pendant trois jours. Je dis pas que c’est la joie en continu depuis, je dis pas que je ne m’enfume plus la gueule au T.H.C. de temps en temps quand je me sens à bout de nerfs et que la bonne humeur ne semble pas revenir d’elle-même, mais je dis que pour moi l’alcool était une saloperie à laquelle il fallait à tout prix que j’arrête de toucher sans quoi je n’aurais certainement pas fait un million de kilomètres de plus autour du soleil. Et si je les avais faits, ç’aurait été en souffrant mille douleurs physiques et psychologiques, ça n’en aurait pas valu la peine.

D’ailleurs, autant naître n’était pas de mon fait et du coup, jusqu’à l’an dernier, casser ma pipe ne m’aurait en vérité pas fait râler plus que ça (je le souhaitais même un peu parfois vu que j’étais un peu moyen assez au bout du désespoir comme on pourrait dire), autant là j’ai fourni pas mal d’efforts pour ne pas crever tout de suite et être un tout petit peu heureux, alors maintenant ça me ferait vraiment chier de pas les faire ces quelques kilomètres de plus. Vous êtes pas d’accord, que je les mériterais ces kilomètres de plus autour du soleil ? Non. C’était un piège. Je crois pas au mérite, quel qu’il soit. Et puis mourir alors qu’on est dans une période heureuse de sa vie a aussi son charme.

Bref, trêve de joyeusetés, un an de plus et je me sens le même en même temps que je me sens changé. Dissertez, vous avez une vie. Moi, je vais aller profiter du cadeau que m’a fait mon amie. Est-ce que je veux parler du fait qu’elle est à mes côtés dans les bons comme les mauvais moments ? Non, on n’est pas aussi spirituels que ça. Elle m’a offert les mémoires de Siné, parues il y a moins d’une semaine chez Les cahiers dessinés. Une pure merveille. Je vous raconterai quand j’aurais fini.

À demain, la bise.

#183 – Lyonniais #010 – Présent, futur, passé

Violences du système contre violences des broyés·es du système. On en cause, on en causera, on en causait déjà. Hasard, bien utile à la tenue de mon blog, des thématiques qui s’entremêlent, voilà que mes lectures matinales de la presse d’il y a un demi-siècle me permettent de rattacher ceci à cela : injustices notoires et ville de Lyon, Pamela Anderson et Delfeil de Ton (deux sex symbols à la langue bien pendue, toujours actives bien que discrètes — ça va Delfeil ? L’accord au féminin pluriel ne vous choque pas tropes ? Y a plus de respect, madame Bouziges).

Lundi 3 décembre 2018, Pamela Anderson écrivait sur Twitter : « I despise violence…but what is the violence of all these people and burned luxurious cars, compared to the structural violence of the French -and global – elites ? »

Le 10 mai 1972, Delfeil de Ton écrivait dans la rubrique Vite, on est pressés de ses Lundis : « À propos des rigueurs de la loi, il ne faut surtout pas, comme le faisait remarquer le « Figaro » du 8 mai, que la Justice puisse être contaminée par les luttes des classes. Elle y perdrait de la sérénité. Le Figaro s’inquiétait, et il n’avait pas tort, au fond, des manifestations populaires contre le notaire de Bruay et sa fiancée dont rien à ce qu’on sache, n’est encore venu démontrer la culpabilité. Le fait d’être un bourgeois dans une région ouvrière n’entraîne pas automatiquement qu’on est un assassin ! Seulement, si les bourgeois étaient toujours jugés avec cette sérénité que réclame le Figaro on n’assisterait peut-être pas, de temps en temps, à ces manifestations de fureur populaire. Que pense, par exemple, le Figaro, de la condamnation de ce chef d’entreprise, présent dans son atelier de chaudronnerie au moment où ce garçon de 17 ans reçut l’ordre de descendre dans une cuve à l’ouverture étroite, dans le fond de laquelle on lui envoya de l’oxygène pour qu’il ne s’y asphyxie pas (merci pour lui) et puisse y effectuer une soudure (qui fit tout sauter) ? La chose eut lieu en octobre 71, à Lyon, à la chaudronnerie Magnard. Le garçon de 17 ans fut si grièvement brûlé qu’il est toujours à l’hôpital et que les médecins réservent leur diagnostic Le patron est passé en jugement. Il a été reconnu coupable. Vous savez combien ça lui a coûté, un garçon de 17 ans foutu pour la vie ? 700 francs d’amende. Ça fait cher la soudure. Le Figaro devrait protester. » À l’époque on avait droit à plus de 280 caractères.

Quelles leçons peut-on tirer du passé afin de fabriquer dès aujourd’hui un lendemain meilleur ? Dissertez, vous avez deux heures. Quand vous aurez fini vous me déposerez vos copies au coin de la rue, près des poubelles, un jour de pluie.

C’est tout ? Ben ouais. Aujourd’hui, c’est dimanche, mais surtout : aujourd’hui, je n’ai pas envie d’écrire, et comme vous n’avez sans doute pas envie de lire, ou de me lire moi en tout cas, je vais pas me forcer. Vous me payeriez que je n’écrirais pas une phrase de plus, et de toute façon vous ne me payerez pas, parce que vous êtes radins·es en plus d’être mauvais·es lecteurs·trices. Ah si, quand même, merci Delfeil, merci Pamela, c’est chouette de votre part d’avoir fait le travail à ma place. Je vous revaudrai ça.

#182 – Lyonniais #009 – L’histoire du Dieu Hibou

Je vous la fais version courte. Les Aïnous chantaient que le Dieu Hibou chantait qu’un jour, alors qu’il survolait le village des humains, il vit un groupe d’enfants sur la plage. Tous avaient des arcs et des flèches d’or. Ils étaient les enfants de familles qui autrefois étaient pauvres et maintenant devenues riches. Tous ? Non, l’un de ces enfants au contraire n’avait qu’un arc tout pourri et des flèches de même qualité. Car il venait d’une famille qui avait été riche et était tombée dans la pauvreté. Comment savait-il tout cela rien qu’en les survolant ? C’est le privilège des Dieux Hiboux, pouvez pas comprendre, vu que vous n’êtes ni dieux ni hiboux.

Quand ils le virent, les enfants se mirent à courir sous lui et à crier : « Le bel oiseau ! L’Oiseau Sacré ! Qui tire sur cet oiseau et arrive à l’avoir en premier est un vrai guerrier ! Un vrai champion ! » Car c’étaient de vrais petits merdeux. Alors les enfants des familles qui étaient autrefois pauvres et désormais riches tirèrent sur le Dieu Hibou qui, évidemment, évita aisément les flèches. Celui qui n’avait qu’un arc et des flèches toutes pourries le visa également, mais les autres se moquèrent de lui : « Eh, regardez le bouseux ! Il pense l’avoir alors que nous on l’a même pas eu avec nos flèches en or, ouuuh, gros pauvre va ! » et ils le piétinèrent et lui filèrent des coups de poing. Mais lui ne faisait même pas attention à eux et il tira, et le Dieu Hibou avait eu tellement de peine pour lui qu’il attrapa la flèche avec sa main, sa main de Dieu Hibou plus dieu que hibou là pour le coup, et il se laissa tomber.

Tous les enfants se ruèrent vers l’oiseau, l’enfant pauvre le premier, et tous l’insultèrent une bonne vingtaine ou trentaine de fois (c’est le Dieu Hibou qui le dit, c’est sa chanson, j’invente rien) : « Eh petit merdeux, c’est pas juste, c’est nous qu’on l’avait visé en premier, sale clochard ! Casse-toi ! » Et ils le tabassèrent bien correct comme il faut. Après un long moment, le pauvre petit réussit tout de même à s’enfuir en tenant l’oiseau fort contre lui, et, ne faisant pas attention aux autres qui l’insultaient toujours, il fonça chez lui.

Quand les parents du petit, qui étaient des vieillards, virent l’oiseau sacré ramené chez eux, ils le saluèrent en se pliant en deux, et se mirent à pleurer et à le vénérer. Ils avaient bien honte de l’accueillir dans leur vieille baraque toute moisie, mais comme la nuit était tombée, ils le gardèrent tout de même en lui promettant une offrande et en lui dépliant une belle couverture brodée pour la nuit. Dès que tout le monde se mit à ronfler, le dieu hibou se leva sur la pointe des pattes et en quelques battements d’ailes magiques couvrit le sol et les murs de trésors et de tissus précieux, et de meubles et de bien d’autres merveilles, et comme la vieille cabane vermoulue n’était pas assez grande, il en profita pour la transformer en immense manoir de métal, qu’il remplit d’autant plus de trésors. À côté du Dieu Hibou, Valérie Damidot pouvait allait se rhabiller.

Au lever du jour, la petite famille n’en crut pas ses yeux. Ils pleurèrent à nouveaux quelques bons litres de bonnes larmes et remercièrent l’oiseau encore et encore, et le vieillard coupa un arbre pour lui fabriquer un Inaos dont il le décora, et la vieille femme alla ramasser du petit bois et recueillir de l’eau pour faire du vin. Du vin de chez eux, qui n’était pas le vin de chez nous, puisque le Dieu Hibou nous raconte qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il y avait six bassines pleines de vin devant le foyer de la cheminée. Ensuite, le Dieu Hibou avec la Déesse du Feu et la Déesse des Personnes Âgées (oui), racontèrent diverses histoires de dieux en se sifflant le pinard avec le reste de la famille.

Après deux jours de beuverie, la vieille mère envoya son fils, qu’elle avait exprès sapé dans de vieilles loques, inviter à venir chez eux tous les gens qui avaient autrefois été pauvres mais étaient maintenant riches. Le Dieu Hibou regarda l’enfant entrer dans chaque maison et délivrer l’invitation, et vit que tous les gens qui avaient été pauvres et qui maintenant étaient riches riaient de lui. « Allons, allons, disaient-ils, quel genre de vin peuvent bien avoir fait ces sales pauvres qui puent et à quel genre de fête ringarde pourraient-ils bien nous inviter ? Allons-y donc pour nous foutre de leur gueule ! » Et donc une foule de personnes se mit en marche.

Certains, de voir seulement de loin l’immense maison furent si surpris et honteux qu’ils rentrèrent illico presto chez eux, la queue entre les jambes. Les autres avancèrent jusqu’à l’entrée de la maison seulement pour rester plantés là, paralysés, sous le choc.

Voyant cela, la vieille femme sortit et, les prenant par la main, les conduisit à l’intérieur de la maison. Tout le monde entra, lentement, plus que discrètement, et s’assit, et pas un d’entre tous ne fut capable de relever la tête. Le vieil homme prit alors la parole : « Comme nous étions pauvres, nous ne pouvions pas nous mêler à tout le monde, sans discrimination, mais le Dieu Hibou qui surveillait le village, a pris pitié de nous et nous a béni de cette façon, car nous n’avions jamais rien fait de mal. Alors, je voudrais demander à ce qu’à partir d’aujourd’hui, tous les habitants de ce village s’unissent et fassent en sorte de s’entendre les uns avec les autres. » Une fois qu’il eut dit ces mots, les villageois s’excusèrent tous auprès de lui et promirent tous très fermement de s’entendre les uns avec les autres dorénavant. Ce qu’ils firent, pour le plus grand bonheur du Dieu Hibou qui continue depuis lors de veiller sur le village des humains et de constater chaque jour qu’ils s’entendent bien les uns avec les autres.

Je vous laisse vous-même dégager une morale de cette histoire. Moi je saurais pas dire.

#181 – Lyonniais #008 – Vraies excuses et faux appartements

Bonjour, ou bonsoir, je ne sais pas, à toutes et à tous. Aujourd’hui, je n’ai plus internet. Je dis aujourd’hui, mais ça dure depuis plus de 24h. Je vous écris donc ces quelques mots sans savoir si je vais pouvoir vous les faire parvenir, et si je peux, à quelle heure vous pourrez les lire. Autant vous dire que je ne suis donc que très moyennement motivé, mais si par un heureux miracle la connexion était rétablie et que je n’avais pas rédigé un mot, certains et certaines m’accuseraient d’avoir profité de la panne pour ne rien foutre. Ce qui est assez mon genre, je dois le reconnaître. C’est d’ailleurs étrange, mais du fait de ne pas écrire directement sur l’interface du blog je n’ai pas l’impression de m’adresser réellement à vous. J’ai la sensation de faire semblant. Les mots ne viennent pas comme d’habitude. Je me force. D’habitude vous n’êtes pas là non plus, c’est vrai, mais j’ai moins de mal à vous imaginer.

Hein ? Comment se fait-il qu’il n’ait pas internet, vous demandez ? En vérité je ne sais pas si vous le demandez, puisque comme je vous le disais j’écris ce document sur LibreOffice et que le lien magique qui me permet d’habitude de savoir exactement ce que vous vous dites au moment ou vous vous le dites est rompu, mais il faut bien que je fasse avancer mon histoire, alors je fais semblant. Comment ça, pas d’internet, donc ? Parce que nous partageons une connexion entre voisines et voisins du même étage. Sommes-nous à ce point fauchés ? Non, mais nous vivons dans de faux appartements. Ah, je sens que j’ai piqué votre curiosité. S’agit-il d’appartements en pain d’épice comme dans le conte Hansel et Gretel ? Ou, un peu comme dans Hook, pensons-nous très fort des portes, des murs, et des salles de bains pour que le terrain vague se transforme en habitation standard par le pouvoir de l’imagination ? Non. Ce n’est pas ça.

Nous vivons dans des appartements qui n’en étaient qu’un seul à la base. Un seul d’environ cent mètres carrés, que les propriétaires ont partagé en quatre studios d’une vingtaine de mètres carrés tout en n’en déclarant qu’un seul. Je sens qu’on va s’amuser pour régler la taxe d’habitation. Il paraît que ça se fait de plus en plus, de partager les appartements en minuscules clapiers. C’est qu’il doit y avoir avantage. Pour le propriétaire, s’entend. Enfin, le problème le plus important pour un blogueur comme moi qui a déjà assez de mal à se tenir à la régularité dans ses publications vient des prises téléphoniques et fibre. Dans trois des quatre appartements, dont le mien, elles sont là, bien visibles, neuves à vrai dire, et pour cause : elles n’ont jamais été connectées à quoi que ce soit. D’un blanc plastique immaculé je vous dis. Les câbles n’ont pas été tirés, personne ne sait ou ne veut savoir exactement où se situe quoi. Ni ex-France Télécom, ni le fournisseur d’accès fibre de l’immeuble, ni le propriétaire des clapiers, ni le gérant qui n’est pas une agence et qu’on se demande bien ce qu’il est, ni le mec qui s’occupe des réparations dans tous les appartements que gère le gérant et qui est le seul de tous ces interlocuteurs auquel on ne s’adresse qu’en l’appelant par son prénom. L’origine africaine de son prénom et le fait qu’il soit homme toutes mains, factotum dirait l’autre, me fait penser que son statut et ses origines justifient du point de vue du gérant et des propriétaires le fait qu’ils n’aient jamais senti le besoin de nous le présenter par son nom de famille, et donc encore moins en le faisant précéder de Monsieur, contrairement à eux-mêmes. Je ne vous fais pas la liste exacte de tous les éléments qui me font appeler ces lieux de faux appartements, croyez-moi simplement si je vous dis que ça ne s’arrête pas là. Mais revenons aux prises qui ne sont là que pour faire joli (et qu’elles sont jolies !) : la seule personne à avoir réussi il y a quelques années, après des mois de galère, à obtenir de toutes les personnes concernées qu’elles prennent le temps de trouver un moyen de faire raccorder son appartement, partage la connexion de la box ainsi que son abonnement, avec les trois autres appartements. Et c’est bien sympa de sa part.

Non, ce n’est pas mon faux appartement. Faut pas pousser.

Malheureusement, il arrive que la box plante. Ce qui est le cas actuellement. De plus, la voisine abritant cette dernière dans son faux appartement s’étant sans doute absentée, comme souvent, pour le week-end et ne nous ayant pas laissé moyen de la contacter, nous l’avons dans l’os. Avec mon amie nous avons bien essayé de créer un hotspot à partir de la 3G de son téléphone, mais celui-ci étant trop mauvais nous n’avons pas réussi à charger une seule page internet depuis le milieu de l’après-midi. Et mon téléphone à moi ? Ça fait plusieurs années que j’ai opté pour un abonnement sans internet. Ne me jugez pas.

Voilà donc où nous en sommes : il est possible que vous ne lisiez jamais ce billet, ce qui, convenons-en, ne produirait sans doute pas un grand manque chez vous, mais si par hasard j’arrive tout de même à accéder au blog avant minuit, il n’est pour autant pas garanti que ce me soit également possible samedi et dimanche, ou même lundi. Dans ce cas-là, ne vous inquiétez pas, vous savez maintenant quelle est la raison de cette absence, et surtout ne pensez pas que tout ça est dû au fait que je suis une grosse feignasse. C’est peut-être vrai, mais vous me vexeriez énormément.

Allez, on se revoit au plus tôt.

#180 – Lyonniais #007 – Ennemond Gaultier, compositeur presque Lyonniais

Hier, je me suis mis en tête de vous causer, de temps à autres, de compositeurs et compositrices Lyonniais·es. Pas de contemporains, quoi que ça pourrait venir (c’est qu’il faut bien le remplir ce blog et qu’à la longue je risque d’être à sec niveau sujets), mais des vieux et des vieilles ! Et c’est comme ça que je suis tombé sur Gaultier le Vieux. Enfin, Gaultier de Lyon. Enfin, Ennemond Gaultier. Ouais… On y reviendra.

Donc, au hasard de mes recherches, je trouve deux partitions pour clavecin issues du Manuscrit Bauyn. Un vieux recueil de pièces pour… Pour…? Clavecin. Très bien. Alors, les titres… Sarabande de Mr Gaultier et Canaries de Mr Gaultier. Okay. Apparemment, c’est pas ses morceaux les plus connus, d’autres de ses compositions portent le même nom, mais a priori ce ne sont pas les mêmes. Voyons voir ce que ça donne. Je lance mes logiciels de musique et je commence à y recopier note par note les partitions. Entre temps, je suis allé faire un petit tour sur Wikipédia où j’apprends que ce brave Ennemond n’était pas du tout claveciniste, mais luthiste. Bon, mais après tout, on peut très bien jouer d’un instrument principal tout en composant pour n’importe quel autre instrument.

Une fois la sarabande notée dans mon logiciel, j’y colle donc un beau son de clavecin et je lance le playback. Hum. C’est pas beau. Ça ne sonne pas clavecin du tout. Mettons-y un son de luth, et quelques percussions vite faites. Et maintenant ?

Ennemond Gaultier – Sarabande du Manuscrit de Bauyn

Ça passe un peu mieux. Alors, oui, vous allez me dire que normalement, une sarabande, c’est plus lent que ça. Hein que vous allez me le dire ? Allez-y, dites le moi. Ah ! Et bien vous vous plantez. Vous n’aviez qu’à mieux vous documenter, ou, comme moi, simplement lire en vitesse quelques infos sur Wikipédia. La sarabande, donc, est à la base une danse rapide qui nous vient d’Espagne ou d’Amérique du Sud, on sait pas bien. On ralentira son tempo au cours du temps, mais on estime qu’à son introduction en France, entre les années 1620 et 1630, elle est encore rapide et ne deviendra la sarabande lente, on pourrait dire baroque, qu’à partir des années 1700 environ. Or, Gaultier vit de 1575 à 1651. Et toc. Bon oui, d’accord, la sarabande serait originalement supposée être accompagnée de castagnettes et moi j’ai mis des sortes de tambourins. Ben d’une j’avais pas de castagnettes sur mon logiciel, et de deux c’est pas parce que dans l’Espagne du XVIe siècle elles étaient accompagnées de castagnettes qu’elles l’étaient également en France au XVIIe siècle. Et re-toc.

Une fois la sarabande terminée, je m’attaque aux canaries. Ce n’est qu’un morceau hein, très court d’ailleurs, ça s’appelle canaries avec un s, mais c’est une seule pièce. Le moyen français c’est relou. Là, pareil, je refais bien toute la partition dans mon logiciel, j’y fous du clavecin… et c’est de la merde. Je repasse en son de luth et voilà ce que ça donne :

Ennemond Gaultier – Canaries du Manuscrit de Bauyn

Certains clavecins disposent d’un jeu luthé, c’est-à-dire qu’une petite barrette couverte de feutre ou de cuir qui vient s’appuyer sur les cordes pour en étouffer le son et donner l’impression qu’on joue du luth, il est donc possible que ces deux pièces aient été composées pour qu’on les joue de cette façon (sauf que j’ai pas cette option sur mon logiciel), mais il est également possible que ce soit des adaptations pour clavier de tablatures pour luth. Et oui au passage, les tablatures, ça remonte à loin, ce ne sont pas les « partitions pour les nuls » que beaucoup se figurent.

Les canaries donc, ou la canarie plutôt, est encore une fois une danse avant tout. Que nous dit Wikipédia en français ? Vraiment pas grands chose. Et en anglais ? À peine plus. Et en allemand ? Ah, là y a de l’info, là c’est pointu ! Seulement je cause pas allemand, enfin plus que très mal. Ce que j’ai réussi à comprendre de tout ça, c’est que c’est une danse qui nous vient des îles Canaries, qui a été très populaire en Europe au XVIe et au XVIIe siècles, et que généralement son tempo est plus rapide que celui d’une gigue. Et démerdez-vous avec ça. Je pense du coup que ma version n’est pas assez rapide, mais écoutez hein, ils n’avaient qu’à être plus précis dans les instructions sur la partition. Déjà qu’on n’est pas sûrs que ce soit une pièce pour clavecin à la base, et qu’on n’est même pas sûrs que ce soit Ennemond Gaultier et pas son cousin Denis, qui était aussi luthiste, le compositeur de ces deux morceaux ! Faudrait voir à faire un effort.

Est-ce qu’au moins ce Gaultier de Lyon est véritablement de Lyon, hein ? Ben non pardi ! C’est qu’il me ruine ma note de blog ce mec-là. Pour la peine on va l’appeler par son autre surnom, Gaultier le Vieux, ça lui fera les jambes. Gaultier le Vieux, donc, est né à Villette-Serpaize (à une petite trentaine de kilomètres de Lyon) en 1575 et serait mort à Les Nèves, qui serait aujourd’hui Salaise-sur-Sanne (à une bonne soixantaine de kilomètres de Lyon) en 1651. Niveau carrière : on dit qu’il aurait été page chez Antoinette de La Marck, Dame de Monsmorency, à l’age de sept ans ; on dit aussi qu’il aurait fait son apprentissage entre Toulouse et Pézenas, mais on dit également qu’il aurait d’abord travaillé à Lyon avant d’entrer au service de Marie de Médicis en 1620. Bref, on en dit des choses, et des choses pas sourcées. Vous voyez, c’est vraiment le merdier, et moi je ne suis qu’un simple blogueur, ni journaliste ni chercheur, qui s’est donné pour objectif de torcher un article par jour, alors ne comptez pas en apprendre plus ici parce que j’ai plus le temps. C’est déjà bien beau qu’on l’ait pas totalement oublié, Gaultier le Vieux pas vraiment de Lyon.

#179 – Lyonniais #006 – Aujourd’hui je voulais faire court, mais là c’est pas ma faute

Hier et avant-hier, j’ai écrit des billets relativement longs (longs pour le lectorat des internets qui décroche au bout de trois paragraphes en moyenne) et plutôt sérieux (faut le dire vite). J’avais donc décidé qu’aujourd’hui la note serait con et courte. Au final, pour le côté court… vous jugerez vous-même. Par contre niveau connerie, je crois qu’on respectera nos engagements.

Hier (répétition), alors que je rentrais de la fac, je me rappelai que nous n’avions plus grand-chose à déjeuner le matin, et qu’il aurait peut-être été bon que je fasse quelques menues courses, en plus de me dire que je me taperais bien un petit goûter vu que je n’avais pas mangé depuis 6h du mat et que les quatre cafés que je m’étais enfilés (voir billet d’hier) commençaient à me ronger doucement l’estomac. Ça tombait mal car un supermarché d’une grande enseigne du genre que je déteste bien comme il faut se situait juste à quelques mètres en face de moi. La mort dans l’âme, et la flemme dans les jambes, je finis par me résoudre à y entrer pour ne pas avoir à faire un détour. Vous pouvez m’insulter.

Je choisis dans les rayons :

  • un pot de confiture de fraises ;
  • un tablette de chocolat noir ;
  • un sachet de petits pains grillés suédois.

Je payai par-carte-s’il-vous-plaît. – Sans contact ? – Oui, merci. Puis j’attendis. Longtemps. Longtemps. Longtemps. Longtemps…

Dites-donc, elle est un peu longue votre machine l… NOM DE DIEU !!

QU’AI-JE FAIT ?? J’AI TUÉ LA FORÊT AMAZONIENNE À MOI TOUT SEUL POUR TROIS BISCOTTES !! Incroyable ! Ça n’en finissait plus de sortir !

D’ordinaire, si vous avez fait peu d’achats, la personne à la caisse vous demande si vous voulez le ticket ou pas. Là elle n’a rien demandé, elle a bien dû voir à mon visage que oui, je le voulais ce ticket, que j’allais même l’encadrer, que j’allais l’honorer toute ma vie à la mémoire des arbres tombés sous les coups meurtrier du couponing abusif, que j’allais ajouter cette aberration à la longue liste des raisons qui feront que je ne refoutrai plus jamais les pieds, ou alors que je n’oublierai pas de me fouetter 19,99 fois, dans ce genre d’hypermerdiers à la con.

Non, sans déconner, même le lendemain, je suis toujours autant époustouflé par la longueur de ce ticket de caisse que j’en suis écœuré. Sur les 1,14 euros que m’ont coûté la plaquette de chocolat (dont j’ose pas imaginer les conditions de récolte des fèves de cacao qui ont servi à sa fabrication, non vraiment, faut pas que j’imagine), les 14 cents sont sans doute partis dans l’encre et le papier.

Est-ce que je commente l’obscène « + J’ACHETE + J’ECONOMISE ! » de la dernière portion de ce ticket en quatre parties et d’une longueur totale de 87cm (j’ai mesuré) ? Non. Je ne le commenterai pas. Je pense que je pourrais en péter d’une rupture des veines du front. Je vous laisse à votre loisir méditer sur cette maxime moderne, moi je vais prendre l’air, ça va me faire du bien.

#178 – Lyonniais #005 – Je m’inquiète de peu, mais ça va passer

Je suis inquiet. Pourquoi donc, me demanderez-vous, en cette période faste, et d’harmonie sociale, et de paix mondiale, et de stabilité climatique, et de démocraties florissantes ? Je vois que vous n’avez pas perdu votre humour. C’est bien, nous en aurons sans doute besoin dans les années qui viennent. Bon. Je suis inquiet car je me demande si l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Le cycle des guerres et des armistices est-il donc impossible à arrêter ? Y aura-t-il un décembre 2018 cinquante ans après mai 68 ? Y avait-il un Elon Musk en Atlantide qui avait déjà commercialisé avec succès des voitures électriques et envisagé le voyage sur Mars ? Les Atlantes colportaient-ils-et-elles eux-et-elles-mêmes les rumeurs d’une île engloutie à la technologie hautement avancée alors que tout le monde savait bien que c’était des conneries ? Euheum. Excusez-moi, je me perds en digressions absurdes, mais c’est tellement tentant avec des questions aussi ouvertes et banales que celle-ci. Allez, une petite dernière : combien de fois au cours de l’Histoire a-t-on déclaré que ou s’est-on demandé si l’Histoire n’était qu’un éternel recommencement ? Je ne le sais pas plus que vous. Je peux simplement vous indiquer, et plutôt maladroitement, les quelques éléments qui ont fortuitement contribué à mon inquiétude à ce sujet aujourd’hui.

J’étais tranquillement en train de bouquiner sur un banc de l’université cet après-midi (non, je n’ai pas repris mes études, je suis auditeur libre, mais j’y reviendrai sans doute un autre jour), quand je m’avisai qu’un ou plusieurs hélicoptères nous survolaient. Je me demandai si c’était la Carte au Trésor qui tournait un épisode à Lyon, mais, sans personne de mieux informé alentour, je poursuivis ma lecture sans me poser plus de questions :

« L’histoire offre peu de spectacles aussi poignants que ce retour de violence qui déchira le tissu de la paix impériale. Destin des civilisations tranquilles : elles s’enrichissent de leurs travaux, s’amollissent dans le confort — et deviennent la proie d’envahisseurs étrangers. Les Japonais, du XIIe au XVIIe siècle, surent fort bien s’envahir eux-mêmes et se massacrer insulairement. La violence, longtemps endormie, se réveilla comme une fièvre contagieuse. Dans les provinces, les clans s’armaient. Des brigands venaient hanter les abords de Heian. Les monastères bouddhiques eux-mêmes se constituaient des milices, et d’un temple à l’autre les querelles donnaient lieu maintenant à des batailles rangées. Les moines, rassemblés jadis au sommet du mont Hiei pour protéger de leurs prières la capitale, portaient le tumulte dans ses rues et brandissaient en processions menaçantes des hallebardes et des images saintes. (…)

Ceux qui restaient isolés étaient perdus, il fallait entrer dans la mouvance d’un clan majeur, et renforcer les plus forts pour mériter leur protection. Des coalitions se formèrent, de plus en plus vastes, et ce mouvement d’agrégation fit apparaître, au XIIe siècle, deux ensemble rivaux, de puissance à peu près égale, l’un dirigé par la maison de Taira, nommée aussi Heike — l’autre par celle des Minamoto, ou Genji. Tout se divisait et se polarisait, il fallait être soit blanc, soit noir, comme dans la Florence de Dante. Ce partage, qui sillonnait toute l’épaisseur de la société japonaise, depuis les plus lointaines rizières jusqu’à la cour, rendait la lutte à mort inévitable. (…)

Les fujiwara se flataient d’être les spectateurs d’une guerre d’usure, ils attendaient l’annihilation de la violence par la violence — illusion toujours déçue des neutres. La cour n’avait plus le pouvoir d’arbitrer le conflit, elle n’avait même plus les moyens de défendre sa neutralité. Le jeu des forces rivales la traversa, la ballotta, la déchira. (…)

Les mœurs avaient changé : l’exil ne suffisait plus, ni le cloître. La peine de mort, l’attentat, le suicide étaient de nouveau la sanction dernière des conflits de pouvoir. On n’hésitait plus à faire mourir un moine convaincu de conspiration, à brûler des temples pour l’exemple. Un prisonnier de guerre, on le décapitait. On s’exerçait sur lui au maniement des armes, on vérifiait sur sa chair le tranchant d’une lame. Le droit de survivre à la défaite n’était pas reconnu. Pas de quartier pour celui qui n’avait pas su vaincre, qui vaincu n’avait pas su fuir, qui ne pouvant fuir n’avait pas su se tuer. »

Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon, Éd. Gallimard, 2012.

C’est à peu près à cet endroit du bouquin que je fus tiré de ma lecture par des clameurs venant de l’extérieur. C’était à n’en pas douter les voix mêlées et grognantes d’un bon groupe de manifestants bien de chez nous. Au même moment des hommes de la sécurité passèrent juste devant moi, courant je ne sais où, une entrée sans doute, et gueulant dans leur talkie-walkie : « PUTAIN ! PUTAIN ! FERME !! FERMEEE !!! » Pendant ce temps, les hélicoptères ne cessaient pas de tournoyer là-haut dans le ciel mi-gris, mi-bleu, ça dépendait des moments. Évidemment, je me doutais bien que ce n’était pas grand chose —et ça n’était réellement pas grand chose— aussi je me replongeai dans mon livre, mais bon, vu l’ambiance dans le monde et dans le pays, ma lecture ne sonnait pas exactement de la même manière que si j’avais été vautré sur l’herbe d’un parc entouré d’enfants s’amusant pendant les trente glorieuses. J’eus quelques pistes possibles sur les raisons de cette effervescence juste avant de rentrer dans l’amphi, par les conversations captées vite-fait entre certaines étudiantes : « manifestations… lycéens… écoles… casseurs…. fermetures… contrôles… moi j’aime pas les carottes, sauf crues… moi c’est les épinards… » Rien de bien original quoi. N’empêche qu’hier, même si comme je vous le disais en ce moment je ne suis pas l’actualité, j’avais également eu vent de certains évènement qui m’invitaient à penser que les choses risquaient de devenir un peu plus sérieuses qu’elles ne l’avaient été au cours de ces dix dernières années en matière de conflits sociaux.

En cours, nous avons enchaîné sur l’histoire de Tokyo, de la fin du shogunat à nos jours, et il me fut fort navrant (je sais pas pourquoi j’emploie ce registre, alors posez pas la question) de voir dans un même pays une jeunesse nourrie au nationalisme puis quelques années plus tard une autre au pacifisme et comme les deux recettes avaient été aussi aisées l’une que l’autre à composer par le gouvernement et à accepter par le peuple. La différence étant que l’une avait produit une nation prodigieuse économiquement parlant, tandis que l’autre avait conduit à, choisissons au hasard parmi ses prouesses, 20 millions de morts en Chine et Pearl Harbor. Les images de la montée du nationalisme m’évoquaient évidemment aussi tous les discours qu’on peut entendre à nouveau murmurés de-ci de-là en Europe et aux États-Unis ces derniers temps. Ah, mais le plus rageant et inquiétant à la fois, c’était de voir comme l’être humain se satisfait de décennies de massacres de masse aussi bien que de longs siècles de raffinement toujours plus poussé dans les interactions sociales et dans les arts, ou bien de la recherche perpétuelle de justice comme de l’arbitraire le plus éhonté. Si seulement au Japon on avait sauté l’étape sanguinaire pour passer directement au premier pays dont la constitution interdit à jamais à son peuple de se munir d’une armée (à jamais, c’est ce qui est écrit, aujourd’hui il y a tout de même des débats à propos de…), ça aurait été… euh… ben, vachement plus sympa. Après la guerre, d’une génération à l’autre, les jeunes n’ont même pas bronché quand leurs professeurs ont changé de méthodes pédagogiques et de morale, ils ont mangé la bonne purée d’idéal de paix mondiale qu’on leur donnait et, surprise, ils n’ont pas été malades ! Même, je crois que ça leur a donné le goût de. C’est dommage qu’on n’ait pas commencé par ça tout de suite, parce que pour ceux qui y ont goûté jeune le gout du sang à l’air difficile à oublier. 

Nous avons également revu brièvement quelques images du mai 68 japonais que nous avions déjà étudié auparavant un peu plus en détail. Les images nous sont familières. On dirait la France, à voir l’équivalent des C.R.S. Japonais déloger à coups de canons à eau les étudiants en colère de leur université occupée depuis un an. Sauf que ! si chez nous l’histoire nous apprend que les étudiants gauchistes (et ce n’est pas un sale mot dans ma bouche) qui naguère rêvaient d’un monde plus humain et s’unissaient aux travailleurs (rêvant, eux, d’un travail moins con, moins dur et surtout plus justement rémunéré et organisé) pour caillasser la flicaille à la solde du pouvoir en place sont devenus les fervents défenseurs du libéralisme antisocial d’aujourd’hui, au Japon elle nous a montré que les mouvements de gauche peuvent, aussi bien qu’une droite conservatrice, produire de bons assassins, comme ceux de l’Armée Rouge Japonaise ; ces gens qui n’hésitaient pas à détourner des avions, tirer dans la masse pour faire entendre leurs idées, et qui finissaient même par s’éliminer entre eux, par paranoïa ou pour d’infimes divergences entre les doctrines de leurs différentes factions.

Pour être tout à fait honnête, peut-être que ce qui m’a également rendu un poil nerveux, c’est de m’être enfilé quatre cafés en deux heures, alors que d’habitude je n’en bois pas, le tout en compilant les horreurs de l’humanité sur ce petit bout de terre entouré des eaux. Mais bon, même sans café, temps de paix et temps de guerre semblent tout de même inlassablement se succéder jusqu’à aujourd’hui.

Alors, l’Histoire, un éternel recommencement ? Ai-je raison de m’inquiéter un peu, moi qui n’ai jamais été porté au déclinisme ou à l’apocalyptisme (doit y avoir un vrai terme pour ça, mais là je l’ai pas) ? Les humains sont-ils condamnés à s’entretuer, se sacrifier, à intervalles réguliers pour des conflits d’idéaux dont les enjeux seront incompréhensibles ou simplement jugés ridicules à leurs propres yeux dix, vingt, cinquante, cent ans plus tard ? J’ose espérer que non. D’ailleurs, pour ne pas laisser croire que Monsieur Pinguet se montre injuste envers l’humanité dans son bouquin, je terminerai cette note par un autre extrait :

« S’il existait une nature humaine, nous pourrions nous contenter d’en demander raison aux sciences de l’homme. Psychologie et sociologie nous livreraient une essence peut-être variée et complexe mais immuable du suicide — comme de la famille, de l’art, du châtiment, du travail, de la folie, du pouvoir, ou de toute structure cardinale de l’être homme. Ce serait le cas si l’homme était séparable du temps — vieux rêve que l’idéalisme métaphysique poursuivit et que la science voulut reprendre. Mais comment fixer, au nom de la loi divine, au nom des lois de la nature, des limites que l’homme ne voudrait pas dépasser ? Nous pouvons décrire et comprendre, mais définir et déterminer, non. À la question : qu’est-ce que l’homme ? — nous ne pouvons que répondre : demandez-le à son histoire, car l’homme est à lui-même une énigme éparse dans le temps. Il n’est que la somme dispersée de ses possibilités, de tout ce dont il se rendit, se rend et se rendra capable. Ce qu’il est n’est que ce qu’il peut être, et ce qu’il peut être c’est à la réalité historique future ou déjà accomplie de nous le dire — en le recueil de sa mémoire, en la fermeté de sa décision et de son espoir. L’unité de l’homme n’est pas menacée par la liberté qu’il prend de s’inventer puisque toute pratique inscrite dans l’histoire se laisse  comprendre et se révèle, à l’examen, dotée de sa logique propre, peu à peu intelligible à travers, nous dit Nietzsche, « tout le long texte hiéroglyphique, laborieux à déchiffrer, du passé de la morale humaine ». »

Allez, à demain.

#177 – Lyonniais #004 – Ces rues de Lyon qui changent de nom et de genre

Aujourd’hui, après nous être levés à six heures du matin mon amie et moi, je suis allé marcher un peu. Six heures !! vous vous dites. Et oui. Nous sommes à la fois la France qui se lève tôt et les assistés au RSA. Certains ou certaines pourraient y voir un paradoxe, maiz-ilz-et-zelles se tromperaient. C’est que nous sommes de vraies raclures, le vice dans le sang je vous dis : si on se lève si tôt, c’est pour pouvoir profiter au maximum de nos journées à ne rien branler. Les heures qu’on passe à dormir, c’est de la bonne oisiveté perdue. Confiture aux cochons. Allons, allons ! Calmez-vous ! Reposez ce stylo Sarko 2012 et rangez ce pins du medef… je vais tout vous expliquer, vous n’allez quand même pas risquer la taule pour ça, non ? Tout ça c’est des blagues, vous vous en doutiez bien. Mon amie devait parcourir des kilomètres pour effectuer en stage dans le but de travailler un jour *tousse-traîtresse à la cause-tousse-tousse*, et moi je me suis simplement levé par solidarité. Bon, où j’en étais ? Ah oui, je suis sorti marcher. Comme souvent. J’adore marcher. Et depuis que j’habite ici, j’ai souvent tendance à partir du côté du Vieux Lyon. Pour ça je traverse le pont de la Guillotière, puis tout droit par Bellecour —sans jamais y jeter un œil, il paraît que c’est le kilomètre 0 de Lyon, mais pas que ! c’est également le degré 0 de l’esthétique. Remarquez, avec un nom pareil on ne peut que décevoir—, et enfin y a plus qu’à se farcir le pont Bonaparte à l’entrée duquel (côté Quai des Célestins) on peut parfois écouter et regarder un bonhomme jouer de l’orgue de barbarie.

Je marchais, donc, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir vous raconter sur ce blog parce que je ne peux pas vous faire le coup de la panne d’inspiration chaque jour, quand je tombai sur une rue qui venait d’être renommée. Le coup de bol quoi !

Sur le coup, je me dis : chouette ! Je vais essayer d’en trouver d’autres, et quand j’en aurais pas mal, je ferai un article sur les nouvelles vieilles rues du Vieux Lyon. Rien qu’à le lire, vous voyez bien que c’est une bonne idée. Bon, mais au final ce n’est pas ce que j’ai fait. Je me suis aussi dit : c’est vrai qu’il y a beaucoup d’églises ici et qu’on m’avait prévenu que c’était le fief des cathos, alors peut-être qu’au fond ce n’est pas si mal de commencer à lentement déreligieusiser (je sais) les lieux publics en donnant le nom d’un écrivain à l’ancienne rue des Prêtres. Notez que je n’ai rien contre les religions, mais bon, puisque c’est souvent sujet à tensions, si on peut trouver autre chose… Seulement comme je viens de m’apercevoir du fait que le titre de cet écrivain était Monseigneur, je me demande si ma remarque était bien pertinente.

Enfin, bon, et puis j’avance d’une, deux centaines de mètres, pas plus, et là ! sur quoi est-ce que je tombe ? Une nouvelle rue renommée. Et oui. L’univers avait entendu ma demande, le cosmos m’avait répondu, il me tapait sur l’épaule et me disait : t’es pas tout seul mon vieux, t’es pas tout seul…

Bon, okay, ça ne fait pas aussi officiel. Ou alors la mairie est vraiment dans la merde financièrement. Mais non, vu le quartier, c’est pas possible. Il s’agit donc sans doute d’une démarche féministe. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet dans ses moindres détails, car d’autres l’ont fait bien mieux je ne le pourrais, mais ils s’agit de rendre les femmes un peu plus visibles dans notre société, dans nos espaces publics. Ce genre d’actions a déjà été mené à Lyon en 2014, puis à Paris en 2015 et à Montpellier en 2016 (qui d’ailleurs semble avoir convaincu la municipalité) par l’association Osez le féminisme ! L’un de ces articles nous informe aussi du fait que dans notre beau pays où « égalité » s’étale en lettres capitales sur le fronton de nos mairies, 2% seulement des noms de rues sont celles de femmes retenues par l’Histoire. Aux dernières nouvelles, les femmes constituent 49,6% de la population mondiale. Vous voyez où on veut en venir à peu près du coup ?

Les pas jouasses qu’auraient du beurre à la place de la culture et qui l’étaleraient donc en conformité au bon mot dont je ne me souviens plus mais qui est très connu en clamant que si on retient plus souvent les grands hommes de l’Histoire que les grandes femmes, c’est parce qu’elles sont moins nombreuses devraient y réfléchir à plusieurs fois avant d’ouvrir leur claque-merde. C’est justement cette erreur de raisonnement que ces actions démontent en montrant qu’on pourrait aisément rendre un hommage à une femme illustre pour chaque rue, place ou MJC, ou stade ou quoi ou qu’est-ce, que compte une ville. Et même, on pourrait faire le pari que pour chaque rue, on pourrait même rendre hommage à deux femmes.

Mais ménageons les angoissés d’un non-respect de la parité inversé dans un avenir proche : il n’a jamais été question au cours de ces démarches de faire disparaître les noms masculins de petites plaques bleues ou blanches (ou vertes… je ne sais pas s’il y a d’autres couleurs encore. Y a-t-il une norme des plaques de noms de rues ? C’est à chercher). Bien qu’à La Ville-aux-Dames, près de Tours, ce soit le cas (bel article à ce sujet) et que personne ne trouve à s’en plaindre. À Perpignan par contre, loin des 100% de noms de femmes, nous sommes à 1%.

Espérons donc que ces petites plaques choquent moins les quelques angoissés du grand remplacement du masculin par le féminin qu’elles ne rappelleront à tout le monde qu’on oublie encore trop souvent les femmes qui par le passé ont contribué à faire de notre présent ce qu’il est, et qu’il est temps de corriger la mauvaise manie des chroniqueurs et queuses de l’Histoire de n’accorder qu’au masculin les honneurs posthumes. Temps également de casser la triste habitude d’envisager l’Histoire uniquement comme l’histoire des gouvernements, des armées et des religions —domaines majoritairement conçus comme chasse gardée des hommes— et non celle des folklores, des arts populaires, des actions sociales et solidaires spontanées, des sciences et de la recherche sur le terrain, de l’enseignement et de l’éducation avec les moyens du bord, bref, l’histoire de toutes celles et ceux qui, plus ou moins anonymement, ont simplement vécu. Femmes comme hommes, sans distinction.

Aung San Suu Kyi, hein ? Ouais, bon, les rebaptiseuses et/ou rebaptiseurs auraient pu trouver un peu moins dictatorial comme exemple, mais après tout, il y en a sans doute aussi, inscrits sur des plaques, des noms de bonhommes qui ont chié sur l’humanité de leur vivant pour ne favoriser qu’une petite partie bien délimitée de celle-ci. À Montpellier, Georges Frêche, qui lui même n’était pas un saint, nous à bien gratifié d’une place du XXe Siècle où les statues de Nelson Mandela et de Gandhi côtoient celles de Lénine et de Mao Zedong… Et lui ne s’est pas contenté d’inscrire leurs noms sur une feuille à carreaux à ses propres frais. Non. Il a fait sculpter dix statues en bronze avec du bon argent bien public. D’ailleurs, cette place du XXe Siècle, on l’appelle aussi place des Grands Hommes, sans doute pour la bonne raison qu’une fois de plus une seule femme pour neufs hommes est représentée, et il s’agit de Golda Meir. Alors bon, Aung San Suu Kyi ? Ça n’aurait pas été mon choix, mais pourquoi pas. La Birmanie, je n’en sais vraiment pas grand chose, et au premier coup d’œil il m’est difficile de comprendre quel rôle joue réellement cette personne dans sa région du monde.

Au passage, ces plaques de rues artisanales me touchent d’autant plus que les personnes les ayant posées n’ont pas attendu une journée internationale des droits des femmes, ou un quelconque rassemblement (à ce que je sache), et n’avaient visiblement pas de grands moyens. Elles l’ont juste fait avec ce qu’elles avaient sous la main. Peut-être même que cette personne était seule. Bravo, donc. J’applaudis des deux mains (quelle expression à la con), et j’espère que vous en faites de même derrière votre petit écran d’ordinateur.

Je repense à la plaque d’Aung San Suu Kyi et je me dis que, de toute façon, le principe de l’égalité homme-femme-autre, c’est bien aussi que chacun·e ait le droit d’être aussi con·ne, aussi méchant·e, aussi arrogant·e, aussi opportuniste, aussi manipulatrice·teur, que son voisin ou sa voisine. Bien sûr qu’on souhaiterait que toute cette tolérance enclenche une sorte de cercle vertueux, mais bon… Enfin, chacun·e devrait également avoir le droit d’être aussi bisounoursiste que sa voisine ou son voisin, non ? Quoi qu’il en soit, en vérité, moi, grands hommes ou grandes femmes et honneurs posthumes hein, dans l’absolu, j’en ai rien à carrer. Les gens de pouvoir, les personnes qui veulent influencer les masses, marquer l’histoire… ils et elles me sont suspects, de base. Après, faut voir au cas par cas… Non, sans déconner, ça me travaille beaucoup trop cette plaque Aung San Suu Kyi. Faut que j’arrête d’y penser. Vous n’êtes pour l’instant pas très nombreux·ses à lire ce blog (peut-être parce qu’on n’en est qu’au quatrième billet et que j’ai laissé tomber l’écriture quatre mois entre le précédent blog et celui-ci) mais si ça invoque une envie pressante de vous exprimer, n’hésitez pas à vous soulager dans la section des commentaires, c’est fait pour ça.

Anecdote à la con pour conclure ce billet bien fourni : il y a quelques années, je voulais écrire un scénario de B.D. ou de court-métrage dans lequel il aurait été révélé que le ras-de-marée d’émissions de télé-réalité complètement pourries sous lequel nous avons été englouties·s ces quinze dernières années était en réalité non pas la conséquence d’une volonté conjointe des chaînes de télévisions et des annonceurs publicitaires de faire un max de pognon, mais bien une tentative des municipalités et des constructeurs de faire émerger de nouvelles célébrités le plus rapidement possible afin de pouvoir nommer les centaines de milliers de rues et d’immeubles nouvellement créés chaque année, l’Histoire ne suffisant plus à en fournir en quantité nécessaire au rythme où bâtissent nos sociétés modernes. Hélas, ce scénario est rendu caduque par le fait que désormais nous constatons toutes et tous que si l’on venait à manquer de noms, il suffirait de commencer à choisir du côté de l’humanité né avec une paire d’ovaires —aujourd’hui, et au dernières estimations, cette part de représenterait environ 3,7 milliards d’individus, ça devrait amplement suffire même si on s’interdisait de taper dans les personnes décédées—, et cette constatation, qui fait voler en éclat mon petit scénario, nous la devons aux féministes. Décidément, elles sont toujours là pour faire chier celles-là.

 Allez, à demain. La bise.



#176 – Lyonniais #003 – On navigue à vue, sauf qu’on n’y voit rien.

Les grands artistes, c’est-à-dire ceux qui sont très productifs ou qui font beaucoup parler d’eux, sont-ils tous de grands angoissés ? Et là, plutôt que de coller de l’inclusive à tous les mots je recommence au féminin : les grandes artistes, c’est-à-dire celles qui sont très productives ou qui font beaucoup parler d’elles, sont-elles toutes de grandes angoissées ? (Vous voyez qu’il nous manque un vrai neutre.) Je me pose la question. Je n’ai jamais passé autant de temps à composer, à dessiner ou à écrire que dans les périodes où j’étais au plus bas. Dans les moments où ça va plutôt bien, rien ne me pousse à fabriquer quoi que ce soit. Enfin, rien… L’ennui, parfois. Mais l’ennui produit des petits gribouillis sur un coin de feuille, trois notes sur un projet Logic qui dormira au fin fond d’un dossier jusqu’à la mort du disque-dur sans jamais être ré-ouvert, ou, au hasard, une note de blog qui explique qu’on ne sait pas quoi raconter… Rien de grand, rien de merveilleux, rien qui dise : regardez, j’existe, youhou ! Regardez-moi, regardez-ça, comme c’est beau hein, si, c’est beau ce que j’ai fait, ou en tout cas c’est impressionnant, c’est indéniable, ça veut dire que vous devez m’aimer. Regardez, j’ai pris des belles couleurs, choisi de belles harmonies, enfilé les plus beaux mots que je connaissais les uns après les autres pour que vous m’aimiez, alors soyez pas vache !

Voilà, c’est ça. J’ai comme l’impression que l’ennui produit l’art pour l’art, l’art pour soi, et que l’angoisse produit l’art pour affirmer son existence, l’art pour le regard de l’autre. Il me semble que là, si j’étais dans un PMU, j’aurais eu droit aux applaudissements de la salle. Oui, d’accord, faut vraiment que j’arrête de faire comme si le PMU était LE lieu de la philosophie à deux ronds, c’est vieux jeu. Et puis j’oublie l’art pour le pognon, aussi. Démerdez-vous pour le faire rentrer quelque part dans ce schéma, moi j’en ai déjà marre.

Toutefois, cette réflexion n’était pas anodine. Si je me la pose aujourd’hui, c’est que je ne sais pas quoi raconter, justement. Ce matin je me suis réveillé naturellement à 9h et, malgré l’absence de soleil, j’étais plutôt de bonne humeur. Sans me laver, j’ai enfilé mes fringues de la veille pour aller faire un petit tour en ville. J’espérais prendre quelques photos pour le blog et m’acheter un truc à grignoter. Pas prendre un café ; depuis que j’ai arrêté de fumer (pour la vingtième fois en trois ans, je crois), le café, c’est trop dur. Eh ben je me suis bien baladé, malgré la pluie, et je n’ai rien pensé à photographier. J’étais juste… bien. Je pensais à des choses et d’autres… Pas d’angoisse de l’après, celle que je ressentais souvent fut un temps et qui me faisait me dire : okay, là on s’amuse, mais après, qu’est-ce qui va se passer, hein, on va déprimer de s’être autant amusé, on va se sentir tout seul, tout nu dans un grand vide émotionnel, ça va être la grande descente, non, on ne peut pas se reposer, il faut vite préparer la suite. Ce matin, rien de tout ça. Je me baladais, et c’était suffisant.

Là, vous vous dites sans doute que je suis en train de bien me foutre de votre gueule puisque je vous colle un photo sous le nez alors que j’ai dit ne pas en avoir prise. Vous êtes vraiment pas malins, hein ? C’est une que j’avais en stock d’un matin où je me rendais à l’association dans laquelle je fais un peu de bénévolat. Il était 8h du matin, et j’ai toujours rêvé de visiter Silent Hill, alors clic-clac, j’en ai pris quelques clichés avec mon téléphone. Ça n’avait pas vocation à se retrouver sur le blog, mais puisque je n’ai rien à raconter, autant balancer deux trois images pour faire illusion.

On m’avait dit qu’à Lyon il y avait souvent du brouillard avant que j’emménage, et c’est vrai qu’il y en a. J’adore ça. La pluie me fait chier, mais un gros brouillard bien dense (chose étrange, sur les photos que j’ai prises on voit mieux que ce que j’y voyais moi-même, je ne sais pas à quoi c’est dû. Le brouillard était très blanc, très proche. Du genre, de mes propres yeux, je ne voyais pas plus loin que le petit panneau jaune, lui-même bien voilé par la brume. Si quelqu’un sait à quoi c’est dû, je serais curieux de le savoir.), même super humide, qu’est-ce que c’est beau ! J’en boufferai bien tous les jours. L’imagination peut enfin venir se superposer au réel, et sans artifice hautement technologique. Quel bonheur de ne pas savoir ce qui pourrait surgir de la brume à tout moment et à moins de dix mètres de nous. Tant que ce n’est pas une voiture sortie de la route, bien entendu.

Hein ? Elle commence à être longue cette note de blog ? Oui, je suis d’accord, je vais la terminer rapidement. C’est qu’à force d’écrire pour rien je commence à trouver quoi vous dire, c’est rageant. Bref, faisons vite. Si vous aimez les ambiances à la Silent Hill, vous aurez sans doute déjà vu des images de la ville réelle qui a inspiré la fiction, Centralia, en Pennsylvanie aux États-Unis. Avant c’était froid, très austère. Maintenant les fans du jeu vidéo et des diverses adaptations taguent à tours de bras les routes et certains bâtiments, ça ne gâche pas vraiment le côté étrange et inquiétant du lieu, mais ça change la nature de l’ambiance. Je ne saurais pas dire si c’est dommage ou pas. Et là j’allais faire mon malin en vous filant deux, trois liens vers les comptes twitter de photographes d’urbex Français et Japonais dont le travail vous plonge dans des lieux qui furent un temps aménagés par l’homme mais sur lesquels la nature à repris le contrôle, seulement, je me rends compte que je les suivais depuis le compte que j’ai supprimé il y a un an… donc c’est raté. Je chercherai ça et je vous les balancerai ici si je les retrouve. En attendant, vous pouvez aller fureter du côté du bien maigre subreddit r/SilentHillPorn, collection de photos de villes dans la brume ou d’intérieur d’immeubles en ruine. Ouais, y a pas grand chose, du coup ce serait pas mal de l’alimenter si vous avez de quoi dans vos fonds de tiroir.

Si j’écoute de la musique quand je me balade dans le brouillard ? Très bonne question, bravo. Eh bien oui, s’il se trouve que j’ai mes écouteurs sur moi, j’écoute le plus souvent l’album Damnation, de Opeth, mais ça peut également être Blackwater Park, du même groupe. Je conseille à tout le monde d’essayer ça avec le premier des deux albums cités, et à ceux qui ont une bonne tolérance au métal je conseille d’essayer avec le second. Allez, sur ce, je vous laisse, et je vous souhaite qu’il fasse bien gris par chez vous en ce premier dimanche de décembre. La bise.

#175 – Lyonniais #002 – La révolution ? T’es sûre ?? Moi j’avais noté jeudi dans mon agenda.

Il paraît que ça manifeste en France en ce moment. Je n’ai trop saisi de quoi il s’agissait. J’ai bien entendu certaines expressions revenir fréquemment ces derniers jours : gilets jaunes, gilets violets, carburant, retraites… Bon, j’imagine vaguement de quoi on se plaint, mais pas plus. Ceux et celles qui se sentent concernés et nées ce coup-ci doivent s’agacer rien qu’en lisant ça. Ils auront sans doute raison de me reprocher le fait que si leurs revendications de sont pas écoutées par le pouvoir, c’est de la faute de types comme moi qui ne bousculent pas leur quotidien pour s’informer→menacer→gueuler→bloquer→saboter jusqu’à ce que, acculé, le gouvernement ne puisse plus que céder. Et je n’en suis pas fier, mais voilà : chez moi, ça fonctionne par périodes, le fait de suivre ou non l’actualité, de m’engager avec le collectif dans des démarches de résistance ou de réinvention de la société. Et bon, en ce moment, l’actu, je n’y jette même pas un regard en coin.

Moi-même, quand j’allais manifester, quand je me fondais dans un mouvement contestataire, j’en voulais assez aux gens qui n’y prêtaient pas attention. Après tout, je pense que oui, le succès d’une telle démarche tient au nombre d’individus qu’on parvient à mobiliser. Pas seulement parce que ça impressionne quand on est beaucoup sur les images au J.T., mais parce que plus les gens en parlent, plus l’opinion change et plus les politiciens, ou les industriels, sont bien forcés de prendre en compte cette opinion dans leurs tentatives de se faire aimer, eux ou leurs produits, des masses. Quoi ? Hein ? Je raconte n’importe quoi ? Sans doute. Je n’ai jamais étudié la politique. C’était simplement mon impression. Je m’excuse auprès des savants.

Aujourd’hui, j’oscille entre indulgence (envers les autres et moi-même) et radicalité dans mes choix de vie personnels. Au niveau alimentaire (pensez végétarisme, souffrance animale) ou du lieu et de la provenance des achats que j’effectue chaque jour, ainsi qu’au niveau des mes activités (qui me rémunère, à quoi je participe, quelles sont les finalités pour moi, pour l’entreprise —au sens large—que je sers, quelles valeurs est-ce que je renforce —le pognon ou le bien-être avant tout ? l’individu libre ou le groupe solidaire— ?). J’ai vraiment envie d’en vouloir, par exemple, à ceux qui pour oublier la brutalité de notre société se noient dans le divertissement au lieu de s’y opposer. Pourtant j’admire toutes les formes d’art et celles et ceux qui les pratiquent. D’ailleurs, j’en pratique beaucoup moi-même et ma vie serait d’un ennuie mortel sans musique, sans littérature, sans cinéma, sans jeux. Alors au final je ne sais plus trop ce qu’il faudrait penser, ce qu’il faudrait faire… J’ai la tête qui tourne… Je suis pétri de contradictions.

Je m’impatiente souvent, par exemple, de voir se généraliser ce pas de côté que nous proposait Gébé il y a presque cinquante ans, car j’estime l’avoir moi-même effectué pour la première fois il y a bien longtemps et avoir continué à le pratiquer à haute fréquence depuis. Mais pour d’autres, assez éloignés de moi, qui ont un autre point de vue sur la scène, qui sait si je ne donne pas l’impression de continuer à avancer dans une file indienne bien droite, bien nette… en marchant en crabe, oui, peut-être, mais sans jamais m’extirper du courant général. Tout en ne rompant avec aucune des manies sociales bien enkystées, je m’ajouterai en plus le ridicule de croire en être sorti. Ah… Combien de causes dont je me moque éperdument et en lesquelles d’autres fondent tous leurs espoirs d’un avenir meilleur ?

Mais… attendez ! On ne serait pas en train de s’emmerder terriblement pour cette seconde note de blog ? Carrément, je suis d’accord avec vous. Allez, en plus j’ai d’autres choses à faire que de me triturer la culpabilité parce que je n’en ai rien à foutre des dernières manifestations. C’est un comble d’en avoir quelque chose à faire de n’avoir rien à faire de quelque chose. Arrêtons ça tout de suite. On se revoit demain si je ne vous ai pas définitivement gonflé·e (quel dommage de ne pas avoir un vrai neutre dans notre langue pourtant si foisonnante de subtiles variations et de bidules à enculer les mouches [nous en reparlerons un jour, de l’écriture inclusive]), et on verra si j’ai finalement trouvé un sujet intéressant d’ici là.

Bisettes.