#275 – Des serpents, des pierres et des pierres dans des serpents

Ah ! et j’oubliais :

et comment guérir des morsures de serpents grâce aux pierres qu’on trouve dans ces mêmes serpents.

Voilà. Je crois que c’est tout.

Bon, si ce n’est pas déjà fait, allez lire #273 – Le Serpent extraordinaire de Montpellier et revenez. Si, s’il vous plaît, revenez.

(et que les Ophiophobes et autres Herpétophobes se rassurent, ils ne trouveront pas ici une seule image de serpent)

C’est lu ? On peut y aller. Je suis tombé sur un autre texte ancien concernant les serpents et les pierres, sans le chercher ! C’est foufou non ? Je vous laisse lire (oui, c’est en anglais, z’aviez qu’à mieux écouter en cours) :


Philosophical Transactions, Volume I, issue 6, 1667 (for Anno 1665, and 1666), pp. 102–103.

Of the nature of a certain Stone, found in the Indies, in the head of a Serpent.

There was, ſome while ago, ſent by Phileberto Vernatti from Java major, where he reſides, to Sir Robert Moray, for the Repoſitory of the Royal Society, a certain Stone, affirmed by the Preſenter to be found in the Head of a Snake, which laid upon any Wound, made by any venomous creature, is ſaid to ſtick to it, and ſo draws away all Poyſon : and then, being put in Milk, to void its Poyſon therein, and to make the Milk turn blew ; in which manner it muſt be uſed, till the Wound be cleanſed.

The like Relations having been made, by ſeveral others, of ſuch a Stone, and ſome alſo in this City affirming, to have made the Experiment with ſucceſs, it was thought worth while, to inquire further into the truth of this Matter : ſince which time, nothing hath been met with but an Information, delivered by that Ingenious Pariſian, Monſieur Thevenot, in his ſecond Tome, of the Relations of divers conſidirable Voyages, whereof he lately preſented ſome Exemplars to his Friends in England. The Book being in French, and not common, ’tis conceived it will not be amiſs to inſert here the ſaid Information, which is to this effect :

In the Eaſt Indies, and in the Kingdom of Quamſy in China, there is found a Stone in the Head of certain Serpents (which they call by a name ſignifying Hairy Serpents) which heals the bitings of the ſame Serpent, that elſe would kill in 24 hours. This Stone is round, white in the middle, and about the edges blew or greeniſh. Being applyed to the Wound, it adheres to it of it ſelf, and falls not off, but after it hath ſucked the Poyſon : Then they waſh it in Milk, wherein ’tis left awhile, till it return to its natural condition. It is a rare Stone, for if it be put the ſecond time upon the Wound, and ſtick to it, ’tis a ſign it had not ſuck’d all the Venome during its first application ; but if it ſtick not, ’tis a mark that all the Poyſon was drawn out at firſt. So far our French Author : wherein appears no conſiderable difference from the written Relation before mentioned.


MAIS !

comme je suis sympa, je vous mets ici la version du texte français dont il est question. Quelques précisions cela-dit : on la trouve bien dans RELATIONS DE DIVERS VOYAGES CVRIEUX, QUI N’ONT POINT ESTÉ PUBLIÉS ; OV QVI ONT ESTÉ TRADVITES D’HACLVYT ; de Purchas & d’autres Voyageurs Anglois, Hollandois, Portugais, Allemands, Eſpagnols ; ET DE QVELQVES PERSANS, ARABES, ET AVTRES Auteurs Orientaux. Enrichies de Figures, de Plantes non décrites, d’Animaux inconnus à l’Europe, & de Cartes Geographiques de Pays dont on n’a point encore donné de Cartes. SECONDE PARTIE (donc, en effet, presque « Relations of divers conſidirable Voyages », presque) de Melchisédech Thévenot, et publié à Paris en 1664, seulement cet ouvrage n’est qu’un recueil de textes et de traductions. Le texte auquel fait référence l’auteur de l’article du Philosophical Transactions est donc une traduction de Thévenot du texte en latin du père jésuite Michał Piotr Boym : FLORA SINENSIS, FRVCTVS FLORESQVE HVMILLIME PORRIGENS, SERENISSIMO ET POTENTISSIMO PRINCIPI, AC DOMINO, DOMINO LEOPOLDO IGNATIO, HUNGARIÆ REGI FLORENTISSIMO, &c. Fructus Saeculo promittenti Augustissimos (ouais, je mets les titres en entiers parce que je trouve ça trop classe, pas vous ?), publié à Vienne en 1656 et concernant la faune et la flore chinoise. Bon, mais voici la version française, donc. Je vous mets tout le mini chapitre qui traite de trois serpents différents :


LE SERPENT GEN-TO

C’eſt le plus grand ſerpent qui ſe trouue dans l’Iſle Hay-nan, & dans la prouince de Quam-tum, Quam-ſi & autres, il deuore des cerfs entiers, il n’eſt pas fort venimeux, eſt couleur de cendre, & quelquefois long de vingt-quatre pieds : Quand la faim le preſſe, il ſort des bois, & s’aidant de ſa queuë, il ſaute & attaque les hommes & les beſtes ; quelquefois de deſſus vn arbre il ſe jette ſur les hommes, & les tuë en les ſerrant de ſes plits : ſon fiel eſt vne choſe precieuſe aux Chinois, ils s’en ſeruent pour le mal des yeux. Aux Indes & dans le Royaume de Quam-ſy on trouue vne pierre dans la teſte de certains ſerpens qu’ils appellent ſerpens cheuelus, laquelle guerit les morſures, de ce meſme ſerpent, qui autrement tueroit dans vingt-quatre heures : cette pierre eſt ronde, blanche au milieu, & autour eſt bleuë ou verdaſtre : lors qu’on l’applique ſur la morſure, elle s’y attache d’elle-meſme, & elle ne tombe point qu’elle n’ait ſuccé le venin. On la laue apres dans du laict, & on l’y laiſſe quelque temps pour luy faire reprendre ſon eſtat naturel ; cette pierre eſt rare, ſi on la preſente vne ſeconde fois à la morſure, & qu’elle s’y attache, elle n’a pas ſuccé tout le venin dés la premiere ; ſi elle ne s’y attache point, c’eſt vne marque que tout le venin eſt hors, & on s’en reſiouït auec le malade : Ils ſe ſeruent contre le meſme venin d’vne racine que les Portugais appellent Rais de Cobra, qu’ils font macher à ceux qui ſont mordus, iuſques à ce qu’elle leur ait fait venir deux ou trois rapports à la bouche.

Les Chinois ont vn autre ſerpent qui eſt fort venimeux ; car ceux qui en ſont mordus meurent en peu de temps, mais ils ne laiſſent pas de l’eſtimer beaucoup à cauſe du grand remede qu’ils en tirent. Ils le mettent viuant dans vn vaiſſeau plain de bon vin, en ſorte que la teſte ſeule ſoit dehors pour faire euaporer tout le venin, & que le reſte du corps demeure enfermé dedans : On fait boüillir ce vin, ils en ſeparent apres la teſte, & la chair leur tient lieu d’vne tres-excellente theriaque.


Voilà donc qu’on nous rebassine avec des pierres à trouver dans des serpents. Je vous avoue que j’aime bien trouver des choses cachées, mais s’il faut aller ouvrir des serpents, venimeux de surcroit, au canif, je passe mon tour.

Bon. Alors alors. Quelle est la grande morale que l’on doit tirer de toutes ces histoires ? Eh bien c’est que, vraissemblablement, au XVIIe siècle, si l’on parlait de serpents, un·e couillon·ne venait immanquablement vous ramener les pierres dans la conversation. Voilà. Comme au XXe et XXIe siècles, dès qu’on causait Parkinson, fallait que quelqu’un évoque Alzheimer et inversement, pareil dans les années 90 avec cancer et SIDA. Hein ? Oui, j’en conviens, c’est peut-être pas l’interprétation la plus intéressante. Vous n’avez qu’à trouver la votre.

Avant de vous laisser partir, j’aimerais bien revenir sur cette Thériaque. Car j’ai bien lu tout Wikipédia, et je sais désormais qu’il s’agit d’un CONTREPOISON ! Eh oui, souvenez-vous des fameux jeux de notre enfance :  » – Poison ! – Contrepoison ! – Miroir empoisonné ! – Miroir contrempoisonné fois deux ! – Miroir empoisonné fois l’infini ! »… ouais, non, peut-être pas. Ce contrepoison, donc, qui semble avoir ses origines en Crète, est passé par Rome, puis dont la recette fut perfectionnée principalement dans les villes de Venise et de Montpellier, comportait plus de cinquante substances, dont presqu’aucune n’était active. Mais ça il a fallu longtemps avant de s’en apercevoir. Parmis ces cinquantes substances, l’opium, sacrément actif, et la chair de vipère, pas si active que ça puisqu’on l’abandonna de la recette au XIXe siècle.

– ENTRACTE VASE –

Grand vase à Thériaque du XVIIème siècle par les potiers J. Besson et A. Morand, collection des Hospices civils de Lyon. Alternativement on pouvait s’en servir pour y mettre les cendres des personnes sur qui la thériaque n’avait pas marché. (Photo sous licence CC BY-SA 4.0 par les Hospices Civils de Lyon. Source.)

– FIN DE L’ENTRACTE VASE –

Toujours sur Wikipédia à ce sujet on trouve un très bel échange entre un médecin de Saragosse (Laurent de Arias) et l’Université de Montpellier datant de 1724. Extrait :

Médecin de Saragosse : « Vaut-il mieux pour préparer la thériaque, faire cuire des vipères dans du sel et de l’aneth pour en faire des trochisques et les pétrir avec du pain, ou de les faire dessécher et pulvériser et quoi est le mode qui donne une thériaque plus énergique ? »

Médecins de Montpellier : « Pour répondre à cette question nous pensons d’abord devoir vous dire que, depuis longtemps, la coutume a prévalu parmi nous de se servir de vipères desséchées et réduites en poudre pour préparer la Thériaque (opération à laquelle assistent tous les professeurs de l’école). C’est l’avis unanime de nous et des pharmaciens de Montpellier.., est de toutes la préférable. Il faut se baser surtout sur ce que le sel de vipères (dont la vertu dans cette préparation est de première importance), s’en va tout à coup en vapeurs, lorsque la cuisson est sur le point d’être achevée il en est tout autrement. Les vipères desséchées sont réduites en poudre selon l’habitude…
Mais il est bien à remarquer qu’il faut se servir de vipères sèches fraichement séchées, de peur que, si on les « laisse trop vieillir, le sel volatile s’en aille entraîné peu à peu par l’humidité et perde aussi sa force. Cependant, avouons-le franchement, parce que c’est la vérité, dans l’une et l’autre méthode, il n’y a pas de différence pour donner matière à procès, car bien que la chair de vipères soit cuite un peu tardivement, elle conserve encore beaucoup de son volatile. Mais comme de juste, les vipères desséchées en ont beaucoup plus aussi préférons-nous les employer vives, cette méthode ayant été depuis longtemps reçue et approuvée. »

Et, par bonheur, il n’était aucunement question de cailloux. Comme quoi, quand on parle avec des experts, y a pas à dire, ça élève le débat.

Bon, j’en ai pas encore fini avec le XVIIe siècle, les serpents et les thériaques (et peut-être même les pierres), mais disons que c’est tout pour aujourd’hui. Il y aura suite très bientôt

Bon, voici des liens suivis de la version en langue latine du chapitre concernant les serpent du Flora Sinensis patati patata :

Extrait du Philosophical Transactions (The Royal Society Publishing)
Flora Sinensis en latin, édition originale de 1656 (Biodiversity Heritage Library)
Flora Sinensis traduit en français par Thévenot (Gallica)


De Gen-to Serpente

Gen-to ſerpentum omnium in Inſula Hay-nan & Provincijs Quam-tum, Quam-ſy, &c. reperitur facilè maximus, cervos inte gros exſugēdo & comminuendo devorat, non adeo venenoſus, colore cinerico variegatus, longus octodecim aut quatuor & viginti pedes : famelicus ex dumetis proſilit, caudæ innitens in ſaltum ſe erigit, & cum feris atque hominibus acriter luctatur : ſubinde ex arbore inſidioſe in viatorem deſilit, & complexione interimit ; fel illius contra oculos morbidos Sinis eſt precioſum. In India & regno Quam-ſy in quorundam certi generis Serpentum (quos Cobras de Cabelo ſeu capillatos Luſitani nominant) capitibus ſapis reperitur contra morſus ab ijſdem Serpentibus inflictos homini, ſpacio aliàs viginti quatuor horarum interituro. Lapis hic rotundus, coloris in medio albi, & circum circa glauci aut cœrulei, vulneri applicitus per ſeipſum hæret, veneno verò jam plenus decidit : pòſt lacti immerſus per aliquam moram, ad ſtatum naturalem ſe reducit. Lapis hic non omnibus communis, ſi literatò eidem vulneri adhæreat, virus omne exhauſtum non fuit ; ſi non adhæreat, moribundo Indigenæ de ſupecato mortis periculo aggratulantur. Reperta eſt item radix aliqua contra venenum hujus rnorſus vocata à Luſitanis Raiz de Cobra, ideſt, radis Serpentis, quam maſticare opus eſt, quoad uſque bis aut ter eructet homo.

Alius præterea apud Sinas ſerpens invenitur veneni maximi, ſed precioſus, qui intra paucas horas hominum occidit. Ex eo medicina contra varios morbos ſic paratur : Cauda eum corpore immergitur amphoræ optimo repletæ vino, ut ſolum caput & os vidi ſerpentis, ne evadat, conſtrictum per medium operculi foramen exſtet, ut igne ſuppoſito, vinoq́ ; ferveſcente, omne virus aperto ore vaporet :

Caro reciſo capite infirmis datur, & unicum illud precioſum theriacæ ad inſtar aſſervatur.


(suite)


Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com

#273 – Le Serpent extraordinaire de Montpellier

Vous savez, moi et les infos, c’est l’amour-haine, alors j’ai consenti à bien vouloir m’informer de ce qui ce racontait dans la presse au mois de juillet, mais à l’unique condition que ce soit un mois de juillet éloigné de plus de trois cents ans de mon présent. Eh ben j’ai pas été déçu.

Lu dans le Mercure Galant de Juillet 1678, pp. 153–156 :


Je ne puis m’éloigner de Montpellier ſans vous apprendre une choſe auſſi ſinguliere que ſurprenante, qu’on a veuë à trois lieües de là, depuis quelques jours. Un Apoticaire herboriſant dans la Campagne, mit le pied ſur des brouſſailles qui cachoient un Serpent des plus monſtrueux. Ce Serpent ſe ſentant bleſſé, ſe dreſſa tout furieux, fit pluſieurs plis autour du Corps de l’Apoticaire, le mit par terre, & le tint tellement preſſé, que c’eſtoit fait de luy, ſi des Bergers qui n’en eſtoient pas fort loin, ne fuſſent accourus à ſes cris. Ils tuerent le Serpent, & délivrerent ce malheureux qui en avoit reçeu pluſieurs bleſſures. Il eſtoit extraordinairement enflé du venin qui s’eſtoit gliſſé par toutes les parties de ſon Corps ; mais deux ou trois priſes du Thériaque qui ſe fait à l’Université de Montpellier, le remirent dans ſon premier état. On fendit le Serpent. Il avoit trois œufs dans ſon ventre, & ce qui vous ſurprendra, c’est que ſur l’un de ces œufs on a trouvé ſix mots monoſyllabes, rangez en colomne, parfaitement diſtinguez les uns des autres, & ſi bien écrits, qu’un Peintre auroit eu peine à les mieux marquer. Ces mots ſont, ou, pa, re, ma, ne, pa. Vous ne doutez pas qu’on ne travaille à l’envy à les expliquer. Cet œuf a eſté donné à Mr le Cardinal de Bonzi, qui le conſerve comme une choſe fort curieuſe.


Comme quoi y a pas qu’à Marseille.


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#270 – Nouvelles Intéressantes de Montpellier

Lecteuses, lectrirs, si je ne passe pas souvent ici ces derniers temps, c’est principalement parce que je me suis lancé dans de grands travaux. Enfin, un grand travail, plutôt, qui donnera soit un livre, soit environ deux cents articles longs sur ce blog ou un autre dédié. Je vous informerai en temps voulu de la réalisation du machin.

(En parlant blogs, celui de Numéro 0 est désormais accessible. C’est celui d’une sorte de collectif de faisouilleuses et faisouilleurs auquel j’ai participé pendant près de quatre ans, bien que je n’en sois plus aujourd’hui. Photo, vidéo, musique, écriture, dessin, jeu, autre… vous y trouverez de tout. Alimenté de travaux originaux au minimum deux fois par semaine. C’est à cette adresse : https://numerozero.fr/, donc.)

En attendant, pour ce gros travail dans lequel je me suis lancé, je me farcis des pages et des pages de revues et autres ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles depuis des semaines. Et voilà-t-y pas qu’hier, au hasard de mes recherches, je tombe sur une publication Montpelliéraine !

ANNONCES, AFFICHES ET AVIS DIVERS.

Elle est hebdomadaire et imprimée à Montpellier, bien sûr, mais plus précisément à l’Imprimerie d’Augustin-François Rochard, « seul imprimeur du Roi, Place du Petit-Scel. » à partir 1770, et chaque sortie tient sur quatre pages.

Voici donc quelques extraits des tout premiers numéros, et en particulier de la rubrique NOUVELLES INTÉRESSANTES. On se n’oubliera pas, à cette occasion, de se faire la réflexion que tous les journaux semblent promettre à leurs débuts d’être moins larmoyants que les autres, et finissent inévitablement par se vautrer comme il se doit dans les anecdotes morbides. Et encore je ne vous reporte pas ici les avis de décès des nobles, magistrats et membres du clergé pleurés à chaudes encres chaque semaine.

Premiere Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 19 Mars 1770.

On ne connoît les hommes que par le mauvais côté , notre malignité nous porte avec plus d’ardeur à relever les fautes de nos ſemblables qu’à publier leur vertu , nous ſommes tout de feu quand il faut médire , nous ſommes toujours froids quand il faut louer ; cependant que d’exemples perdus pour l’humanité , qui ſeroient d’excellentes leçons de morale ? Nous aurons le courage d’en expoſer un aux yeux de nos concitoyens qu’ils ignorent peut-être , parce qu’il eſt pris dans cette claſſe d’hommes qui ont dévoué leurs talens à nos amuſemens & à nos plaiſirs , & que nous payons du déshonneur & de l’opprobre.

Un Acteur de la Troupe qui repréſente en cette Ville , nommé V***. ému de compaſſion ſur le triſte état où ſe trouvoient réduits ſes amis & ſes confréres , que la déſertion des Directeurs avoit fruſtré de leur ſalaire , leur ſeule et unique reſſource , refuſa généreuſement la portion qui lui revenoit lors de la repartition qui ſe fit entre eux le Lundi 13 de ce mois, & voulut que cette portion rejaillit ſur ceux qui ſe trouvoient dans le beſoin ; il fit plus , il offrit de repréſenter gratis à leur profit juſques au Samedi veille des Rameaux.

Nous avons cru qu’il étoit de notre devoir de tirer de l’oubli ce trait de généroſité qui y auroit reſté peut-être enſéveli , & qui mérite d’être mis au grand jour.

(pp. 3-7)


Troiſieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 2 Avril 1770.

Samedi 24 du mois dernier , des filoux ayant enduit la Porte de la maiſon d’un aubergiſte de la Ville , logé au Fauxbourg Saint Denis , avec des matieres conbuſtibles , y mirent le feu à deſſein ſans doute de s’introduire dans cette maiſon à la faveur de l’ouverture ; mais le feu ayant fait des progrés trop rapides , jetta l’alarme dans le quartier & rompit leur meſures ; cette nouvelle invention de la cupidité humaine , eſt d’autant plus funeſte , qu’avec ſon ſecours on peut ouvrir nos portes ſans bruit & ſans fraction , & qu’elle nous expoſe également aux terribles effets d’un incendie & aux horreurs d’un aſſaſſinat.

(p. 3)


Cinquieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 18 Avril 1770.

On apprend tous les jours de nouveaux effets de la cupidité humaine & on voit avec douleur les funeſtes excès où elle porte quelques malheureux qui ont ſçu juſqu’ici ſe ſouſtraire au glaive de la Juſtice levé ſur leur tête ; ils mettent à exécution leurs affreux deſſeins en plein jour , à la vue du peuple , ſans égard à la ſainteté du jour , ils pénétrent juſques dans le ſéjour de l’innocence , & vont troubler la paix des habitans de nos campagnes. J’en vais citer deux exemples également triſtes , & également récents.

Samedi dernier 7 de ce mois , à Pignan, Village ſitué à une lieue & demie de la Ville, ſur les neufs à dix heures du ſoir , on a volé au ſieur Verdier Bourgeois dudit lieu cinquante louis d’or & pour cent écus de vaiſſelle d’argent.

Quatre jours après, le Jeudi ſaint douziéme du courant , des filous ont ſaisi l’heure où le monde étoit à l’Office , c’eſt-à-dire , entre deux & trois heures après midi , pour s’introduire dans la maiſon du ſieur Poujol Me. Cordonnier ; & étant parvenus à un entreſol ſitué au premier étage , ils ont faut ſauter la pierre où tenoit la ſerrure , ont enfoncé une vieille armoire ; & ont emporté neuf cens livres en argent pliés dans un bonnet d’enfant , ſans toucher à un gobelet , un ſervice & une paire de boucles d’argent qui s’y trouvoient en même-temps.

(p. 3)


Sixieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 23 Avril 1770.

Ce n’eſt qu’avec douleur que nous ſommes obligés de rappeller ici à nos Concitoyens une de ces fatales cataſtrophes qui font gémir l’humanité ; que ne ſommes-nous aſſez heureux pour n’avoir à leur annoncer que des événements propres à exciter la joye au fond de leur cœur , et comme nous n’en avons que de triſtes & de fâcheux à leur apprendre !

Une Femme aſſez proprement miſe , a été arrêtée ſur le chemin qui conduit de Sauſſan à La Verune , la nuit du Vendredi au Samedi 21 du courant , par des aſſaſſins qui , après l’avoir percée de pluſieurs coups de couteau à la gorge , l’ont trainée aſſez loin de là dans un lieu écarté , pour dérober ſans doute aux paſſans la connoiſſance de leur crime.

(p. 4)


Septieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 30 Avril 1770.

Nous venons d’apprendre par une Lettre que nous écrit un de nos abonnés qui voyage actuellement hors de la Province , des nouvelles les plus triſtes concernant l’inondation , qui a déſolé pendant près de trois ſemaines une grande partie de la Gaſcogne, & tous les Pays ſitués près des bords de la Garonne. Nous n’avons pu nous refuſer aux inſtantes priéres qu’il nous fait d’inſérer le précis de ſa Lettre dans notre Feuille.

(…)

(p. 3)


Huitième Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 7 Mai 1770.

Les intempéries de l’air n’ont pas été moins nuiſibles à la ſanté du corps qu’aux biens de la terre : il régne dans les environs pluſieurs maladies épidémiques , une des plus cruelles s’eſt répanduë dans un Village aſſez voiſin de la Ville nommé St. Jean de Vedas ; aujourd’hui même 5 Mai nous venons d’apprendre qu’il y eſt mort dix perſonnes & que ſix ont été atteintes du mal contagieux ; une femme de l’endroit voyant que perſonne n’oſoit approcher de ſon mari , qui venoit d’expirer , eût le courage de l’enſévelir elle-même , mais elle fut attaquée le lendemain du même mal , & mourût deux jours après victime de la piété conjugale. Nous ne devons point oublier le triſte ſort du Curé du Lieu; ce digne Paſteur qui dans ces fâcheuſes circonſtances a oublié le ſoin de ſa conſervation , & ne s’eſt reſſouvenu que de ſon zéle , a été lui-même atteint de la maladie , il eſt à l’extrémité.

La mort qui dans ces temps de calamité ſemble s’attacher aux plus reſpectables têtes, vient encore de nous enlever un de ces hommes digne de vivre toujours. C’eſt M. l’Abée de la Prunarede Chanoine de la Cathédrale(…)

(p. 4)


Neuvieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 14 Mai 1770.

Nous venons d’apprendre avec plaiſir que la maladie épidémique qui a régné à Saint Jean de Vedas pendant quelques ſemaines , n’a pas eu de ſuites auſſi funeſtes qu’on le craignoit d’abord ; ſes effets ſont aujourd’hui peu ſenſibles ; la mort a rallenti ſes coups , les habitans voyent renaître leur premiere paix , & ils eſpérent que les ſoins des Médecins ſecondés des ſecours de la Providence , diſſiperont bientôt les derniers reſtes d’une cruelle maladie , & rendront à l’air qu’ils reſpirent toute ſa pureté ; heureux encore après leur détreſſe , s’ils n’avoient pas à pleurer la mort de pluſieurs de leurs plus chers compatriotes , & ſurtout celle de leur Paſteur qui a ſuccombé enfin aux maux dont Dieu l’avoit éprouvé (…).

Pour diſtraire un peu nos Lecteurs de ces idées funébres , nous leur ferons part d’un fait aſſez ſingulier qui , quoiqu’il ſe ſoit paſſé en public , n’eſt peut-être pas ſçu de tout le monde ; Mercredi dernier un homme et une femme s’aviſerent de diſtribuer quelques écus faux aſſez groſſierement imités , après avoir fait quelques dupes , ils le furent enfin eux-mêmes ; quelques-uns de ceux qui avoient été attrapés coururent après eux , & furent bientôt ſuivis de la populace ; voilà mes gens dans un grand embarras , ils ne ſçavoient de quel côté paſſer ; comme ils ſongeoient à s’évader , on les prit , & on les emmena au Palais.

(pp. 3-4)


Dixieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 21 Mai 1770.

De triſtes nouvelles nous apprennent que les mauvaiſes influences de l’air qui ſe sont faites reſſentir aux environs de Montpellier , ne ſont pas également diſſipées par-tout , l’alarme régne encore à Saint-Martin de Londres & à Viols , Villages ſitués à 4 ou 5 lieues de Montpellier ; nombre d’habitans y ont été attaqués ſucceſſivement d’une maladie cruelle qui portoit les ſymptomes de la pleuréſie & étoit accompagnée du délire , & violens maux de tête ; pluſieurs ont déjà payé le tribut à la mort , & elle y immole tous les jours de nouvelles victimes , mais on eſpére que les ſecours de la Médecine , l’air qui s’épure , la nature qui prend une nouvelle vie , tout enfin va contribuer à diſſiper la malignité des vapeurs contagieuſes qui menaçoient leurs jours , & le paiſible Laboureur pourra jouir ſans inquiétude du doux plaiſir de contempler dans les Campagnes , humectées & réjouies par les roſées ſalutaires du Ciel , les heureuſes apparences d’une récolte abondante.

(pp. 3-4)


Pas de NOUVELLES INTÉRESSANTES dans les éditions du 28 mai et du 6 juin.


Treizieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 11 Juin 1770.

On n’avoit pas jugé à propos d’inſérer dans la dernière Feuille la triſte nouvelle de l’aſſaſſinat commis ſur la perſonne d’une femme qu’on a trouvée le Vendredi premier du courant hachée en morceaux au environs de Fabregues , parce qu’on attendoit la confirmation de ce fait , qui n’eſt que trop avéré.

(p. 4)


Voilà, voilà. Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que la lecture des journaux donne envie de s’enfermer chez soi pour ne plus en sortir. Si vous voulez allez voir par vous-même ces quelques morceaux choisis dans leur contexte, c’est ici que ça se passe, sur le site des archives départementales de l’Hérault : http://archives-pierresvives.herault.fr/ark:/37279/vta53d7ab2ea66cf/daogrp/0/1 (C’est de là que vient l’image utilisée dans l’article, d’ailleurs.) J’aurais pu en copier d’avantage ici, mais j’en avais marre. Allez donc y jeter un œil, ça se lit très vite.

#130 – Montpelliérien #130 – Un Truc sur le Verdanson

Le Verdanson n’est pas à sec ! Fait assez rare pour le noter. Un écriveur écrit : « fait assez rare pour le noter », fait bien trop banal pour le noter dans quelque annale que ce soit. Mais voilà que ce dernier fait lui-même remarquer que cette tournure est par trop employée ! Fait assez rare pour le noter.

Le Verdanson n’est pas à sec, donc, j’ai pu le constater hier soir en passant par l’allée Hermantaire Truc. Je dis pas truc comme j’aurais dit chose, remarquez la majuscule. Truc c’était son nom, à Hermentaire (avec un e). Qui était-il ? Facile, pour le savoir, cherchons à Truc dans le dictionnaire des noms propres. On ne trouve rien. Mince. Et sur Wikipédia ? On ne retrouve re-rien. Re-mince. Ne vous inquiétez pas, je fais durer le suspense, mais vous saurez bientôt qui était ce Truc. En attendant, revenons-en au Verdanson.

Le Verdanson est un petit cours d’eau qui traverse Montpellier et va se jeter dans le Lez, un autre cours d’eau, moins petit, qui traverse Montpellier et va, lui, se jeter dans la Méditerranée au niveau de Palavas-les-Flots. Le Lez est donc un fleuve, et le Verdanson en est un affluent. Ça vous rappelle des notions de géographie ou vous dormiez trop bien près du radiateur au collège ? Bon, continuons. En quoi le Verdanson est-il remarquable ? Il l’est tout d’abord parce que, comme le bit, il ne connait que deux états : 0 – à sec ; 1 – en crue. Mince, je me contredis, j’ai dit qu’hier il n’était pas à sec ! Or il n’était pas en crue non plus… Oui, mais si vous lisiez mieux vous auriez remarqué que j’ai également dit que c’était un fait notable. Mauvaises langues. Hier, il était donc dans l’état 0.05.

Photo par Gwlad (galerie du Triangle)

Quoi d’autre concernant le Verdanson ? Et bien son lit est entièrement de béton. De sa source jusqu’à l’endroit où il se jette dans le Lez, au moulin de Salicate (quartier les Aubes). Une vraie chance pour les graffeurs·ses que la municipalité laissent s’y amuser autant qu’ils et elles le veulent. Après tout, autant recouvrir toute cette laide grisaille de jolis dessins, ça ne peut pas faire de mal. Pas faire de mal sauf précisément là où il se jette dans le Lez. Là c’est un dépotoir. Les bombes de peinture, presque vides mais pas totalement, et autres déchets sont abandonnés sur place et font crever les bestioles du coin. Message perso aux artistes : essayez de faire du beau jusqu’au bout, toute cette merde me gâche un peu le goût de vos œuvres. Bon, mais à part ça, le Verdanson se trouve du coup être la plus grande galerie d’art de la ville, gratuite, et à ciel ouvert.

En parlant de merde, et pour finir, on est bien obligé de le dire : le Verdanson ne s’est pas toujours appelé comme ça. Au départ, c’était le Merdançon. À cause de l’odeur. C’était là que toute la ville balançait ses eaux usées, même les artisans, genre tanneurs et autres. Les tanneurs ça pue. On le sait moins aujourd’hui que ce ne sont justement plus de petits artisans de centres-villes, mais je vous le dis, ça pue. Bon et puis un jour quelqu’un a dû se dire que ça n’était pas très glorieux une ville traversée par le Merdançon, et on l’a changé en Verdanson. Il est intéressant de constater que souvent les gens voulant faire de l’humour et ne connaissant pas l’histoire changent intuitivement le V en M et partent d’un bon rire gras. Alors je fais semblant de rire et je leur raconte l’origine de ce nom, car j’adore briller en société en étalant mes connaissances sur les noms liés à la matière fécale.

Et Hermentaire Truc dans tout ça ? Je ne sais toujours pas si je préfère le fait que son nom soit Truc ou son prénom Hermentaire en réalité. Je crois que si j’ai un fils un jour je l’appellerai Hermentaire. Hum, je ne m’en sors pas de ces digressions. Il faut que j’avance. Hermentaire a donc une allée à son nom, une allée toute minuscule, verte, avec des bancs, sinueuse, cachée entre deux immeubles anciens, et qui passe au dessus du Verdanson. L’allée rêvée. Elle se situe quelque part entre l’arrêt de tramway Albert 1er et l’arrêt Philippidès. Et, quelle chance nous avons ! il y a dans cette petite allée, en plus des arbres, des bancs et du Verdanson qui passe en dessous, une plaque nous expliquant qui est Hermentaire Truc ! Alors ? Elle est pas belle la vie ? Elle est presque belle. Comme je le faisais remarquer au début de l’article, on a orthographié Hermantaire avec un a sur sa plaque, or sur les livres publiés par lui, on trouve systématiquement Hermentaire avec un e. Pour une fois qu’on causait de lui, c’est bien dommage…

#51 – Montpelliérien #051 – Jamception

Hier, c’était soirée jam session, et scène ouverte, et re-jam session. Pas forcément dans cet ordre. Vous avez du temps devant vous ? Allez, tirez-vous une bûche, je vous explique.

Scène ouverte d’abord, à la Petite Scène. Je venais de me faire Manuel (Il Figglio) au Diagonal —très bon film. Un chouia déprimant. Je dis un chouia pour pas vous décourager d’y aller. Rythme lent, belle image, réaliste. Allez-y, allez-y pas, j’ai rien à vendre. Moi j’ai aimé. Toujours est-il qu’en sortant de là j’avais pas les yeux qui criaient l’amour de la vie (je sais bien que ça ne veut rien dire)—, j’avais besoin d’un petit remontant. Direction, donc, le bar dont je vous ai causé trois lignes plus haut. Relisez lentement en vous aidant du doigt si vous avez du mal à suivre. Arrivé là, je commande le sempiternel jus de tomate et je m’installe avec mon bloc note à la seule table de libre près de la scène. Ça commence.

Le premier des trois musiciens inscrits ce soir-là, c’est Ravi Johanis. Il vient d’Allemagne et m’expliquera plus tard qu’il a déjà fait un séjour à Montpellier dont il garde un bon souvenir, notamment grâce aux jam sessions sauvages alors spontanément organisées sur le parvis de l’église Saint Roch. C’était le bon temps.

Il saute en scène seul avec sa gratte électrique. Surprise. Le petit malin avait préparé une backing track pour l’accompagner. Très minimaliste mais pile ce qu’il fallait : basse et batterie légère : grosse caisse, caisse claire cross-stick, quelques cymbales. Premier morceau. Le son de gratte est superbe. Beau clean, avec du gain juste ce qu’il faut. Il a du feeling, de jolis licks. Y a de la rondeur et de la tension. Le morceau parle de you’re beautiful si je me souviens bien. Le second de need to see my love again, le troisième j’ai pas fait gaffe aux paroles, j’ai été beaucoup plus entraîné par la musique. Le style reste le même au cours des trois morceaux, mais c’est de plus en plus rythmé, ça gagne en complexité.

Quel style ? Hmm. Vous savez, quand je parle de musiciens, j’aime pas les comparer à d’autres, et j’aime pas les étiqueter genristiquement parlant. Je préfère décrire. Oui, mais voilà, je suis pas expert dans toutes les techniques et j’ai une culture musicale limitée, alors je vais dire ce que ça m’évoquait comme genre, car je n’ai pas peur de me contredire : blues moderne teinté de soul avec un arrière goût rootsy. Ou bien soul minimaliste saupoudrée d’un zeste de roots mais très bluesy. Ou encore quelques rythmiques un peu roots, un feeling général blues, mais pas oldscool , le tout un peu souly. Et démerdez-vous avec ça.

Quel ressenti général ? De très beaux morceaux, de jolies ambiances qui évoquent douceur et tranquillité, tout en faisant bien hocher la tête. Parfait pour un premier jour de printemps, et pour l’été qui suivra. On se demande pourquoi les morceaux durent pas plus longtemps, ils sont vraiment très courts, parce qu’une fois dedans on y est bien, on a envie d’y rester. J’ai pas parlé de la voix. Car Johanis chante également. C’est peut-être la partie qui mérite encore un peu de travail, les idées sont là, l’intention aussi, mais ça manquerait un tout petit peu de maîtrise. Après vous savez comment c’est, premier sur scène, à froid, un soir où personne ne vous attend vous particulièrement, il y a de quoi avoir les cordes vocales frileuses, d’autant qu’il faisait vraiment pas chaud, ça n’aide pas.

Vous n’avez pas le début du bout de la pointe de l’extrémité d’une idée de ce que tout ça peut bien donner en lisant mes baragouineries, pas vrai ? Alors, d’une, vous aviez qu’à y être, et de deux, vous pouvez allez l’écouter sur son soundcloud.

Johanis m’a dit qu’il comptait bien tourner plus souvent dans le coin, je n’ai pas eu la jugeote de lui demander s’il restait longtemps en ville, lui en tout cas a eu la gentillesse de m’offrir l’une de ses démo. Merci beaucoup, c’est super sympa. Sympa, d’ailleurs, le mec l’est très. Si, c’est français comme phrase. Il a pris le temps de saluer tout le monde, d’annoncer tous les musiciens qui allaient suivre, et de remercier encore une fois tout le monde. Donc, Ravi, Johanis, de t’avoir rencontré. Si je l’avais pas faite vous auriez été déçus·es, mentez pas, je le sais.

En parlant des musiciens suivants. En seconde partie, c’était Anthony. Ánthos. Flos Waldhari. Non ils sont pas trois, c’est juste pas facile de se décider sur un pseudo, et on le comprend. Z’avez qu’à relire mes premiers articles, vous comprendrez. Quels que soient ses noms, propres ou de collectif, son set m’a vraiment surpris.

Le mec se hisse sur la scène, guitare électro-acoustique cordes nylons en main. Devant lui une pédale à boucles et une pédale de reverb. Un micro aussi. Il commence, l’air de rien, par nous sortir une rangée de croches sur une seule note. Bon. La boucle part. Il entame une nouvelle série de notes identiques sur le même rythme qui ne paie pas de mine. Mais ça commence à harmoniser. Les boucles ne se remplacent pas les unes les autres, elles s’empilent. Une troisième. Une quatrième. Toujours l’harmonie s’enrichit. Toujours sur le même rythme quelques montées d’une gamme mineure harmonique maintenant. Bon, si ça s’arrêtait là, mais ça continue. Jusqu’à combien ? J’ai perdu le comte. Mieux encore, au milieu de tout ça il bidouille sa pédale, rajoute un delay qui décale toutes ces croches faites à un doigt sur une corde et jusque là synchronisées, ce qui, magie, crée un rythme flamenco hyper riche harmoniquement. La tension monte, l’ambiance gonfle et gonfle à mesure qu’il rajoute des couches jusqu’à ce que…

Patatras. Jusqu’à ce que tout foute le camp. Manque de bol, setup de scène ouverte plus accumulation de pistes avec delay oblige, son aigrelet de l’electro-nylonée aggrave, un larsen chopé à chaque passage, présent dans chaque boucle, commence à couvrir le morceau. C’était tolérable jusque ici, mais là, obligé de couper le son.

Pas grave on recommence. L’ambiance flamenco-western, donnant un tout assez baroque au final, reprend. Sans larsen cette fois. Là c’est le coup de grâce. Anthony-Ánthos-Flos-Waldhari-De-La-Vega-Morricone ajoute les voix. Encore des loops, une voix, deux, trois, quatre, je sais plus combien, du grave au super aigu. La vache, un vrai chœur à lui tout seul. Ça claque. Je vous ai dit que j’aimais le baroque ? Ben voilà, on est en plein dedans. Y a du Cant de la Sibil·la là-dedans, un air de tempête avant la fin du monde. Le morceau s’appelle La Tormenta, d’ailleurs. Tout à fait adéquat.

Bon ça finit un peu brouillon pour la même raison que précédemment, voix sur voix se superposant, un peu du boucan ambiant est repiqué par le micro et s’amplifie à chaque boucle. Ça oblige à baisser le son encore une fois, dommage parce qu’on sent bien que c’est supposé enfler et enfler encore sans jamais s’arrêter jusqu’à devenir une énorme masse d’harmonies et de rythmes apocalyptiques. Bref J’ai hâte de revoir ça avec une meilleure sonorisation.

Le second morceau, une valse, dix minutes. On sent que c’est de la chanson à texte, mais en anglais, j’entends pas bien les paroles. Dommage. L’ambiance est toujours super cool. On découvre encore mieux la voix d’Ánthos, et c’est bon ! Je dirais que ce qui fait l’originalité de sa musique ce soir-là, c’est sa façon de se servir des boucles et du delay pour créer des rythmes complexes —des trilles au delay !—, créer des textures riches, parfois à la limite des nappes de synthèse granulaire, et sa voix. Ses voix. Quand il s’y met. Heureusement il s’y met plus souvent qu’il ne s’y met pas. Et puis rappelez-vous, scène ouverte, à froid, enfin z’avez pigé. Le mec à la sono lui dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Anthony, encore un gars sympa, accepte.

Vous ne voyez toujours pas ce que je veux peindre comme tableau avec mes tournures alambiquées qui font pas honneur à ? Voilà son soundcloud. Je sais pas s’il y a ce que j’ai entendu hier, j’ai pas encore eu le temps d’écouter. En tout cas si vous entendez dire qu’il passe dans le coin, allez-y voir, je suis sûr que ce sera intéressant.

Normalement, c’est à peu près à ce nombre de mots que vous arrêtez de lire les articles. Ne niez pas, j’ai mes sources. Mais aujourd’hui, vous allez me faire le plaisir de faire un effort. On doit en être à un peu plus de la moitié, et il me reste encore de beaux moments musicaux et humains à raconter. Allez, entracte photo du jour, comme d’habitude, c’est Gwlad qui régale.

Photo par Gwlad (avenue des États du Languedoc)

Vous êtes délassées·s ? On reprend.

Le troisième musicien à monter sur scène, c’est deux musiciens. L’un dont j’ignore totalement le nom, et le deuxième, je vous dis pas tout de suite, je fais durer le suspense. Le premier a une guitare electro-acoustique dans les mains, il en joue, chantonne, rapotte. Je ne sais pas s’il reprend des paroles de chansons existantes sur des accords à lui, ou si c’est écrit de son stylo bic. Toujours est-il que je préfère quand il chantonne, quand il rapotte ça fait laïus égotique virilo-macho_montre-muscle et fier de ses défauts. Encore une fois, c’est peut-être des reprises, mais si tu viens me chanter des discours de Sarkozy dans les oreilles, t’attends pas à ce que je vienne te dire que t’as une jolie voix. Bref, je préfère quand il chantonne en anglais. Je fais un effort quand même, purement musicalement, on voit que le mec est à l’aise avec sa gratte, y a de la nuance dans son jeu malgré les accords joués en boucle, et la scansion est bonne.

Le deuxième du duo, dont je garde le nom secret pour l’instant, essaie de trouver sa place au départ, il tente des hum hum discrets, et puis d’un coup d’un seul, dès que l’espace est enfin disponible, putain, ce qu’il envoie ! Voix profonde, sculptée, qui fait des pirouettes avec une aisance assez dingue, voix expérimentée qui joue sur les timbres et les textures. Ça dure pas longtemps, mais j’y entends du Nina Simone, du jazz lyrique. J’avais dit pas de comparaison à des genres ou des artistes hein ? Me renier, c’est ma passion. Enfin, tout ça ne dure que quelques secondes. Mais voilà les secondes…

Deuxième morceau, cette fois ce qu’il envoie c’est une impro proche du scat aux accents reggae, toujours avec cette voix, profonde et chaude, non je parle pas du vagin de maman, je sais que vous avez la nostalgie de mais restez concentrés·es s’il vous plaît. Bref, en quelques secondes à chaque fois, on a le temps de sentir que le mec cache une musicalité énorme.

Le mec à la sono leur dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Qui ça d’autres ? Ils étaient trois musiciens inscrits pour la scène ouverte, enfin quatre, puisqu’il y avait un duo. Le mec leur dit que les musiciens pour la jam session sont impatients de monter sur scène. Ah, c’est eux. Et oui, jam session dans une soirée scène ouverte. Daitman —voilà, c’est lâché, c’est son nom au super chanteur, Daitman Paweto. Connaissez pas ? Ben vous feriez mieux de le retenir et d’aller voir ce qu’il fait dès que vous en avez l’occasion, ce mec va devenir célèbre, et ce sera mérité—, demande s’il peut quand même faire une chanson avec une guitare avant de descendre, il a quasiment pas eu le temps de chanter en fait. Le mec-anguille lui répond pas franchement, d’un air de descends maintenant mais je te le dis pas les yeux dans les yeux, d’un air de les amateurs ont assez joué place aux pros, d’un air de la scène ouverte c’est terminé les minus, z’avez assez joué, maintenant c’est les jazzmen de cinquante balais qui jouent, les musicos respectables, faites place, comprenez, la clientèle tout ça, vont pas s’alcooliser longtemps si on leur met pas du jazz à papa dans les pattes. Franchement à ce moment-là j’étais sur le cul. Daitman résiste, même quand le pianiste sosie d’Alain Chamfort, orgueilleux au possible, monte sur scène en lui lançant « je suis pas payé pour accompagner les mecs qui viennent chanter leurs chansons ». Rien à foutre, Daitman le regarde du genre je t’ai rien demandé. Il est malmené, mais pas grave. Il leur dit que cette scène est faite pour être partagée, ouverte, jam session, non ? On aurait compris de travers ? Il demande un capodastre, les mecs l’envoient bouler du genre démerde-toi on veut pas de toi ici avec ta chanson, ta putain de seule petite chanson que tu veux chanter que ça prendra trois minutes mais c’est trois de trop pour nous. Heureusement, Ánthos est là, près de la scène, il en a un de capodastre, il le lui prête. Johanis remonte aussi sur l’estrade et prend la basse. Merci !! Le groupe improvisé joue, et il envoie, le Daitman. C’était bon. Au bout de deux chansons à accompagner les autres, il redescend de scène.

Je lui touche deux mots de ce qui vient de se passer, il trouve ça bête, mais il en fait pas une affaire, il a pu jouer, c’est tout ce qui a l’air de compter. Il me dit qu’il se tire à la Pleine Lune, en fait il est censé y être depuis une heure et demie, il était juste parti en ville pour acheter des clopes et s’est retrouvé embringué là. Je décide de le suivre. À la Pleine Lune, c’est aussi jam session, mais on verra que c’est un autre genre. Allez, c’est l’article le plus long que j’ai écrit jusqu’à aujourd’hui, mais je suis sûr que vous avez encore le courage d’en lire un peu plus, on y va.

Sur le chemin, Daitman m’explique qu’il a trente ans, qu’il a commencé à monter sur scène à treize, qu’il a fait du rap, du reggae, du jazz, que maintenant il a trouvé son truc, son mélange, son effet à produire sur le public. Il m’explique sa vision de la musique, du groupe. Le mec a dix-sept ans d’artisanat zikal dans les jambes, il commence à savoir ce qu’il veut. Il avait ouvert un bar musical, mais des histoires familiales ont fait que. Aujourd’hui, il repart sur un nouveau projet. Il a remonté un groupe autour de lui. D’ailleurs, avant la Petite Scène, ils ont fait leur première répet en vue d’une série de concerts pour jouer l’album enregistré au Studio Vox et en cours de mixage. Ce que j’avais pressenti se confirme, il fait pas semblant Paweto Daitman.

On arrive à la Pleine Lune, c’est soirée Jam Session World Music, j’aime pas ce terme, World Music, ça sent la FNAC et le rayon CD du Super U. Sur scène, c’est aussi bondé que sur la piste de danse quand on déboule. Je saurais plus dire avec précision combien de musiciennes·s étaient présentes·s, mais comme ça je revois à notre arrivée : une clarinette, un sax, une trompette, un batteur, un violon, une basse, deux guitares, un clavier, une voix qui chante dans une langue arabe que je serais bien incapable de reconnaître. Y a une pêche d’enfer, les gens sont excités, ça danse, ça picole, ça se marre, ça dragouille, ça saute sur place. Et tous ceux qui veulent monter sur scène le peuvent. Même les gros relous bourrés. Ça, ça plaît pas trop à Ella.

Car oui, j’oubliais, sur place Daitman me présente des amies·s musiciennes·s à lui, Édouard que je n’ai pas vu jouer et dont j’ignore l’instrument de prédilection, Timothée le guitariste, et Ella la chanteuse. Tout ce petit monde est fort sympathique. Sont venus·es là pour la musique, pas se la coller. Chacun·e montera sur scène à un moment ou un autre. La musique, d’ailleurs, est un mélange hallucinant de toutes les sonorités possibles et pas imaginables, dans des combinaisons riches, surprenantes, et éphémères. La zik est improvisée à jusque douze musiciens·nes et chanteurs·ses, des morceaux qu’il fallait entendre sur le moment, car c’était la première et la dernière fois qu’on les jouerait dans l’histoire de l’univers.

Au niveau des voix : on a eu Ella qui à envoyé ses good vibes, d’une voix posée, calme, légèrement voilée, qui peut s’emballer d’un coup et partir dans les astres avec une apparente facilité. Apparente seulement, elle me le confirmera plus tard. On a eu Daitman, évidemment, toujours aussi bon. On a eu deux filles, toutes les deux dans une style soul-jazz, et dont j’ignore les noms. On a eu un rappeur, apparemment très souvent à l’ODB, grand, cheveux mi-longs attachés, le genre qui met l’ambiance, avec des textes qui appellent à l’empathie, comme son t-shirt, et une gueule qui appelle à être son pote. On a eu aussi un mec qui envoyait le salsifis, rap-reggae, textes humanistes, engagés.

Vous savez quoi ? Je vais arrêter là. Je suis sûr que vous n’en avez même pas lu la moitié, et je suis claqué. En tout cas, mon programme des mardis quand j’aurais rien prévu de particulier me semble maintenant tout trouvé. Petite Scène jusqu’à la fin de la partie scène ouverte pour voir les artistes de près et pouvoir échanger un peu ensuite, puis Pleine Lune pour finir dans une ambiance ouf.

Allez, la bise. Promis demain ce sera plus court.

#46 – Montpelliérien #046 – La maison presque abandonnée

Mazette ! Il est 7h45, et je dois rédiger une note de blog, déjeuner, me laver avant de partir à 8h30 dernier délai. Hein ? Si j’ai trouvé du travail ? Ça va pas non. Tout de suite vous pensez au pire !

Non, je vais faire le testeur de murder party. La vraie murder party se déroulera le 24 mars, ce sera à Ambrussum, site archéologique de Villetelle, juste à côté de Lunel. Mais vous emballez pas, c’est complet. Quatre-vingt participants·es le matin, cent l’après-midi. Pourquoi le matin c’est complet à quatre-vingt, et l’après-midi cent ? Posez pas des questions idiotes je vous ai dit que j’avais pas le temps.

D’ailleurs, à Lunel même, exposition des travaux de trois des dessinateurs du journal satirique Siné Mensuel : Desclozeaux, Fernand et Jiho. C’est du 15 mars au 10 avril à la Galerie Musidora du Lycée Louis Feuillade, 49 rue Romain Rolland. Attention, j’ai bien dit à Lunel, c’est à vos risques et périls.

Heureusement, Gwlad nous à préparé un mini photo-reportage sur une maison presque abandonnée de Montpellier qui va vous occuper cinq minutes de plus.

La maison presque abandonnée

Photo par Gwlad (maison presque abandonnée côté boulevard Vieussens)

Ouh la la, c’est de l’urbex, ça fait un peu peur, c’est l’aventure.

Photo par Gwlad (maison presque abandonnée par le côté rue Colin)

Brrr, ça me rappelle La maison des damnés

Maintenant quelques explications plus terre-à-terre. Exceptionnellement, si vous cliquez sur les images elles s’afficheront en grand pour mieux lire le texte au lieu de vous rediriger vers le site de Gwlad.

Et voilà, pour aujourd’hui. Maintenant je dois vraiment filer. Ça fait deux fois cette semaine que j’ai des choses prévues dès le matin, mais je vous promets que ça ne se reproduira plus !

Allez, bisettes et à demain !

#37 – Montpelliérien #037 – Du son et de l’image

Il y avait Jazz Jam Session hier au Little Red. La dernière fois je ne vous en avais pas dit trop de bien, du lieu et de la soirée, alors je vais revenir un peu sur mes propos. C’était vraiment sympa cette fois, les joueurs étaient résolument dans le jazz gitan, quand on est arrivés c’était deux guitares, une électro-acoustique et une électrique, et une caisse claire frappée aux balais seulement. J’aimais pas trop le son de l’électrique, elle bouffait toute la tension exercée sur la corde par le gratteux pourtant indéniablement bon, on entendait les notes, on entendait pas le jeu. Mais enfin, vous vous doutez bien que si c’est le seul reproche que j’ai à en faire, c’est que ce n’était qu’un détail, comme l’était l’histoire des chambre à gaz parmi la longue liste de conneries qu’a bien pu sortir Jean-Marie Le Pen au cours de sa (certains diront trop) longue vie. Rah la la, c’est dommage, on était bien là, au milieu du jazz, et je viens tout gâcher en nommant ce patibulaire personnage pour faire un bon mot. Reprenons donc. Deux guitares, une caisse claire, auxquelles est venu s’ajouter un sax alto non moins talentueux au bout d’une petite demi-heure. Les mecs s’accordaient parfaitement. Je dis les mecs parce que c’était trois mecs. J’aurais pu mentir pour la parité. Mais dois-je peindre le monde comme je le voudrais ou comme il est ? On est beaucoup d’écriveuses·rs à se le demander. Autant dans la fiction m’est avis qu’on peut faire comme on veut, autant quand on rapporte une scène qui s’est réellement passée… J’en sais rien, ça peut avoir ses avantages également. Si vous avez une réponse définitive, laissez-moi un commentaire, et je vous répondrai sans doute qu’il est bien présomptueux de penser avoir une réponse définitive. Enfin bref, ils s’accordaient parfaitement, échanges de solo, thèmes en harmonie improvisés grâce à ce sens de l’écoute et cette connaissance de la théorie musicale hypertrophiées auxquelles on reconnait les jazzeux·ses. Pendant leur pose clope on est partis, mais j’ai vu qu’un autre guitariste prenait le relais, un qui s’était caché, fourbe, parmi le public. C’est ça qui est cool avec les jam sessions, ton voisin ou ta voisine de table peut soudain se métamorphoser en le génie musical que tu vas admirer le reste de la soirée. Enfin là on est partis, on a pas trop pu l’admirer.

Eh, c’était pas un beau petit pavé ça ? Si que c’en était un, et pourtant j’ai toujours pas vraiment parlé du Little Red, mais j’ai envie de dire que tant mieux. L’ambiance était sympa, les musiciens pas bridés sur le volume, les prix raisonnables, l’accueil gentil. Que dire de plus ? Rien. Ça me suffit, ambiance bonne franquette et pas cradingue. C’est déjà beaucoup demander à Montpellier.

Photo par Koinkoin (rue Astruc)

Sinon, en ce moment, c’est le festival cinoche de la fac de lettres : Paul va au cinéma, édition 2018, qui se déroule du… 5 au 9 mars. Oui, j’aurais pu vous en parler plus tôt, mais vous avez bien vu comment j’étais ces deux derniers jours. Enfin, z’avez encore 3 jours pour y aller.

Aujourd’hui, vous avez une table ronde avec l’ACID, Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion, c’est à 11h45 (mais si vous avez le temps d’y être), c’est salle Jean Moulin, et c’est gratuit.

À 16h15, toujours dans la même salle, projections et remise des prix des court-métrages de la catégorie documentaire. Je sais pas si c’est gratos aussi ou pas, vous verrez bien.

Et puis sur toute la durée ou presque du festival, des expo, des ateliers, des stands divers et variés, pour les détails, leur programme, un peu mal foutu selon moi, est téléchargeable ici.

Je crois qu’on a pas du tout fait le tour mais je veux poster cet article au plus tôt pour que vous ayez le temps de vous motiver, je sais bien comme vous êtes, alors je vous laisse là, et je vous dis à demain. Bises.

#35 – Montpelliérien #035 – Toujours pas d’autocollant QUALIBLOG en vue

Il y a des jours comme ça où on n’a pas dormi de la nuit. Quand on ne dort pas de la nuit, il arrive qu’on dorme le matin. De 7h à 9h, par exemple. Juste ce qu’il faut pour avoir quand même à regretter le maigre sommeil qu’on a dû quitter. Dans ces cas-là, à votre avis, a-t-on le cerveau dans un état propice à rédiger un article de blog qui vaille quoi que ce soit ? Personnellement, je ne le pense pas. Je ne pense rien d’ailleurs, je n’en ai pas les capacités là tout de suite. Vous vous souvenez de l’éternel vieux chewing-gum collé sous votre bureau au collège ? C’est mon cerveau dans sa boîte crânienne.

Ce que je peux faire, c’est vous dire que ce soir, le film indépendant Du Satin Blanc, dont je parlais dans cet article, est à nouveau diffusé au pub O’Sullivans, place de l’Europe. L’entrée pour voir le film c’est 5€, les conso sont optionnelles.

Photo par Gwlad (rue Colin)

Quoi, vous en voulez encore ? Vous êtes vraiment pas possible. Je vous explique que je suis à l’agonie et vous me pressez comme… Ah tiens, vous l’avez déjà croisé lui à Montpellier ? Un monsieur très étrange, souvent en ciré et qui, un demi-citron en main, vous lance : « Excusez-moi, vous êtes pressé ? », ensuite il vous pose des questions sans aucun sens sur votre vie ou vous raconte la sienne qui n’en a pas plus. Mais ça c’est pareil pour tout le monde, la vie ça n’a aucun sens. Pour rester dans l’anecdotique, je me souviens de Vincent Desagnat à qui une intervieweuse demandait : « Et si la vie avait un sens ? ». Il lui avait répondu : « On prendrait l’autre. » Ça laisse rêveur·se. Vous voyez, quand je n’ai pas dormi, mes références culturelles c’est l’homme au citron et Vincent Desagnat, alors de grâce, laissez-moi y aller avant que je me ridiculise un peu plus encore.

Passez une bien belle journée avec ce temps pourri et n’oubliez pas que dans une quinzaine de jours c’est le printemps, courage.

#32 – Montpelliérien #032 – Les toits de Montpellier

Hier (si je comptais le nombre des mes posts qui commencent par « Hier, »…), mon mur suintait. Contrecoup de la tombée de neige, qui est encore bien présente sur les toits, et de la pluie qui, ayant pris le relai de la neige au bout d’une douzaine d’heures, est tombée en continu jusque tard cette nuit. Je n’avais encore jamais eu de problème d’infiltrations dans cet appartement. Mon mur suintait, donc, en divers endroits, en haut au niveau de l’entrée du tuyau d’acheminement de l’eau chaude dans le mur, au milieu sur les bords du cadre de la fenêtre, en bas au niveau d’une espèce de grille d’aération. Le plafond, lui, ne suintait pas, il s’est contenté de prendre une teinte jaune tout au long de la journée. Ce matin, la neige est toujours sur les toits mais la pluie s’est arrêtée, le mur ne suinte plus, la peinture dudit plafond est émiettée au sol.

Chez moi

Pourquoi que je vous cause de ça, hein ? Et ben, parce qu’à Montpellier, c’est courant. C’est même la norme. Les propriétaires Montpelliériens·nes sont bien connus·es pour prendre le fric et te laisser très longtemps dans la merde dès qu’il y a un problème, pour louer hors de prix des appartements minables et parfois insalubres. Leur solution à tous les problèmes ? La tête dans le sable, attendre que la, le ou les locataire·s parte·nt, et mettre un coup de peinture. Le coup de peinture, ça n’arrange rien, mais ça permet de gagner du temps. Bon allez, je dis que c’est courant, je ne voudrais pas qu’on me prenne pour un menteur. Devinette : quelle autre personne présente sur ce blog a subi un dégât des eaux hier ?

Chez Gwlad

Et oui, évidemment. Du coup on va prendre les paris sur qui aura son plafond réparé en premier. Vous pouvez miser dans les commentaires. Mais ça ne s’arrête pas là, qui encore présent sur ce blog a subi un dégât des eaux récemment ?

Chez Koinkoin

Koinkoin, donc, qui a emménagé il y a deux mois à Montpellier dans un appartement « entièrement rénové ». Il a mis environ un mois à faire faire rénover son toit alors qu’il a plu parfois pendant une semaine non-stop et que tout coulait pile sur son lit.

Vous voyez, on est trois sur ce blog, et on est trois a avoir subi un dégât des eaux en moins de deux mois. Faites le calcul 3/3 = 1, on est donc un à avoir… non, ça ne marche pas comme ça, on est donc tous dans une situation pourrie, c’est le cas de le dire, à cause de propriétaires qui tirent sur la corde jusqu’à ce qu’elle pète. C’est plus que courant et la liste de mes connaissances a qui c’est arrivé récemment est plus longue que ça, mais vous ne les connaissez pas alors je ne vous en parle pas. Certains ont mis presque une année avant d’avoir le droit à des travaux, mais pourquoi faire des travaux, hein ? Ça coûte cher, les travaux, on va pas dépenser tous ces sous durement gagnés à grands coups de loyers déraisonnables. Et puis ça va changer quoi ? C’est pour ne pas respirer chaque jour des champignons ? Vous savez, les champignons ça se vend cher, avec le bon état d’esprit vous feriez fortune. C’est pour ne pas vivre dans un environnement dont le taux d’humidité dépasse celui du sud-est de la Chine ? Écoutez, c’est le dépaysement à peu de frais !

Allez, assez de conneries pour ce matin, je file, j’ai une agence à appeler, souhaitez-moi bonne chance.

#31 – Montpelliérien #031 – Le jour où il a neigé mais cette fois on en parle

Hier, j’étais trop occupé à rédiger une bonne vieille note de blog insipide au possible pour m’apercevoir qu’il s’était mis à neiger. Quelque part tant mieux, comme ça je peux vous en parler sans faire doublon aujourd’hui. En plus, j’ai des trucs à dire du coup.

Hier, donc, il a neigé à Montpellier, mais pas seulement. Hier, il a également souri à Montpellier. Qu’est-ce qu’il raconte l’autre ? vous vous dites. Je raconte que d’une je n’avais jamais vu la ville à ce point enneigée depuis treize ans que j’y habite, et de deux que je n’avais jamais vu autant de gens sourire en une seule journée. Mieux, échanger des sourires. C’était ça le plus dingue, chacun·e avait son petit smiley accroché au bec, et souvent les gens se souriaient en se croisant, jeunes et vieux pareil. On sentait qu’un évènement aussi rare, aussi soudain (la veille je jouais du Bağlama sur l’herbe en plein soleil place de l’Europe, vingt-quatre heures plus tard cette dernière accueillait une trentaine de bonhommes de neige), ça avait déclenché quelque chose chez les gens. Quelque chose de pas bien définissable, joie, soulagement du quotidien, émerveillement.

À quoi était-ce dû ? Les gens avaient trop de choses inhabituelles à voir, trop de détails à observer d’ordinaire invisibles mais qui mis en valeur par le revêtement blanc sautaient maintenant aux yeux, trop d’énergie à déployer simplement pour ne pas se casser la gueule. Résumons ainsi : ayant tout simplement trop d’information à traiter, les gens n’avaient plus assez de RAM pour porter leur masque habituel. Les défenses étaient tombées. On se sentait tous·tes un peu gauches, tous·tes un peu intimidés·es, tous·tes un peu excités·es, et on souriait. Et c’était bon. Bien sûr, ça fait réfléchir à pourquoi ces défenses sont là d’ordinaire. Pourquoi il faut de tels évènements pour que les gens laissent tomber les barrières intimes derrière lesquelles on protège nos pas-grand-chose. Pourquoi habituellement ces mêmes personnes se font la gueule au quotidien, s’ignorent, se snobent, se lancent de mauvais regards ? Tout ça a disparu pour un jour. On a vu des batailles rangées de boules de neige un peu partout en ville dès que le terrain était propice à établir des camps, des groupes mitraillaient les passants du haut des balcons du Peyrou en leur lançant des « on est bien désolés, mais vous avez le désavantage de la position » et zblaf ! À quelle autre occasion voit-on des inconnues·s se parler comme ça, jouer ensemble sans se demander leur avis au préalable et chacun·e l’accepter de bon cœur, le tout en étant sobres ? Jamais. Ne cherchez pas. Si on se gelait définitivement les parties, tout ça faisait quand même bien chaud au cœur.

Photo par Gwlad (promenade du Peyrou)

Évidemment, vous le verrez ou l’avez déjà vu dans de nombreuses vidéo sur YouTube, Facebook et Twitter, les luges, skis et snowboards étaient également de sortie, boulevard Henri IV, rue de l’Université, avenue Henri Frenay. Rue de Villefranche, un bar clandestin éphémère s’était monté, pour un euro on pouvait poser ses fesses sur des tabourets en neige, boire un verre de vin chaud et manger une crêpe. Quoi d’autre ? La joie communicative des enfants à tous les coins de rue. Fallait voir les tout petits pousser leurs pépiements suraigües de surprise à chaque pas, emmitouflés dans leurs doudounes et cagoules, la morve en stalactite. Et même les un peu plus grands, qui faisaient des constructions, qui glissaient, couraient, se roulaient dans la poudre. Ils étaient heureux, et on voyait que leurs parents étaient heureux qu’ils soient heureux. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que c’était une belle consolation pour tous les enfants nargués inconsciemment par leurs copains·ines partis·es en vacance à la montagne et dont les parents ne pouvaient pas leur offrir des vacances aussi chères. Car il faut le dire, les vacances au ski, c’est pas pour n’importe qui, ça coûte un bras, ça coûte trop de sacrifices tout au long de l’année pour une semaine où l’on ne se sent pas à sa place quand on fait partie des couches les plus pauvres de la société. Et ben ils et elles l’ont eue, la neige, eux et elles aussi. Et c’est elle qui s’est déplacée. Elles·Ils ne se sentiront pas injustement plus bêtes que les autres à la rentrée quand chacun·e racontera ses souvenirs de glissades et de fou-rires et d’exploits sur patins. Elles et eux aussi en auront en mémoire, visuellement et émotionnellement. Merci la vie, des fois.

Bon, c’est certain, la journée n’a pas été drôle pour tout le monde. Pour moi, c’était fantastique de pouvoir observer ce joli petit peuple joyeux comme tout, malgré quelques pincements au cœur quand je me rendais compte que la majorité des gens se promenaient en couple ou en groupe, et qu’on était très peu de solitaires, mais ça passait vite. C’est ça qui est bien quand tout le monde se sourit. Non je parlais de vrais soucis, les glissades, les tombades. Moi j’ai glissé douze fois dans la journée, en quatre heures de promenade, et je ne suis tombé qu’une fois. Pas mal déjà, mais ce n’est rien. Combien de personnes âgées se sont fait le col du fémur ? Combien se sont ouvert le crâne ? Combien d’accidents de voiture ? Ne serait-ce que dans mon entourage, un gros carton sur la route, poumon perforé, bassin fracturé, vie sauve mais tout de même. Oui mais voilà, qu’est-ce qu’on peut y faire ? C’est pas de chance, c’est l’accident. On va pas se mettre à chialer pour ça si on a pas un·e proche à la morgue ou handicapé·e à vie. On va plutôt profiter des bons aspects et ignorer ce qui n’a pu être évité, ce qui ne pouvait être évité. On est bien démunies·s quand arrive un évènement pareil une journée tous les quinze ans, il n’y a pas grand chose à faire. Si, faire attention où on met les pieds, se précipiter pour aider quand en en voit un·e qui fait la tortue sur le dos, et puis rire.

Photo par Gwlad (promenade du Peyrou)

Voilà, c’était une journée où il y avait, en plus de la neige, de la bonne humeur partagée dans l’air, de l’émerveillement dans les regards, des sourires sur les visages. Je souhaite que ça pousse les gens à être un peu plus tendres les uns envers les autres au quotidien, à moins se fuir. Y a pas de raison que les relations entre personnes s’apaisent uniquement les jours de neige. J’aimerais qu’on en garde quelque chose, de cette journée exceptionnelle à Montpellier, et que ce ne soit pas forcément des bleus aux fesses.

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