#321 – Colin prend sa baffe

Combien de fois devrais-je vous le répéter ? Je suis un être d’inconséquence. Ce n’est pas parce que je vous ai dit hier que nous aborderions un nouveau sujet que je m’y tiens aujourd’hui.

Hier, donc, dès la publication de l’article, je reprenais mes recherches sur ce fameux air, et fouillais du côté de la plus vieille source citée sur divers sites. Laquelle est-elle ? Colin prend sa hotte. L’article dit que l’air de cette chanson-là ressemble étrangement à l’air qui nous intéresse, et qu’il fut publié en 1719 par Christophe Ballard.

Pour ma part, je l’ai trouvé dans un livre publié par Christophe Ballard, en effet, mais en 1704 : Brunetes ou petits airs tendres, avec les doubles, et la basse-continue, meslées de chansons a danser. Recüeillies & mises en ordre par Christophe Ballard, seul Imprimeur de Musique, & Noteur de la Chapelle du Roy. Tome second.

Il m’est impossible de résister à écrire ces titres en entiers, c’est comme ça. Vous pouvez retrouver ce livre numérisé sur le site de la bnf ici.

Mais qu’est-ce qui m’a poussé à revenir sur ma parole et vouloir vous le partager aujourd’hui ? D’une le fait qu’il s’agisse encore d’un gougeât qui interagit avec une femme, thème qui à l’air de coller de près à cet air, et de deux le fait que je ne savais absolument pas quoi vous raconter aujourd’hui.

Voilà donc à quoi ressemble cet air de Colin prend sa hotte :

et ce que ça donne une fois joué :

Avec un super son de synthé pourri, j’avais rien d’autre sous la main.

Mais, évidemment, ce sont les paroles qui m’ont intriguées, car on peut y voir un Colin se croyant tout permis, et une Godon ne se laissant pas faire, qui nous rappelle que même avant 1700 le consentement n’était pas une notion purement décorative.

Colin prend ſa hotte,

Et ſon hoqueton :

S’en eſt allé voir

La belle Godon,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

S’en eſt allé voir

La belle Godon,

La trouva dormant,

Auprés d’un buiſſon

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

La trouva dormant,

Auprés d’un buiſſon

Il s’approche d’elle

Luy prit le menton,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

Il s’approche d’elle

Luy prit le menton,

La Fille s’éveille,

L’appella Fripon,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

La Fille s’éveille,

L’appella Fripon,

J’iray en Juſtice,

J’en auray raiſon,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

J’iray en juſtice,

J’en auray raiſon,

Pardonnez la Belle,

A ma paſſion,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

Pardonnez la Belle,

A ma paſſion,

La faute en eſt faite,

N’y a point de pardon,

Bon, Haut le pied, Fillette,

Ma Mer’ vend du ſon.

Voilà. C’est pas joli joli.

Vous vous demandez sans doute ce que peut bien vouloir dire « haut le pied, fillette, ma mère vend du son ». Moi aussi. D’après mes recherches, le sens le plus probable en est : « Godon, dépêchons nous de baiser, ma mère est partie au travail ». Mais mère au travail ou pas, il me semble être clair que Godon n’est pas super chaude. Et non, c’est non.

Quant à l’air et à la structure, c’est vrai qu’il y a quelque chose de Kradoutja. Cela dit, c’est tout de même une mélodie très basique, je ne mettrais donc pas ma main à couper que les deux airs soient reliés.


Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com

#300 – Femmes enceintes, ne vous grattez pas n’importe où, surtout si vous avez la fringale

Alors qu’une fois encore je farfouillais dans le catalogue vertigineux de la BnF, du côté des périodiques anciens, v’là-t’y pas qu’je tombe sur un enfant à deux têtes ! Enfin, sur le rapport que fait un certain Monsieur Comiers (on en reparlera sans doute un jour de celui-là) de la naissance et de l’autopsie d’un enfant né avec deux têtes, dans le Mercure Galant de février 1683.

Ce rapport est intéressant à deux niveaux puisqu’il nous permet non seulement d’entrevoir ce qu’on savait ou pas du corps humain et de son développement à cette époque-là dans les sphères savantes, mais qu’en outre l’auteur nous y livre quelques précieux conseils de bonnes pratiques durant la grossesse.

Dernier détail avant la reproduction de l’article la plus fidèle qu’il me soit possible de faire sur ce blog, le texte était à l’origine accompagné de trois dessins, hélas perdus. Dans toutes les éditions numérisées que j’ai pu trouver, les dessins étaient toujours manquants et ils n’ont apparemment été reproduits dans aucune des revues scientifiques de l’époque. Toutefois, sur la version numérisée par la BnF, on peut voir que l’encre du dessin de la Figure 1 a laissé une marque sur l’une des pages précédant l’article, j’ai donc essayé de bidouiller l’image pour rendre celle-ci le plus lisible possible, mais c’est pas génial.

Allez, passons au texte.


LETTRE
DE Mr COMIERS
d’Ambrun, Profeſſeur des Mathématiques à Paris.

VOicy, Monſieur, ce que je vous avois promis ; la Relation particuliere de l’Enfant à deux teſtes, né le 7. Janvier dernier, & les trois Figures tirées au vif par Mr Compardel, un des plus excellents Peintres de Paris, & qui réüſſit auſſi aux Portraits en Mignature. Vous pouvez en faire part au Public, comme vous l’avez fait eſperer par voſtre dernier Mercure.

Marie-Anne Cacheleu, âgée de 30. ans, Femme de Maiſtre Pliecq, auſſi âgé de 30. ans, Marchand Chapelier, à l’Enſeigne du Bon Laboureur, Ruë Jean-Robert, Paroiſſe S. Nicolas des Champs à Paris, ayant fait cinq heureuſes couches d’un ſeul Enfant à la fois, ſe trouva pour la ſixiéme fois en travail d’Enfant le 7. Janvier 1683.

La Sage-Femme, Madame Marcel, appela à ſon ſecours Mr Bonamy, Maiſtre Chirurgien. Par leur expérience, accompagnée de leurs ſoins, la Malade accoucha le meſme jour à huit heures du ſoir cet Enfant à deux teſtes, quatre bras, & deux jambes, & à une ſeule marque du Sexe maſculin, comme on voit dans les Figures 2. & 3. Cela n’empeſche pas que l’on ne les puiſſe appeller deux Enfans accolez, empruntant ce terme du Blazon.

L’Enfant B, qui eſtoit à droite, & qui reſſembloit au Pere, préſenta un de ſes bras, c’eſt pourquoy on le baptiſa. Il fut nommé Claude. Il falut faire effort pour le tirer hors de ſa première priſon ; & bien qu’il euſt beaucoup ſouffert avant que d’eſtre au jour, il donna encore des marques de vie. Pour l’autre Enfant A, ou ſi vous voulez l’autre moitié de cet Enfant à deux teſtes, il ſortit facilement du ventre de la Mere, & je ne croy pas qu’il ſoit poſſible de voir en cire un plus bel Enfant. Il mourut en meſme temps que ſon Frere aîné collateral.

Pluſieurs Dames m’ont demãdé ſi le Sacrement de Bapteſme, qui n’avoit eſté donné qu’intentionnellement à un ſeul de ces Enfans, pouvoit extenſivement ſervir à l’autre, à cauſe de leur connéxion, veu meſme qu’ils n’avoient pour tous deux que les meſmes jambes, & une ſeule marque d’Homme ; & ce qu’il ſeroit à propos de faire, lors qu’une Sage-Femme a lieu de douter qu’il y ait deux Enfans accolez comme ceux-cy, & qu’il n’y en a qu’un qui préſente quelconque partie de ſon corps. Comme mon ſentiment ne pourroit tout au plus fonder qu’une opinion probable, j’ay répondu qu’il en faloit attendre une juſte déciſion d’une Aſſemblée de Docteurs.

Ce fâcheux accouchement de ces deux Enfans accolez, fut bientoſt ſuivy de la naiſſance d’un autre Garçon, qui ſe porte tres-bien & la Mere auſſi. Ce troiſiéme Enfant n’eut pas à ſouffrir pour entrer au monde, puis que ces deux Freres qui l’avoient devancé, avoient (comme on voit dans la Figure I.) dix-ſept pouces de longueur C E, & ſept pouces de l’épaule O à l’épaule M.

Les Anatomiſtes, & les Curieux ne ſeront pas fâchez de trouver icy que pour déboiter les os, comme auſſi pour les bien & facilement décharner, il les faut faire boüillir dans de l’huile.

Depuis que Mr Theodore Kerckering, a montré évidemment dans ſon Anthropogeniæ Icnographia, ce qu’on peut voir dans les Mémoires concernans les Arts & les Sciences, préſentez à Monſeigneur le Dauphin en 1672. par Mr Denis, Medecin ordinaire du Roy, Que les Femmes font des œufs, comme tous les Oiſeaux, qu’elles les couvent elles-meſmes, & les font éclore au bout de neuf mois, & qu’enfin c’eſt à ces œufs que les Hommes doivent leur origine, j’attribuë cet Enfant double, ou ces deux Enfans accolez, à la colliſion des deux œufs, faite par quelque matiere glaireuſe, puis meſme que nous trouvons aſſez ſouvent deux jaunes, & deux germes dans une même coquille d’œuf car bien que la force de l’imagination puiſſe beaucoup ſur la formation de l’enfant, elle ne ſçauroit neantmoins luy procurer deux teſtes, deux cœurs, &c.

La Relation que je fis de cet Enfant double, dans une des plus belle Maiſons de Paris, porta Madame de B. tres-illuſtre par ſa naiſſance, par ſon mérite, & par ſa vertu toûjours ſolide & exemplaire, à dire que feu ſon premier Fils avoit eſté agreablement marqué, depuis le deſſous de l’oreille le long du col, d’une Jonquille tres-bien formée, dont les cinq feuïlles & la tige paroiſſoient tres-diſtinctement, pour s’eſtre touchée en cette meſme partie avec deux Jonquilles. Elle aſſura encor que Mademoiſelle A. avoit apporté ſur la cuiſſe droite la marque tres-bien formée d’une Couronne, & des Chifres, tels qu’on les voit en pluſieurs Meubles ſuperbes de cette Maiſon, & cela ſeulement pour avoir mis ſur ſa cuiſſe droite, le modelle en terre que le Sculpteur luy en avoit apporté. Enfin je conclus que s’il ne faut que de l’eſprit pour ſeconder une belle & vive imagination à produire des effets cõme ſurnaturels, cette illuſtre Dame auroit pû enfanter des Corps tous ſpirituels, & des Enfans tous brillans de lumiere, & leſquels s’il eſtoit poſſible, d’avoir icy bas plus d’eſprit qu’ils en ont, ſeroient autãnt pleins de feu & de rayons que le Soleil ſimbole de leurs Armes.

Pour éviter que l’imagination, ou l’appetit dépravé du commun des eſprits foibles des Femmes enceintes, ne produiſe des marques fâcheuſes ſur le corps de leurs Enfans, il eſt bon de les avertir qu’elles doivent cracher auſſi toſt qu’elles ſe ſentent avoir quelque appetit violent ou deſordonné, & qu’elles ont, comme on dit, la ſalive à la bouche de ce qu’elles deſirent ardemment, & qu’elles doivent dans ce moment-là éviter de ſe regarder dans un Miroir, & de paſſer la main ſur le viſage, ſur la gorge, ſur les bras, ny ſur autre partie découverte.

Revenons à nos deux Enfans gemeaux accolez. Ils n’avoient comme on voit dans les Figures, qu’un ſeul corps, deux teſtes, & deux cols ou gorges bien dégagez, quatre bras bien faits, & auſſi bien dégagez, une poitrine, un bas ventre, & une ſeule marque du Sexe, deux cuiſſes, avec leurs jambes & pieds R S à l’ordinaire, le tout bien formé & proportionné.

De l’extremité de l’os ſacrum marqué I dans la troiſiéme Figure, ſortoit une appendice membraneuſe & glanduleuſe de la groſſeur du petit doigt de la main, & un peu aiguë au bout, & retreſſie ſur le milieu. Sa racine eſtoit mince, elle prenoit ſon origine de la vraye peau, la Mere s’eſtant gratée au meſme endroit dans le temps qu’elle avoit envie de manger de Sauciſſes.

Voilà ce que le 9. Janvier au matin nous examinâmes à loiſir ches Mr Houſſu, Marchand Boucher, en la Salle duquel le Sujet avoit eſté porté, avec Mr le Prince Borghezzy, Mr Lucas Antoine Guaſtaldy, Mr Hubin, Mr Auzout, & autres Sçavans.

Madame Marcel Sage-Femme, & autres Dames, eſtant arrivées, Mr Bonamy Maiſtre Chirurgien, qui avoit aſſiſté à l’accouchement, fit l’ouverture du dedans de ce Sujet.

L’on commença à ſeparer les integumens & les muſcles de la poitrine, pour voir de la maniere que les coſtes, leſquelles provenoient des deux épines, eſtoient formées. Elles parurent bien faites juſques à la troiſiéme de vraye des deux coſtez, où l’on trouva une gibboſité & union de ſix côtes cartilagineuſes, entre le milieu des deux clavicules arrivant à la partie poſtérieure, juſques aux vertebres lumbaires interſequez les unes avec les autres, faiſant en la partie poſtérieure preſque la figure d’un ſternon, n’eſtant neantmoins que l’embraſſement des coſtes des deux coſtez, leſquelles toutes enſemble ne formoient qu’une ſeule cavité de la poitrine.

Les vertebres du col, du dos, & des lumbaires eſtoient des deux coſtez ſemblables ; & en arrivant aux lumbaires, elles eſtoient ployées comme en demylune, laiſſant vers la partie latérale une eſpace à mettre le pouce, au bout deſquelles eſtoit l’os ſacrum, où terminoient les dernieres vertebres lumbaires.

Apres avoir remarqué les parties externes, on fit l’ouverture du bas ventre ; on n’y trouva qu’une veine umbilicale, mais le double plus groſſe qu’elle n’eſt ordinairement. Les autres vaiſſeaux umbilicaux eſtoient auſſi deux fois plus gros qu’à l’ordinaire.

Le ventricule ou eſtomach, eſtoit double, l’un vers la partie gauche, l’autre vers la partie droite, avec le deux œſophages. A chacun deſdits ventricules ſuivoient les inteſtins ou boyaux grelles ; ſçavoir le duodenum, le jejunum, & l’ileon, à la fin deſquels il y avoit deux boyaux que l’on appelle cæcum, éloignez l’un de l’autre d’environ quatre pouces, leſquels enſuite ſe réüniſſant formoiẽt un ſeul boyau Colon, qu’on trouva remply des excremens, qu’on appelle mechonium, lequel ne ſortoit pas de la région épigaſtrique, comme naturellement ſe rencontre dans tous les ſujets ; mais apres avoir formé deux fois la figure d’un S romain ; dans le meſme endroit ſuivoit le boyau rectum, lequel à cauſe de la grande compreſſion que toutes les parties du bas ventre ſouffrirent en ſortant de la matrice, ſortoit de l’Anus, comme une production de la groſſeur du pouce.

Sous chaque ventricule eſtoit un pancreas, & chaque duit verſſungien entroit dans chaque boyeau duodenum.

Le foye eſtoit un peu plus grand qu’à l’ordinaire, avec deux veſſies du fiel, à quatre doigts l’une de l’autre, & chaque duit ou pore biliaire, entroit pareillement dans un deſdits boyaux duodenum, à l’endroit des duits verſſungiens à l’ordinaire.

La rate s’y trouva ſeule, & auſſi le rein un de chaque coſté. Les vaiſſeaux ſpermatiques & les teſticules n’eſtoient qu’un de chaque coſté ; on les trouva dans l’aine, n’eſtant pas encor deſcendus dans la bource ou ſcrotum. La veſſie eſtoit ſeule, & le diafragme pareillement.

A l’ouverture de la poitrine, on trouva un ſeul mediaſtin, & un péricarde, lequel occupoit preſque toute la poitrine, quoy qu’elle fuſt aſſez grande.

Ce péricarde eſtoit diviſé dans ſon milieu, & formoit deux bourſes, chacune deſquelles contenoit un cœur. Le cœur gauche eſtoit aſſez bien formé ; mais non pas dans le milieu du Thorax, & tournoit ſa pointe au coſté droit. L’autre cœur n’eſtoit pas ſi bien formé, puis qu’il reſſembloit par le dehors à un rein. Il avoit neantmoins toutes ſes parties ; ſçavoir, les deux ventricules, les quatre vaiſſeaux principaux, & ſes valvules.

Les poulmons de la partie gauche n’eſtoient que de la groſſeur du pouce ; ceux de la partie droite, eſtoient tant ſoit peu moindres.

Enfin toutes les parties du coſté gauche, eſtoient mieux formées.

Les teſtes ne furent point ouvertes, parce que nous eſtions bien aſſurez qu’il y avoit deux cerveaux, puis qu’il y avoit deux médulles ſpinales par les quatre ordres des nerfs qui ſortoient des vertebres.

Si cet Homme double eut vécu, il n’auroit pû eſtre marié, à moins que la Femme eut obtenu permiſſion d’épouſer les deux Freres à la fois, outre que les Enfans qui ſeroient provenus de ce Mariage, auroient neceſſairement eu deux Peres.

Mr Hubin a eu le ſoin de faire ſoufler un grand vaiſſeau de verre de criſtal, pour conſerver dans l’eſprit de vin ces deux Enfans accouplez. Mr Bliecq le Pere, doit les faire voir aux Curieux.

Je ne puis finir cette Lettre, ſans vous dire qu’ayant ſuſpendu au milieu de mon Lit mon Phoſphore liquide, duquel vous avez fait mention dans voſtre dernier Mercure, j’ay reconnu qu’il n’a pas beſoin d’eſtre ouvert pour devenir lumineux : il me ſuffit de l’empoigner tirant la main chaude hors du Lit ; & cette phiole pleine d’une agreable lumiere, ſuffit du moins pour connoiſtre quelle heure il eſt à une Montre de poche. Je ſuis voſtre, &c.


COMIERS D’AMBRUN, Claude. « Lettre de Mr Comiers d’Ambrun, Professeur des Mathématiques à Paris. » Mercure Galant (février 1683). Paris, 1683, pp. 227–248. (Voir sur Gallica)


Loin de moi l’idée de faire passer les anciens savants pour des débiles, bien sûr. Il nous a fallu en croire des conneries pour arriver à ce que l’on sait des choses aujourd’hui, et aujourd’hui encore il nous faut en croire des conneries, pour qu’en arrivent demain celles et ceux qui devront bien arriver quelque part demain. Mais bien sûr aussi que si j’ai publié ce texte sur mon blog c’est avant tout parce que ces enfants nés malformés avaient une queue vestigiale dû au fait que leur mère s’était grattée là alors qu’elle avait envie de manger des saucisses. On n’est pas des bêtes, on ne peut pas rester insensibles à ce genre de fines analyses scientifiques.


Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com

#294 – Ortographe et Expressions Françoises.

Les réformes de l’orthographe, on en cause, on en causait, on en causera toujours. En cela c’est un parfait sujet pour déclencher une belle engueulade familiale au réveillon, dans quelques jours. Essayez, vous verrez, ça vous évitera peut-être de vous y emmerder comme tous les ans. Notez tout de même que l’ampleur de l’engueulade est proportionnelle au nombre d’enseignants présents autour de la table, et que si votre famille est constituée uniquement d’enseignants, par mesure de précaution, appelez les pompiers avant de lancer le sujet. On en causait déjà, donc, en décembre 1665, des réformes de l’orthographe. Un certain D. E. D. nous fait le topo.

NOVVELLES
svr
LES SIENCES

Mercredy 2. Decembre m. dc. lxv.
Par D. E. D.

(…)

ORTOGRAPHE ET EXPRESSIONS
Françoiſes
.

L’Ortographe, ou la droite & veritable écriture, êt celle qui répond plus parfaitement à la prononciation, & à l’uſage des Savans. Pluſieurs veulent que par l’Ortographe on évite encore les Equivoques, mais on ne les évite gueres que par le ſens, lequel il faudroit avoir perdu, ſi par exemple quand un Cavalier demande ſes botes, on le croyoit parler ou des botes de foin, ou des coups de fleuret, qu’on dit encore & qu’on écrit botes. L’Equivoque que ie voy plus generalement évitée par la nouvelle Ortographe, êt des i & des u conſonnes ou voyelles. Car aujourd’huy l’u quarré & l’i ordinaire sont voyelles : l’v rond & l’j long consonnes, par exemple dans le nom de cét Auteur jevius.

Ie croy que le retranchement des létres ſuperfluës, lequel on peut en ce temps remarquer dans la plus part des Livres, vient des Etrangers & des Hollandois principalement : de quelques Meſſieurs de l’Academie Françoiſe : de defunt Monſieur Sancteuïl : enfin de pluſieurs autres qui écrivent à peu prés comme on parle, & qui dans les connoiſſances qu’ils ont des Langues, ne craignent pas qu’on leur reproche d’ignorer la Gréque & la Latine, dont la nôtre dépend.

On a donq premierement rentranché l’S de tous les mots où l’on ne l’entend pas, comme d’être & de connoître. 2. l’H de pluſieurs autres mots : comme de Caractere, de la ſeconde ſyllabe d’Ortographe & d’Auteur qui vient d’Auctum pris dans Lucrece pour faire. 3. le P de Domter, qui vient de domitum. 4. le C de Savoir, que l’on voit eſtre tiré de ſapere. Pour le mot de Sience, il êt vray que les Latins l’écrivent aveq un C. Mais on peut aprendre dans l’Ariſtarque de Voſſius, que les Antiens le prononçoient comme un K ou un Q, & comme nous prononçons la premiere ſyllabe de Squinance. S’il falloit toûjours suivre l’Ortographe Gréque ou Latine, il faudroit écrire gar pour car, & grephe pour gréfe, Prebſtre, doubte, Cæſar, l’Hom ou l’Homme dit, au lieu d’on dit. Enfin on a retranché d’autres létres, comme l’un des deux a d’âge, le premier a d’à ſavoir, & l’e d’eu que quelques-uns écrivent û, le t de fruis, & ſemblables.

Rien ne choque davantage la plus part des Lecteurs, que de voir le verbe êt ſans s : enquoy ils témoignent peut-être plus d’habitude que de raiſon. Ils écrivent être & eſt : comme i’eſpere qu’ils écriront mettre & meſt pour met. Si l’écriture ſelon eux fait de la diference entre les choſes : comment n’en fait-elle point entre le verbe & le vent d’eſt. La raiſon qu’ils raportent, qu’on prendroit êt pour & conjonction, êt nulle. Car le ſens & l’accent l’en diſtinguent aſſés : comme ils diſtinguent aſſés ſon é ouvert des autres ſortes d’é, que les Grammairiens de nôtre langue expliquent.

On n’a pas ſeulement retranché des létres : on en a encore changé, comme ph de Filoſofe. Et à n’en mentir point, c’êt une maniére d’écrire, ſi on la ſuivoit, commode pour abreger, & pour éviter encore la prononciation de Pfiloſopfe, comme celle de Pfundanius pour Fundanius, remarquée par les Antiens.

Quelques-uns ont encore changé en s l’x final des mots, par exemple de ceux-cy, aus deus animaus, & l’s en z, uzage. M. Du Rier a encore changé le c final en q, par exemple dans aveq, afin de fermer le mot enſemble & la létre, car c n’êt qu’un q fermé, & afin de garder la méme létre dans l’alongement du méme mot, aveq avèque. Pluſieurs ont pareillement changé au en o comme en Povreté, où nul ne peut prononcer Pou-reté, à moins d’ignorer les premers élemens de l’Ortographe, & la diſtinction des létres.

Ce qu’on pourroit ſouhaiter, ſeroit d’étendre ces retranchemens & ces corrections de nôtre écriture, à quelques maniéres de nôtre expreſſion : car pour celles de la vie, ie les laiſſe, & ne parle que du parler méme. Surquoy ie m’étonne, qu’en la perfection où êt preſentément nôtre Langue, pluſieurs diſent & écrivent ou deux mots pour un : encore bien que, comme par exemple, puis apres, pour & afin, enfin pour concluſion, ou un mot pour un autre, comme auparavant luy pour avant luy, dedans les Livres pour dans les Livres, Chez Platon pour dans Platon.

En cette Sentence mémes : Il êt des Maîtres comme des Medecins : il faut toûjours prendre ceux qui ont plus d’eſprit, de doctrine, d’experience, & de fidelité, ce ſeroit ce me ſemble un pleonaſme ou une abondance vitieuſe, de dire le plus d’eſprit, le plus de doctrine.

Entre ces autres expreſſions : un Homme ſe remuë, une choſe ſe fait ou ſe dit : la premiere êt bonne & veritable. Mais pour les deux derniéres & toutes les ſemblables, il me ſemble que les gens d’eſprit commencent d’en corriger le contre-ſens, & de croire qu’une choſe ne ſe fait pas & ne ſe dit pas elle-méme : mais qu’on la fait & qu’on la dit, &c.


Source :
D. E. D. « Ortographe et expressions Françoises. » Nouvelles sur les siences, 2 décembre 1665, Paris, 1665, pp. 2–4.

Disponible sur Gallica.


Espérons que ça fasse relativiser un poil les puristes à la chouinette sensible qui passeraient par ici. Quoi ? C’est bientôt Noël, on peut toujours rêver.

#278 – Chocolate : pour ou contre ?

Faisons une pause dans les histoires de serpents et parlons chocolat.

Aujourd’hui, vous pouvez trouver sur les réseaux sociaux des gens qui adhèrent à des groupes de consommateurs de pâte à tartiner et qui affirment ne pas pouvoir s’en passer une seule journée. Vous pouvez également trouver d’autres gens qui les traitent de gros cons, parce que c’est à la fois mauvais pour la santé de l’individu qui la consomme et à la fois mauvais pour le reste des êtres vivants qui peuplent la planète de bien des manières.

Eh bien, au milieu du XVIIe siècle, certains ne pouvaient déjà plus se passer de chocolat, pourtant importé en Europe depuis cent petites années à peine, et d’autres étaient là pour leur faire remarquer que c’était très mauvais pour leur santé spirituelle que de continuer à le consommer les jours de jeûne, ainsi que le montre ce compte rendu d’un texte du cardinal Francesco Maria Brancaccio dans le Journal des Sçavans du lundi 18 janvier 1666, p. 29 :

FRANCISCI MARIÆ CARDINALIS
Brancaty de uſu Chocolatis diatriba. Romæ. In 4.

AV lieu que dans l’Europe on ſe ſert de biere au defaut de vin, dans l’Amerique on ſe ſert de Chocolate. Ce breuuage eſt fait d’vne certaine paſte, dont la baſe eſt le fruit d’vn arbre de l’Amerique, que l’on appelle Cacao, auec lequel on meſle de la canelle, vn peu de poivre, & des gouſſes de Campeche, qui ont l’odeur & preſque les meſmes qualitez que le fenoüil. On prend vne once de cette paſte, que l’on delaye dans vn demy-ſeptier d’eau, & on y adiouſte vne demy once de ſucre pour rendre cette compoſition plus agreable. Les Indiens aiment paſſionnement ce breuuage, & ils en boivent en ſi grande quantité, que dans la nouuelle Eſpagne ſeule on y employe par an plus de douze millions de liures de ſucre. Et la raiſon pour laquelle ils en font tant d’eſtat, c’eſt non ſeulement parce qu’il eſt agreable au gouſt, mais encore parce qu’il a de merueilleuſes qualitez pour conſeruer la ſanté. Car on dit qu’il aide à la digeſtion, qu’il engraiſſe, qu’il eſchauffe les eſtomachs qui ſont trop froids, qu’il rafraiſchit ceux qui ſont trop chauds, enfin qu’il a pluſieurs autres vertus admirables, que les Medecins Eſpagnols vantent extraordinairement.

Le Chocolate ayant eſté apporté de l’Amerique en Europe, l’vſage en eſt deuenu en peu de temps ſi commun, qu’en Eſpagne on eſtime que c’eſt la derniere miſere où vn home puiſſe eſtre reduit, que de manquer de Chocolate. Et en Italie il y a beaucoup de perſonnes de toutes ſortes de conditions, meſme des Religieux, qui ſe ſont accouſtumez à en prendre tous les iours. Mais le ſcrupule que quelques-vns ont fait d’en prendre les iours de ieuſne, a donné lieu à vne queſtion celebre, qui a partagé les Caſuiſtes ; ſçauoir ſi on peut boire du Chocolate les iours de ieuſne ſans contreuenir au Commandement de l’Egliſe.

Ce qui fait la difficulté, c’eſt que ſuiuant le ſentiment ordinaire des Theologiens apres S. Thomas, il n’y a que l’aliment qui rompe le ieuſne, & non pas le breuuage. Or d’vn coſté il ſemble que le Chocolate ſoit vne eſpece de breuuage, & de l’autre pluſieurs pretendent que l’on le doit pluſtoſt mettre au nombre des alimens. Car ils diſent que c’eſt vne nourriture tres-ſolide, & Stubbe Medecin Anglois, qui a fait vn traité du Chocolate, a experimenté que l’on tire plus d’humeur onctueuſe & nourriſſante d’vne once de Cacao, que d’vne liure de bœuf ou de mouton. Neantmoins le Cardinal Brancacio ſouſtient que le Chocolate ne rompt point le ieuſne, & il a fait exprés cette diſſertation pour le prouuer.

Sa raiſon principale eſt, que le Chocolate de ſa nature eſt vn breuuage, & paſſe autant pour breuuage dans l’Amerique, que le vin & la biere dans l’Europe : d’où il conclud, que ſi on peut boire du vin & de la biere ſans rompre le ieuſne, il eſt auſſi permis de boire du Chocolate. Il adiouſte que la quantité de la paſte qui entre dans le Chocolate n’eſtant que d’vne once, n’eſt pas ſuffiſante pour rompre le ieuſne, d’autant plus que dans cette once de paſte il n’y entre pas la moitié du Cacao. Et à ce que l’on obiecte, que le Cacao eſt fort nourriſſant, il reſpond que cette raiſon conclud autant contre le vin & contre la biere, que contre le Chocolate ; puis qu’au rapport de Galien il y a du vin qui nourrit autant que la chair de porc, laquelle cependant eſt cenſée la nourriture la plus ſolide de toutes, & pour cette raiſon eſtoit l’aliment ordianire des Athletes : & la biere eſtant faite, comme elle eſt auec du bled ou de l’orge, ne peut pas qu’elle ne nourriſſe ; & neantmoins ny le vin ny la biere ne paſſent point pour alimens, mais ſeulement pour breuuage, & ſelon le ſentiment ordinaire des Theologiens ne rompent point le ieuſne.

Caldera Medecin Eſpagnol, qui auoit ſouſtenu l’opinion contraire dans vn liure qu’il a intitulé, Tribunal Medico-Magicum, a trouué ces raiſons ſi fortes, qu’il s’y eſt rendu, comme il l’a teſmoigné par vne lettre eſcrite au Cardinal Brancacio, laquelle eſt à la fin de ce liure.

Au reſte ce Cardinal auertit prudemment, que quoy que de ſoy-meſme le Chocolate, auſſi bien que le vin, ne rompte point le ieuſne, cela ne doit point ſeruir de pretexte pour en abuſer & pour en boire auec excez. Car en ce cas il eſt vray que l’on ne percheroit pas contre la loy Eccleſiaſtique, qui commande le ieuſne ; mais on pecheroit contre la loy de la nature, qui oblige à la temperance. Et quand meſme on n’en boiroit pas auec excez, ſi l’on en beuuoit exprés pour faire fraude au Commandement de l’Egliſe, l’intention ſeroit mauuaiſe, quoy que l’action d’elle-meſme ne fuſt pas criminelle : & ainſi on meriteroit touiours d’eſtre puny, non pas pour auoir tranſgreſſé le precepte de l’Egliſe, mais pour auoior eu intention de l’éluder.


Un siècle plus tard, ce débat était toujours d’actualité, comme vous vous en souvenez peut-être si vous aviez lu le court article : #271 – Carême Vegan, dont les propos rapportés du pape doivent avoir été prononcés entre 1740 et 1758.

Mais ce n’est pas tout, puisque dans le Journal des Sçavans de la semaine suivante, celui du lundi 25 janvier 1666 donc, faites une effort, on s’aperçoit que l’article de la semaine précédente a suscité des réactions inattendues de la part des lecteurs, ce qui donne loisir à Jean Gallois, cofondateur et rédacteur dudit journal (mais également abbé, garde de la Bibliothèque du roi, membre de l’Académie française, professeur de latin et de grec au- et inspecteur et syndic du- Collège Royal et pensionnaire géomètre de l’Académie des sciences), de nous élaborer une petite démonstration scientifique dont les médecins du monde entier devraient prendre de la graine. p. 54 :

qVelques perſonnes ont trouué à redire que dans le Iournal precedent on ait auancé en parlant du Chocolate, qu’il eſchauffe les eſtomachs qui ſont trop froids, & qu’il rafraichit ceux qui ſont trop chauds.

Mais cette difficulté ne peut pas auoir eſté faite par des perſonnes qui ayent quelque connoiſſance de la Medecine. Car toute l’Eſcole enſeigne apres Galien, que dans la nature la meſme cauſe produit ſouuent des qualitez contraires dans des ſuiets differents, & que cette diuerſité d’effets eſt le priuilege de toutes les choſes temperées. Par exemple, la main qui n’a qu’vne chaleur moderée, paroiſt chaude à celuy qyu a exceſsiuement froid, & froide à celuy qui a exceſsiuement chaud, & comme elle refroidit l’vn, elle eſchauffe l’autre. La raiſon eſt, que les choſes temperées participent également des qualitez contraires, & ainſi ce qui n’eſt que moderement chaud, ayant 4. degrez de froid & autant de chaleur, agit ſur ce qui eſt chaud par ſes degrez de froid, & ſur ce qui eſt froid par ſes degrez de chaleur.

La meſme choſe ſe trouue encore dans la Morale. Car comme les vertus conſiſtent toutes dans la mediocrité, elles combattent également les deux extremitez, & la meſme Vaillance qui anime les Lâches au combat, en retire les temeraires.

Apres cela on ne doit pas trouuer eſtrange que les Medecins Eſpagnols, qui tiennent que le Chocolate eſt fort temperé, luy attribuent des effets contraires ſuivant la differente diſpoſition des ſujets qu’il rencontre.


Qu’est-ce qu’il faut pas raconter pour avoir droit à son chocolat tous les matins…


Journal des Sçavans Volume 2, contenant toutes les sorties de l’année 1666. (Gallica)


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#277 – Lapis serpentinus § III.

Quatrième note de blog concernant les pierres et les serpents. Troisième réellement consacrée à la pierre serpentine, et je commence à sentir que, plutôt que de me lancer dans cette recherche à l’emporte-pièce, j’aurais dû tout préparer à l’avance et tout publier d’une manière ordonnée, pour votre confort et pour la clarté du propos. C’est vrai. Mais si j’avais procédé autrement, je ne l’aurais pas faite du tout, cette recherche.

Ce que je vous propose donc c’est que, puisque j’ai commencé comme ça, je continue ces notes brouillonnes à mesure que je rassemble des éléments, et qu’une fois que je serais passé à autre chose, je fasse une belle section sur le site ou sera résumé clairement le résultat des recherches, où sera retracée la chronologie de chaque témoignage ou intervention sur le sujet, et où seront disponibles tous les textes.

Donc c’est reparti. La note qui n’a rien à voir mais qui a tout déclenché, la note où je découvre la fameuse pierre serpentine, la note où je réalise que je ne vais pas m’en sortir aussi facilement que prévu. Z’avez tout lu ? Z’êtes à jour.


Hans Sloane disait donc, dans sa lettre du 19 avril 1779 à la Royal Society, qu’à sa connaissance, le premier à avoir parlé des Pierres Serpentines (oui, je pourrais les appeler pierres de serpent, mais j’aime trop écrire serpentine. Serpentine, serpentine, serpentine…) était Francesco Redi :

« I think the firſt who gives any Account of them (les pierres) is Franceſco Redi at Florence, who had them from the Duke of Tuſcany‘s Collections, and who, in his Eſperienze Nat. tells great Virtues of them »

Plusieurs problèmes :

  1. Parle-t-il des pierres supposées êtes extraites de la tête des fameux Cobra de Cabelo (celle que Kircher dit « naturelle »), ou de la version artificielle à partir d’os carbonisés qu’il cite un peu plus haut ?
  2. Il cite l’ouvrage de Redi : Esperienze intorno a diverse cose naturali qui n’a été publié qu’en 1671, alors que nous avons vu que la première occurence de cette pierre dans cette même revue de la Royal Society citait une traduction française du Flora Sinensis de Boym, livre publié originairement en latin en 1656.
  3. Esperienze intorno a diverse cose naturali n’est qu’une publication sous forme de lettre écrite à Kircher pour l’entretenir de cette histoire de « Pietra del Serpente » dont il cause dans son China Illustrata de 1667, et dans lequel il précise déjà que certaines de ces pierres sont artificielles.
  4. Francesco Redi écrit en italien, et je ne lis que très mal l’italien, je n’arrive donc pas bien à comprendre s’il ne remet pas plutôt en doute les vertues supposées de la pierre. C’est un grand expert des viperes pour avoir travaillé dessus et leur avoir consacré un ouvrage : Osservazzioni intorno alle vipere en 1664 qui a déjà balayé beaucoup de croyances concernant leur venin, et où il n’est nullement fait mention de la pierre suspecte.

Conclusion hâtive : Hans Sloane ne devrait pas écrire ses lettres à la Royal Society après l’apéro.

Bon, mais il va falloir que je lise en détail et que je traduise cet Esperienze intorno a diverse cose naturali avant de m’avancer plus sur l’opinion de Fransesco Redi à ce sujet. Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est de publier ici les passages relatifs à la pierre dans les deux autres textes auxquels Sloane fait allusion, celui de Biron et celui de Kämpfer.

Voici quand même un dessin des pierres qu’on trouve dans le livre de Redi:


Curiositez de la nature et de l’art, Aportées dans deux Voyages des Indes ; l’un aux Inders d’Occident en 1658. & l’autre aux Indes d’Orient en 1701. & 1702. Avec une relation abregrée de ces deux Voyages. de Claude Biron, publié en 1703.

Chap. II, pp. 72–77

Les Pierres de Serpent

Ces pierres ſont de couleur d’ardoiſe ; elles ſont plates, & de la grandeur d’un ſoû marqué. Elles s’apellent dans les Indes Pierres de Serpent, à cauſe qu’elles ont la vertu de guerir les morſures de couleuvres, viperes, ſerpents, &c. Ces pierres, qui ſont le plus ſouverain remède, qu’on ait encore trouvé contre les morſures des Serpents, viennent du Royaume de Camboya. Quelques-uns diſent qu’elles ne ſont point naturelles ; mais factices, & compoſées de pluſieurs ingrediens, dont ceux du pays font un grand ſecret aux Etrangers. Il y en a qui les croient naturelles. Et M. Boyle dit qu’on lui a aſſuré, qu’on les trouve dans la tête de certains Serpents qui ſont vers Goa. Quoi qu’il en ſoit voici comme on s’en ſert.

Si la plaie n’a point ſaigné, après la morſure, ou piqure du Serpent, il faut piquer legérement l’endroit qui a été bleſſé, de maniere que le ſang en ſorte. Après quoi il faut y appliquer la pierre, qui s’y attache incontinent. Elle attire, & ſucce le venin. Il la faut laiſſer deſſus la plaie, juſqu’à ce qu’elle ſe détache d’elle-même : après cela, il faut laver la pierre dans du lait qui ſe charge incontinent du venin ; & ſi on n’avoit pas de lait, on la lave dans de l’eau. Après l’avoir bien eſſuyée, on la remet ſur la plaie ; ce que l’on continuë de faire juſqu’à ce qu’elle ne s’y attache plus. Ce ſera alors une marque évidente, que tout le venin ſera ſorti.

Il y en a qui croient qu’elle auroit la même vertu pour la morſure des chiens enragez, en pratiquant la même choſe, que nous venons de dire. Ce qu’il y a de plus aſſuré, c’eſt que cette pierre eſt généralement eſtimée dans tout l’Inde. M. Boyle qui ne revoque point en doute la vertu de la pierre de Serpent, en tire un argument pour prouver que l’aplication extérieure de certains amulettes peut fort bien opérer des guériſons. Voici ce qu’il raconte au ſujet de ces pierres. Je me rangerois volontiers au parti de ces habiles Médecins, qui ne reconnaiſſent nulle vertu dans les pierres ; même dans celles qu’on tire des Serpents ; & je me joindrois en cela au docte, & curieux M. Rédi, qui dans ſes expériences n’a obſervé dans ces pierres aucune faculté. Peut-être que tout ce qu’on nous vante comme étant des Indes, n’en vient pas. Il faut pourtant avoüer, après avoir rejetté tous les contes fabuleux, qu’on debite dans le monde ſur les pierres, qu’il y en a, dont il n’eſt pas poſſible de nier la vertu. Et en éfet un Savant tout pétri de la Philoſophie de Deſcartes, & qui par conſequent étoit fort en garde contre les qualitez occultes, & ſur les traditions populaires des Orientaux, m’a aſſuré que dans le tems qu’il étoit dans les Indes, il a guéri par la ſeule aplication de la pierre de Serpent plus de ſoixante perſonnes qui avoient été morduës, ou piquées par des Serpents. Et moi-même, ajoûte M. Boyle, j’en ai fait l’expérience ſur des animaux, que j’avois fait mordre par des Vipéres. Ce qui m’induit à ne pas rejetter comme faux tout ce que l’on dit ſur les vertus des pierre. Quodque ſumpſi ipſe experimentum cum genuino ejuſmodi Lapide è corporibus brutorum, fecit omninò, ut buic rei fidem non negem. Simplic. medicam. util. & uſus, p.62.


AH ! Je le savais ! Francesco Redi ne « raconte » pas les « grandes vertus » des pierres, monsieur Sloane ! Vous lisez encore moins bien l’italien que moi, monsieur Sloane. Et toc.

Bon. Qui est ce monsieur Boyle cité par Biron ? Robert Boyle. Oui, oui, le célèbre. L’ouvrage de Boyle dont il est question est son De specificorum remediorum cvm corpvscvlari philosophia concordia : Cui accessit Dissertatio de varia simplicivm medicamentorvm utilitate et usu., publié en 1687. En latin. Je comprends moins encore le latin que l’italien, mais je peux vous dire qu’il n’y raconte rien de plus que ce que paraphrase Claude Biron. Comment je le sais ? Parce que le livre a été traduit en français en 1689 par M. Jean de Rostagny, de la Société Royale de Paris, sous le titre : Nouveau traité de Monsieur Boyle sur la convenance des remèdes spécifiques de la philosophie des corpuscules, & sur l’usage & les propriétés des médicamens simples.

Comme il n’y a aucune information supplémentaire à en tirer, je me contenterai pour l’instant de vous mettre le texte dans sa version originale à la fin de cette note. Le jour où je ferai le gros dossier final sur un espace dédié du site, j’y mettrais les deux versions.


Voici maintenant ce qu’en dit Engelbert Kaempfer dans son Amœnitatum exoticarum politico-physico-medicarum Fasciculi V, Quibus continentur Variæ Relationes, Observationes et Descriptiones Rerum persicarum & ulterioris Asiæ, multâ attentione, in peregrinationibus per universum Orientum, collectæ, ab Auctore Engelberto Kaempfero, publié en 1712

Fasciculus II. Relatio IX. § III.
pp. 395–396

Pedra de Cobra : ita dictus lapis, vocabulô à Luſitanis impoſito, adverſus viperarum morſus præſtat auxilium, externè applicatus. In ſerpente, quòd vulgò credunt, non invenitur, ſed arte ſecretâ fabricatur à Brahmenis. Pro dextro & felici uſu, oportet adeſſe geminos, ut cum primus veneno faturatus vulnuſculo decidit, alter ſurrogari illico in locum poſſit ; Proinde poſſidere indigenæ niſi geminos cupiunt ;quos cum goſſypio capſulæ incluſos probè aſſervant. Aliam obtineo ophitidem, inſar ſilicis duriſſimam ponderoſamque, uncialis longitudinis, figuræ quodammodo tornatilis, & quaſi ex annulis compactæ ; quales inveniri in capitibus maximorum ſerpentum credulus perſuadetur vulgus : ego apophyſin alius petræ, vel in ipſâ petrâ molliori genitam judico, velut lapides bufonius, aëtites, lyncius, oculus catti, gloſſo-petra, & ſi quos alios vulgi error tranſcribit ex animalibus. Fidem mihi fecit collis petroſus, quem bidui itinere ab Iſphahano urbe offendimus, cujus ſabulum ex petrâ diſſolutum, innumeros exhibebat variæ figuræ bufonios & Judaicos, quibus vel plauſtrum impleviſſem. Quo ipſo feror, ut iſtis lapidibus nihil efficaciæ ineſſe credam, niſi quam actuali frigiditate ſuâ, vel abſorbendo præſtant.


Bon, je dois vous avouer que j’y pige que couic. Enfin, à part les information qui étaient déjà mentionnées dans d’autre textes. Mais je l’ai quand même mis ici, pour celles et ceux qui s’en sortent mieux que moi en langues mortes.

Je pense que ça suffit pour aujourd’hui. Dans la prochaine note sur le sujet, je m’attaquerai au texte de Francesco Redi, mais ça risque de ne pas être tout de suite. J’ai quand même pu apercevoir en le feuilletant qu’on y parle d’une autre pierre de serpent, venue d’afrique, elle, et à laquelle on prête d’autres pouvoirs. Encore tout une aventure, mais je promets de boucler celle-ci en premier lieux. Je vais quand même sans doute poster sur d’autres sujets d’ici-là, il vous faudra un peu de patience.

Voici donc les liens vers les ouvrages dont j’ai causé ici et que je n’ai pas déjà donnés dans les articles précédents, puis l’article du journal des scavants résumant l’ouvrage concernant les vipères de Redi, et enfin l’extrait en latin du texte de Robert Boyle :


PDF : Osservazzioni interno alle vipere, Francesco Redi, 1664 (MDZ)
PDF : Esperienze intorno a diverse cose naturali, Francesco Redi, 1671 (MDZ)
PDF : Résumé du Osservazzioni interno alle vipere dans le Journal des Sçavans du lundi 4 janvier 1666, p.9-12 (Gallica)
PDF : Curiositez de la nature et de l’art, Aportées dans deux Voyages des Indes ; l’un aux Inders d’Occident en 1658. & l’autre aux Indes d’Orient en 1701. & 1702. Avec une relation abregrée de ces deux Voyages, Claude Biron, 1703 (Gallica)
PDF : De specificorum remediorum cvm corpvscvlari philosophia concordia : Cui accessit Dissertatio de varia simplicivm medicamentorvm utilitate et usu., Robert Boyle, 1687 (Archive.org)
et sa traduction :
PDF : Nouveau traité de Monsieur Boyle sur la convenance des remèdes spécifiques de la philosophie des corpuscules, & sur l’usage & les propriétés des médicamens simples., 1689 (Gallica)
PDF : Amœnitatum exoticarum politico-physico-medicarum Fasciculi V, Quibus continentur Variæ Relationes, Observationes et Descriptiones Rerum persicarum & ulterioris Asiæ, multâ attentione, in peregrinationibus per universum Orientum, collectæ, ab Auctore Engelberto Kaempfero, Kaempfer, 1712 (BIU Santé)


Extraits du résumé de Osservazioni intorno alle vipere de Redi, dans le Journal des Sçavans du Lundy IV. Ianvier 1666, pp.9–12 :

OSSERVATIONI INTORNO ALLE VIPERE
fatte da Fanciſco Redi, in Firenze. in 4.

Les anciens Naturaliſtes ont dit beaucoup de choſes ſurprenantes des Viperes ; & comme il n’y a pas plaiſir à faire l’experience de ce qu’ils ont auancé, ceux qui ſont venus apres eux ont mieux aymé les croire ſur leur parole, que d’en faire l’eſpreuue. Mais depuis peu vn Gentilhomme Italien ayant trouué l’occaſion de quantité de Viperes, que l’on auoit apportées au grand Duc de Toſcane pour compoſer la Theriaque, a examiné ce qui concerne cette matiere auec beaucoup d’exactitude, & l’a deſcrite auec toute l’elegance dont cette matiere eſt ſuſceptible.

Premierement, il a remarqué que le venin des Viperes n’eſt point dans leurs dents, comme quelques vns diſent ; ny dans leur queuë, comme d’autres pretendent ; ny dans leur fiel, comme les plus ſçavans Naturaliſtes ſe ſont imaginez : mais qu’il eſt dans deux veſicules qui couurent leurs dents, & qui venant à ſe reſſerrer lors que les Viperes mordent, font ſortir vne certaine liqueur iaunaſtre qui coule le long des dents & enuenime la playe. (…)

Ce que quelques Autheurs ont encore aſſeuré, que c’eſtoit vne choſe mortelle que de manger de la chair des animaux tuez par les viperes, boire du vin dans lequel les Viperes ont eſté eſtouffées ou ſuçer les playes de ceux qui en ont eſté mordus, ſe trouue auſſi peu veritable. Car cét Autheur aſſeure que pluſieurs perſonnes ont mangé des poulets & des pigeonneaux mordus par des Viperes, ſans qu’en ſuite leur ſanté en ait receu la moindre alteration. Au contraire, il dit que c’eſt vn ſouuerain remede contre la morſure des Viperes que de ſuçer la playe, & il rapporte l’experience d’vn chien qu’il fit mordre ſur le nez par vne Vipere, lequel à force de lécher ſa playe ſe ſauua la vie. Ce qui eſt encore confirmé par l’exemple de ces gens qui eſtoient autrefois appelez Marſi & Pſilli, dont le meſtier eſtoit de guerir ceux qui auoient eſté mordus par les ſerpens, en ſuçant leurs playes.

Cét Autheur adiouſte que quoy que Galien & pluſieurs modernes aſſeurent qu’il n’y a rien qui altere tant que la chair de Vipere, il a neantmoins experimenté le contraire, & qu’il a connu des gens qui mangeoient de la Vipere à tous leurs repas, & qui cependant aſſeuroient qu’ils n’auoient iamais eu moins de ſoif qu’au temps qu’ils gardoient ce regime de viure. (…)


Extrait du De specificorum remediorum cvm corpvscvlari philosophia concordia : Cui accessit Dissertatio de varia simplicivm medicamentorvm utilitate et usu. de Robert Boyle, concertant la pierre de serpent

Parænesis ad usum simplicium medicamentorum
§ VIII.

Hanc, inquam, ob cauſam, duo alia obſervatu digna ſuperaddam exempla efficaciæ ſiccorum etiam, atque ſolidorum corporum licèt exteriùs tantùm applicatorum adverſus morbos, quos varia nec conſuera comitabantur ſymptomata, quorum quantumvis innocuas viperas noſtras anglicanas homines ſentiant, varia tum in hominibus, tum in brutis exempla novi : atque etiam, qui ab India orientali veniunt, magnam concretionum quarumdam lapidearum, quæ dicuntur reperiri in capitibus quorumdam ſerpentum circa Goam, aliaſque Regiones orientales, virtutem extollunt : quamvis enim plerique Medici, rejiciant, aut dubitent de poreſtate iis lapidibus aſcripta, poteſtate, inquam, curandi morſus viperarum ; & quamvis eorum hac in re hæſitationem minimè mirer, quòd reipſa lapidum plurimi ex India allati genuini non ſint, iiq́ue qui re verâ ſerpentibus eximuntur, ob rationem hîc non commemorandam nihil proſint, cujuſmodi fortè ii erant, quibus doctus, curioſuſq́ue, Redy, ſua experimenta fecir : alia tamen ſunt, quorum virtutes negari nequeunt : ne enim vulgaribus traditionibus plerumque fallacibus fides habeatur, quidam è præcipuis Collegii Londinenſis Doctoribus mihi aſſeruir, ſe hujuſcemodi cujuſpiam lapidis ope periculoſum quemdam morbum præter opinionem curâſſe : rem mihi ipſe ut geſta eſt, pluribus narravit : atque quiſpiam è præcipuis Anglicanis noſtris Chirurgis alium ſe dixit eodem remedio curâſſe : merâ ſcilicet lapidis parti, quam vipera momorderat, applicatione ab utroque curatus uterque morbus eſt : atque vir quidam magnæ notæ inſigni Societati Mercatorum mercaturam in Indiis ubi diu vixerat orientalibus exercenti præfectus, mihi aſſeruit curâſſe ſe ope hujus lapidis multos à venenatis animalibus læſos : ſed hujus rei veritati longè majus adhuc pondus addit peregrinatus quidam per meridionales Indiarum orientalium plagas : quamvis autem hic utpote à celebri Carteſiano quopiam Philoſopho inſtructus vulgaribus Regionum quas peragrabat, & in quibus vivebat traditionibus vix fidem haberet, cùm tamen vel idcirco à me rogaretur, quid tutò de lapidibus hiſce, ſentire deberem, ſeriò mihi reſpondit curâſſe ſe ſexaginta, & plures morſos, aut ſtimulatos à venenoſis quibuſdam animalibus : & pleroſque quidem merâ exteriori lapidis hujuſce applicatione : quem quòd præpollentem, experiretur, ſervabat ſecum, ut ubi res exigeret, ad manum eſſet : quodque ſumpſi ipſe experimentum cum genuino ejuſcemodi lapide, è corporibus brutorum, fecit omnino ut huic rei fidem non negem.



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#276 – Pierre Serpentine ou Serpent-Stone : flanc ou salades ?

Je dois vous avouer, arrivé à ce troisième article consacré aux rumeurs qui ont pu circuler concernant les Serpents au XVIIe siècle, que je m’éclate franchement. Je me suis interdit de chercher sur les pages internet d’aujourd’hui ce que l’on pensait de tout ça, ce qu’on avait découvert… Non. Je navigue de revues en livres anciens, au gré des sources citées par les auteurs pour essayer de trouver le fin mot de l’histoire d’après les « témoignages » d’époque. Honnêtement ça me tient mieux en haleine que les séries télé.

J’avais dit que je recauserai du Thériaque et que j’espérais avoir fait le tour de cette histoire de pierre, ben vous pensez. Je suis tombé sur un gros morceau. Deux gros morceaux en fait.

Suite, donc, et sans doute pas fin de ces histoires de serpents et de pierres et de pierres de serpents. Si vous avez loupé le départ, ça se trouve ici et .

Petit rappel chronologique :

  • 1656 : Publication du Flora Sinensis de Michał Piotr Boym en latin. On y parle de cette pierre qu’on retire de la tête d’un certain serpent et dont on se sert comme antipoison miracle.
  • 1664 : Publication du Flora Sinensis traduit en français par Melchisédech Thévenot dans son Relation de divers voyages curieux, blablabla… Seconde partie.
  • 1665 : Publication de l’article Of the nature of a certain Stone, found in the Indies, in the head of a Serpent, dans le Phisolophical Transactions of the Royal Society. (le 5 novembre 1665, reparaîtra en volume (Vol. I) en 1667)
  • 1667 : BOUM !!! Athanase Kircher publie :

Athanasii Kircheri
E Soc. Jesu

CHINA
MONUMENTIS
QUA
Sacris quà Pofanis,
Nec non variis
NATURÆ & ARTIS
spectaculis,
Aliarumque rerum memorabilium
Argumentis
ILLUSTRATA,
auspiciis
LEOPOLDI PRIMI
roman. imper. semper augusti
Munificentiſsimi Mecænatis

AMSTELODAMI,
_______________________________
Apud Joannen Janſſoniun à Waeſberge & Elizeum Weyerſtraet,
Anno cIɔ Iɔc lxvii. Cum Privilegiis.


Hein ? Vous y pigez que broc au latin ? Ben moi pareil, mais, ça tombe bien, en 1670 est publiée une traduction française :

la
CHINE
d’Athanase Kirchere
De la Compagnie de Jesus,
ILLUSTRÉE
De pluſieurs
MONUMENTS
Tant Sacrés que Profanes,
Et de quantité de Recherchés
de la
NATURE & de l’ART
A
Quoy on à adjouſté de nouveau les queſtions curieuſes que le Sereniſſime
Grand Duc de Toscane a fait dépuis peu du P. Jean Grubere touchant ce grand Empire.
Avec un Dictionaire Chinois & François, lequel eſt tres-rare, & qui n’a pas encores paru au jour.
Traduit par F. S. Dalquié.

A AMSTERDAM,
_______________________________
Ches Jean Janſſon à Waesberge & les Heritiers d’Elizée Weyerſtraet,
l’An cIɔ Iɔc lxx. Avec Privilege.


Et attention, là, c’est du lourd ! Pourquoi du lourd ? Ben pardi, parce que tonton Athanase il va nous faire des révélations, c’est écrit dans le numéro du 3 juin 1667 du Philosophical Transactions ! :

Account of Athanaſii Kircheri CHINA ILLUSTRATA

(China Illustrata c’est le petit nom qu’on a donné au bouquin au final, le titre original était… enfin vous avez vu quoi.)

The Author by publiſhing this Volume blablabla…

The Book it ſelf, a large Folio, is divided into 6. Parts.

The three firſt bloubloublou…

But we haſten to the Fourth Book, as belonging to our Sphere. That undertakes to deſcribe the Curioſities and Productions of Nature and Art, in China et bloublibloubli…

As

1. Mountainsouais ouais…

2. Iſlespas ça non plus…

AH !

7. Animals, Here he diſcourſeth of the Musk Dear on s’en fout…

Pas ça non plus…

TROUVÉ !!!

Of the Serpent, that breeds the Antidotal ſtone ; whereof he relates many experiments, to verifie the relations of its vertue : Which may invite the Curator of the Royal Society, to make the like tryal, there being such a ſtone in their Repoſitory, ſent them from the Eaſt Indies.

Rendez-vous compte !! On va enfin tout savoir ! Livre 4, chapitre 7 ! Imaginez-moi après avoir trouvé ça. Je me précipite livre 4, chapitre 7 : « Des animaux extraordinaires & surprenants de la chine. »

Je lis, le lis, je lis… Rien. Merde alors ! On m’a menti. Je poursuis. Ah, chapitre 10 : « Des serpens de la Chine » ! Wouhouuuu !!

Rien, rien, rien. Rien ! Ah si. Au bout de quatre pages à deux colones, page 275 (version française de 1670) :

Il y a d’autres ſerpents dans la Chine dont le venin eſt irremediable. Le premier de ceux-cy s’appelle Cobra de Cabelos ; c’eſt à dire ſerpent chevelu, dont nous avons amplement parlé dans les traittés precedents où nous avons diſcouru du Royaume de Mogor.

Alors là, les mecs de la Royal Society, va falloir qu’ils apprennent à sourcer correctement. Bon. Les « traittés precedents », c’est dans ce même bouquin ou pas ? Oui. J’ai de la chance. J’y arrive enfin. Page 108.

(Là j’avertis les phobiques que je vais glisser un dessin d’époque dans le texte puisqu’il en est fait mention. Préparez-vous, c’est terrifiant. Et j’avertis tout le monde que je me suis bien fait chier à respecter très fidèlement l’aléatoire orthographique de ce texte. Alors si un mot change d’un bout de phrase à l’autre, c’est comme ça dans l’original.)


Des grandes, & admirables vertus de la pierre ſerpentine, que les Portugais appellent la Piedra della Cobra.

Les Bragmanes ont trouvé une pierre qui eſt en partie naturelle ; parcequ’elle croit naturellement dans le ſerpent, (laquelle eſt nommée des Portugais Cobra de Capelos, c’eſt à dire ſerpent ou coleuvre velu) elle eſt auſſi en partie artificielle, à cauſe de pluſieurs venins de differents animaux, mais particulierement de ce coulevre velu, leſquels on meſle tous enſemble, pour en compoſer cette pierre. Elle a une ſi grande vertu, qu’auſſi toſt qu’on en a touché le mal la gueriſon en eſt infaillible. Ce remede eſt fort uſité dans toute l’Inde, & la Chine, à cauſe de ſa prompte, & grande operation, & certainement je ne l’aurois jamais creu, ſi moy meſme (dépuis que j’eſcris ce-cy) n’en avois pas fait l’experiance ſur un chien mordu par un vipere, auquel (auſſi toſt que jeus appliqué la pierre,) elle s’attacha ſi fort, qu’à peine la pouvoit on arracher, juſques ce qu’ayant attiré tout le venin, elle ſe laiſſa tomber d’elle meſme ; aprés quoy le chien fût deſlivré du venin, & qu’oyqu’il en reſtat long temps fort engourdi, il reprint neantmoins ſon encienne vigeur. Il y eût en ce meſme temps un celebre docteur qu’on appelloit Charles Magninus Romain de nation, qui en fit heureuſement l’experiance ſur un homme qui avoit eſté mordu d’une vipere. De plus cette pierre eſtant jetée dans l’eau, elle quitte incontinent ſon venin, & reprent ſa pureté. Si on la jette dans l’eau veneneuſe d’un lac, elle attire tout le venin, & rend l’eau nette, & belle ; & tant s’en faut qu’elle diminuë de ſa force & de ſa vertu attractive, qu’aucontraire, il ſemble qu’elle augmente, & qu’elle change ſa couleur blanche, en un jeaune vert, ſelon la force, & la nature du venin qu’elle attire.

Mais au reſte pour revenir au ſerpent, je dis que s’il eſt appelé Cobra de Capelos, ce n’eſt pas parcequ’il eſt couvert de poil, ainſi que pluſieurs ſe ſont perſuadés fauſſement ; mais parce qu’il a ſur la plus haute partie de la teſte une certaine chevelure, faite en forme de chapeu plat, & uni.

Le Pere Sebaſtien d’Almida (qui eſt de retour à Rome de ſon voyage des Indes, dépuis le temps que j’eſcris ce livre) nous apprend que l’on trouve dans l’Inde de ces ſerpents preſque à tous les pas. Mais pour ceux-là qui produiſent cette pierre, qu’on appelle Cobra de Capelos, ils ne ſe trouvent que dans le territoire de Dienſi, leſquels ont la figure qu’on voit repréſentée ici deſſous : la nature leur a eſcrit ſous les machoires inferieures deux SS : l’on a ignoré juſqu’a preſent pour qu’elle fin. Ce ſont donc ces Serpents d’où l’on ſe ſert pour faire la pierre artificielle, laqu’elle eſt fabriquée par les hermites idolatres, qu’on appelle autrement Santones, de la façon que je diray aprés. Voy-cy la figure des Serpents.

Le P. Roth qui m’a donné trois de ces pierres, m’a raconté, qu’il en avoit ſouvent fait l’experience dans le Royaume de Mogor, dont la premiere fût ſur ſon Serviteur qui ayant eſté mordu à la main par une vipere, il luy appliqua incontinent la pierre, laquelle n’y fût pas plutoſt, que le venin qui eſtoit répendu par tout le bras, commença de revenir peu à peu ; de telle ſorte que ce Serviteur montroit au doit les divers lieux, où le venin eſtoit pendant l’operation : ſi bien qu’eſtant toutafait parvenu à la playe, auſſi toſt que la pierre en fût imbuë, elle tomba d’elle meſme, comme ſi elle eût conneu qu’il n’y avoit plus rien à faire ; qu’oyqu’auparavant elle y fût fort attachée ; enſuitte de qu’oy ce jeune homme reſta en parfaite ſanté. L’autre experiance qu’il en fit, fût ſur un peſtiferé à qui (aprés luy avoir inciſé la peſte) on appliqua cette pierre, laquelle attira tout le venin dans un moment, & rendit enfin la ſanté à celuy qui ſans ce prompt ſecours eſtoit ſur le point de perdre la vië ; Vous ſçaurés que non ſeulement la naturelle opere tous ces bons effets ; mais auſſi que l’artificielle, qui ſe fait de pluſieurs autres que l’on trouve dans ces Serpents, que l’on meſle avec une partie de leur teſte, de leur cœur, de leur rate, & des dants tout enſemble, avec de la terre ſigillée a le méme effet, & la méme proprieté ; & l’on connoit par là qu’elle eſt tres rare, & tres precieuſe ; puiſque les Bragmanes, & les Joguës n’en veulent jamais apprendre le ſecret pour de l’or, ni pour de l’argent ; enfin elle eſt ſi efficace, quelle a touſjours ſon effet, & ſi vous en avés quelqu’une qui n’en face pas de meſme, perſuadés vous qu’elle eſt fauſſe, & que ce n’eſt pas une de celles dont nous parlons. Main afin de la connoiſtre, pour ne ſe laiſſer point tromper ; Il feroit neceſſaire, que le Lecteur ſceût ce que le P. Michel Boïmus dit dans ſa Flore Chinoiſe dans le feuillet marqué par M. lequel en parle en ces termes.

[Là il cite Boym, je vous le remets pas, c’est l’extrait en français dans ce post]

Mais c’eſt aſſés parlé pour le preſent des admirables vertus de cette pierre, leſquelles je n’euſſe jamais creu eſtre telles, ſi l’experiance que j’en fis ſur un chien ne me l’eût perſuadé ainſi que j’ay deſja dit. Maintenant il s’agit de ſçavoir, qu’elle eſt cette vertu magnetique qui attire ſi promptement à elle toute ſorte de venin, de quelque nature qu’il puiſſe eſtre ; & la raiſon pourqu’oy elle s’atache ſi fort à la playe, qu’elle ne s’en oſte point, que premierement elle ne ſoit toutafait enyvrée de venin : veritablement c’eſt une queſtion qui n’eſt pas trop facile à reſoudre, & que je ne veux traitter qu’après avoir leu les principes de l’art de l’Aimant, qui ſont eſcrits dans le 9. Livre du monde Souſterain, & de l’Antipatie des venins, où je renvoye le Lecteur (…)


Alors, là… J’avais entendu dire du bien de ce Kircher, mais là… Dans le genre je raconte n’importequoi, je reste vague et je trouve toutes les astuces pour ne rien pouvoir prouver, ça se place là.

La pierre est elle en partie naturelle et en partie artificielle, ou s’agit-il de deux sortes de pierres différentes ? Une pierre purifie l’eau d’un lac entier ? Déjà même d’une flaque, j’aimerai voir ça. Et donc, si on possède une de ces prétendues pierres, mais qu’elle ne purifie pas l’eau d’un lac, ne sauve pas un homme d’une morsure de cobra et ne s’accroche pas à la plaie comme un magnet sur le frigo jusqu’à ce que tout le venin soit aspiré, c’est que c’est une fausse !! Ben pardi. J’ai failli ne pas y croire, heureusement l’explication finale m’a convaincu.

Dois-je ajouter que monsieur Kircher, quelques lignes plus bas nous entretient du :

Puiſſant venin de la Barbe du Tigre (…) lequel eſt preſque de la grandeur d’un Aſne, & de la figure d’un Chat. (…) de plus il a de longs poils au tour des levres leſquels ſont ſi venimeux (ainſi que l’experiance la ſouvent fait voir) que ſi quelque perſonne ou la beſte méme, en avale quelqu’un, ſans y prendre garde, il faut neceſſairement qu’elle meure »

Oui, oui, vous avez reconnu à cette description le terriblement venimeux Tigre du Bengale. Bon. Cet homme a accompli un travail fabuleux de tentative d’explication du monde à base de rumeurs, reconnaissons-lui ça (je ferais sans doute un article qui lui est dédié dans peu de temps), mais on n’est pas plus avancés que ça sur la nature de cette (ces) pierre(s) ?

Et on est pas les seuls. Cent ans après la publication du Flora Sinensis et du China Illustrata, on continue à se questionner, comme le montre la lettre parue dans le Philosophical Transactations N° 492, publié pour la première fois le 26 octobre 1749 (au lieu du 15 juin) et repris en volume en 1750. Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? Vous avez bossé de votre côté un peu ou vous attendez que je fasse tout le travail ? Bon et bien au final, c’est sans doute cette lettre qui nous en apprend le plus sur la nature de la fameuse pierre, et qui nous donne également des pistes pour la suite des recherches.

La lettre parle de deux sortes de pierres, celle qui est supposée se trouver dans la tête du serpent et une autre qui se trouverait dans le ventre des rhinocéros. Je zappe toutes les parties sur les Rhino, désolé.


VI. A Letter from Sir Hans Sloane Baronet, late Pr. R. S. to Martin Folkes Esquire Pr. R. S. containing Accounts of the pretended Serpent-ſtone called Pietra de Cobra de Cabelos, and of the Pietra de Mombazza or the Rhinoceros Bezoar, together with the Figure of a Rhinoceros with a double Horn.

Chelſea, April 19, 1749.

Read April 20. 1749.

SIR,

I here ſend you to be communicated to the Society, if you think proper, an Account of two pretended Stones, ſaid to be found in the Head of the moſt venomous Snake of the Eaſt Indies called Cobra de Cabelo, together with an Account of what I have heard, and what I believe they really are. (…) I am,

SIR,

Your humble Servant,

Hans Sloane.

Pietre del Serpente Cobra de Cabelo * Redi Eſperienze, Nat. p. 3. Tab. i. Lapides Serpentis Cobras de Cabelo dicti, Edit. Latin. Pedra de Cobra, Kempfer. Amœnitat. Exot. p. 396. Pierres de Serpent. Biron Curioſit. de la Natura, &c. p. 72

Dr. John Bateman, my worthy Predeceſſor, formerly Preſident of the College of Phyſicians of London, told me, with great Admiration, that he had ſeen the great Effects (upon the Bite of a Viper) of the Snake-ſtone or Serpent-ſtone, as it is call’d, before King Charles II. who was a great Lover of ſuch Natural Experiments ; and that he knew the Perſon poſſeſſed of the very Stone he had ſeen tried, who he believed would part with it for Money.

Upon my Deſire and Requeſt to ſee him, he came to me, and brought with him the Stone, which was round and flat, as the common ones brought by Merchants and others from the Eaſt Indies, about the Size of a mill’d Shilling, but thickern for which he aſked five Guineas, tho’ it was broken. There are ſeveral of this Sort, figur’d in Tab. II. Fig. 8. a, b, c, d.

Dr. Alex. Stuart, who had been my Acquaintance for ſeveral Years, returning from the Eaſt Indies, brought from thence, among many other Curioſities, ſome of theſe Snake or Serpent-ſtones, together with this Account of them, which he had from a other Miſſionary in the Eaſt Indies, ‘that they were not taken out of a Serpent’s Head, but made of the Bones of the ſmall Buffalo in the Indies’ (by which their Coaches are drawn are drawn inſtead of Horſes) ; the Bones being half-calcin’d or char by the Dung of the ſame Buffalo. He gave me ſeveral Pieces, with ſome of the Snake or Serpent-ſtones made out of them, and which I have in my Collection of ſeveral Shape and Colours.

I think the firſt who gives any Account of them is Franceſco Redi at Florence, who had them from the Duke of Tuſcany‘s Collections, and who, in his Eſperienze Nat. tells great Virtues of them, related by three Franciſcan Friers, who came from the Eaſt Indies in 1662. which were, that, being applied to the Bites of the Viper, Aſp, or any other venomous Animals it ſticks very faſt till it has imbibed or attracted all the Poiſon (as a Loadſtone does Iron), as many People in the Indies believe, and then it falls off of itſelf ; and being put into new Milk, it parts with the Poiſon, and gives the Milk a bluiſh Colour ; of which Redi tells the Succeſs of thoſe he figured.

Kempfer, in his Amœnitat. Exot. p. 396 ſpeaking of this, ſays, it helps thoſe bit by Vipers, outwardly applied ; and that it is not fond in the Serpent’s Head, as believed, but by a ſecret Art made by the Brahmens ; and that, for the right and happy Application of it, there muſt be two ready ; that when one has fallen off fill’d with the Poiſon, the other may ſupply its Place. They are commonly, as he ſays, kept in a Box with Cotton, to be ready when Occaſion offers.

Biron ſays, that if the Wound of the Serpent has not bled, it muſt be a little prick’d, ſo as the Blood comes out, and then to be applied as uſual. It comes from the Kingdom of Camboya.


* Which ſignifies in Portugueſe, the hooded Serpent, becauſe it has a Membrane about its Head which it an expand like an Hood : By others it is called the Spectacle-Snake ; for on the back Part of its Neck is the Repreſentation of a pair of Spectacles. See a figure of one in Kempfer‘s Amœnit. Exotic. p. 567.

Fig. 8. a, b, c, d, repreſent the Pietre de Serpente Cobra de Cabelo, of an Aſh-colour and black. In that mark’d b, the dark Shade in the middle ſhews an Hollow, which was Part of the Cavity of the Inſide of the Bone. e and f are rough Pieces of Bones, half-calcin’d, porous, and not poliſh’d. The Figure and Deſcription of the Buffalo, whoſe Bones they uſe for this Purpoſe, are given in Mr. Edwards‘s Hiſtory of Birds, to which he has ſubjoined the Figures and Deſcriptions of ſome few rare Quadrupeds.


Allez, je vous laisse avec les liens vers toutes les versions digitales des ouvrages que j’ai cité et avec un dernier petit texte qui parle pas de serpent. Pour la version latine du texte de Kircher, ce sera une autre fois. Je pense que je ferais une petite partie dédiée à cette recherche (et à d’autres) sur le site un de ces jours, à ce moment-là je la mettrait. Mais là je passe déjà beaucoup plus de temps que je n’en ai de disponible à ça en ce moment. Bon. Les sources :


PDF : China Illustrata, Kircher Athanasius, 1667, latin (Gallica)
PDF : China Illustrata, toujours du même, 1670, français (BIU Santé) pp. 108–110
PDF: Account of Athanaſii Kircheri China Illustrata, Philos. Trans., Vol. II, Iss. 26, pp. 484–488 (The Royal Society Publishing)
PDF : A Letter from Sir Hans Sloane…, Philos. Trans., Vol. XLVI, Iss. 492, pp. 118–125 (The Royal Society Publishing)
PDF : Extrait l’vne lettre escrite de Chartres le II. Avril 1666, Journal des Sçavans, Vol. II, 1666, pp. 242–244 (et non 236–238, erreur de numérotation) (Gallica)


Journal des Sçavans
Vol. II – 1666
pp. 242–244.

EXTRAIT D’VNE LETTRE ESCRITE
de Chartres le II. Avril 1666.

Il eſt arriué depuis quelque tẽps en ces quartiers vne choſe ſurprenante. Vne ieune femme eſtant accouchée depuis trois ſemaines, & nourriſſant ſon enfant eſtoit obligée à cauſe de l’abondance de ſon lait, de ſe faire tirer par ſon Mary. Cet homme ayant les poulmons forts la tiroit auec violence : Il ſentit vn iour dans ſa bouche quelque choſe autre que du lait, & ayant regardé ce que c’eſtoit, il vit vn petit animal qui ſortit à moitié du ſein de ſa femme par le bout qu’il tettoit, & l’ayant tiré auec la main, il trouua que cet animal eſtoit comme vn petit ſerpent de la longueur d’enuiron 4. pouces & de la groſſeur d’vn ver à ſoye mediocre.

La couleur en eſtoit minime, ayant vn double rang de pieds ſous le ventre, & ſon corps eſtoit comme de petits anneaux qui ſe tenoient & ſe continuoient depuis la teſte iuſques à la queuë, qu’il portoit retrouſſée & fourchuë par le bout. Il auoit ſur la teſte deux cornes fourchuës & faites comme les petites pates d’vne eſcreuiſſe. Quand on le touchoit il ſe tourmentoit extremement, & quoy qu’il euſt vne infinité de pieds, neantmoins il ne marchoit pas en ligne droite mais en ſerpentant.

On l’apporta icy à M. Fouques Medecin, auec vne lettre du Chirurgien du lieu pour conſulter ſur le doute que la mere auoit, qu’en donnant à tetter à ſon enfant elle ne luy fiſt tort. Elle ſentoit auant que cet animal fut ſorty de ſa mammelle, comme des picqueures, qu’elle imputoit à la trop grande abondance de lait.

Cet animal eſt mort apres auoir eſté conſerué 24. heures depuis qu’il fut apporté icy. Vne infinité de perſonnes l’ont veu, & i’ay regret de ce qu’il a eſté perdu au logis du Sieur Fouques auant que i’aye pû le faire peindre & bien examiner auec vne lunette, comme i’en auois enuie.


(suite)


Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com

#275 – Des serpents, des pierres et des pierres dans des serpents

Ah ! et j’oubliais :

et comment guérir des morsures de serpents grâce aux pierres qu’on trouve dans ces mêmes serpents.

Voilà. Je crois que c’est tout.

Bon, si ce n’est pas déjà fait, allez lire #273 – Le Serpent extraordinaire de Montpellier et revenez. Si, s’il vous plaît, revenez.

(et que les Ophiophobes et autres Herpétophobes se rassurent, ils ne trouveront pas ici une seule image de serpent)

C’est lu ? On peut y aller. Je suis tombé sur un autre texte ancien concernant les serpents et les pierres, sans le chercher ! C’est foufou non ? Je vous laisse lire (oui, c’est en anglais, z’aviez qu’à mieux écouter en cours) :


Philosophical Transactions, Volume I, issue 6, 1667 (for Anno 1665, and 1666), pp. 102–103.

Of the nature of a certain Stone, found in the Indies, in the head of a Serpent.

There was, ſome while ago, ſent by Phileberto Vernatti from Java major, where he reſides, to Sir Robert Moray, for the Repoſitory of the Royal Society, a certain Stone, affirmed by the Preſenter to be found in the Head of a Snake, which laid upon any Wound, made by any venomous creature, is ſaid to ſtick to it, and ſo draws away all Poyſon : and then, being put in Milk, to void its Poyſon therein, and to make the Milk turn blew ; in which manner it muſt be uſed, till the Wound be cleanſed.

The like Relations having been made, by ſeveral others, of ſuch a Stone, and ſome alſo in this City affirming, to have made the Experiment with ſucceſs, it was thought worth while, to inquire further into the truth of this Matter : ſince which time, nothing hath been met with but an Information, delivered by that Ingenious Pariſian, Monſieur Thevenot, in his ſecond Tome, of the Relations of divers conſidirable Voyages, whereof he lately preſented ſome Exemplars to his Friends in England. The Book being in French, and not common, ’tis conceived it will not be amiſs to inſert here the ſaid Information, which is to this effect :

In the Eaſt Indies, and in the Kingdom of Quamſy in China, there is found a Stone in the Head of certain Serpents (which they call by a name ſignifying Hairy Serpents) which heals the bitings of the ſame Serpent, that elſe would kill in 24 hours. This Stone is round, white in the middle, and about the edges blew or greeniſh. Being applyed to the Wound, it adheres to it of it ſelf, and falls not off, but after it hath ſucked the Poyſon : Then they waſh it in Milk, wherein ’tis left awhile, till it return to its natural condition. It is a rare Stone, for if it be put the ſecond time upon the Wound, and ſtick to it, ’tis a ſign it had not ſuck’d all the Venome during its first application ; but if it ſtick not, ’tis a mark that all the Poyſon was drawn out at firſt. So far our French Author : wherein appears no conſiderable difference from the written Relation before mentioned.


MAIS !

comme je suis sympa, je vous mets ici la version du texte français dont il est question. Quelques précisions cela-dit : on la trouve bien dans RELATIONS DE DIVERS VOYAGES CVRIEUX, QUI N’ONT POINT ESTÉ PUBLIÉS ; OV QVI ONT ESTÉ TRADVITES D’HACLVYT ; de Purchas & d’autres Voyageurs Anglois, Hollandois, Portugais, Allemands, Eſpagnols ; ET DE QVELQVES PERSANS, ARABES, ET AVTRES Auteurs Orientaux. Enrichies de Figures, de Plantes non décrites, d’Animaux inconnus à l’Europe, & de Cartes Geographiques de Pays dont on n’a point encore donné de Cartes. SECONDE PARTIE (donc, en effet, presque « Relations of divers conſidirable Voyages », presque) de Melchisédech Thévenot, et publié à Paris en 1664, seulement cet ouvrage n’est qu’un recueil de textes et de traductions. Le texte auquel fait référence l’auteur de l’article du Philosophical Transactions est donc une traduction de Thévenot du texte en latin du père jésuite Michał Piotr Boym : FLORA SINENSIS, FRVCTVS FLORESQVE HVMILLIME PORRIGENS, SERENISSIMO ET POTENTISSIMO PRINCIPI, AC DOMINO, DOMINO LEOPOLDO IGNATIO, HUNGARIÆ REGI FLORENTISSIMO, &c. Fructus Saeculo promittenti Augustissimos (ouais, je mets les titres en entiers parce que je trouve ça trop classe, pas vous ?), publié à Vienne en 1656 et concernant la faune et la flore chinoise. Bon, mais voici la version française, donc. Je vous mets tout le mini chapitre qui traite de trois serpents différents :


LE SERPENT GEN-TO

C’eſt le plus grand ſerpent qui ſe trouue dans l’Iſle Hay-nan, & dans la prouince de Quam-tum, Quam-ſi & autres, il deuore des cerfs entiers, il n’eſt pas fort venimeux, eſt couleur de cendre, & quelquefois long de vingt-quatre pieds : Quand la faim le preſſe, il ſort des bois, & s’aidant de ſa queuë, il ſaute & attaque les hommes & les beſtes ; quelquefois de deſſus vn arbre il ſe jette ſur les hommes, & les tuë en les ſerrant de ſes plits : ſon fiel eſt vne choſe precieuſe aux Chinois, ils s’en ſeruent pour le mal des yeux. Aux Indes & dans le Royaume de Quam-ſy on trouue vne pierre dans la teſte de certains ſerpens qu’ils appellent ſerpens cheuelus, laquelle guerit les morſures, de ce meſme ſerpent, qui autrement tueroit dans vingt-quatre heures : cette pierre eſt ronde, blanche au milieu, & autour eſt bleuë ou verdaſtre : lors qu’on l’applique ſur la morſure, elle s’y attache d’elle-meſme, & elle ne tombe point qu’elle n’ait ſuccé le venin. On la laue apres dans du laict, & on l’y laiſſe quelque temps pour luy faire reprendre ſon eſtat naturel ; cette pierre eſt rare, ſi on la preſente vne ſeconde fois à la morſure, & qu’elle s’y attache, elle n’a pas ſuccé tout le venin dés la premiere ; ſi elle ne s’y attache point, c’eſt vne marque que tout le venin eſt hors, & on s’en reſiouït auec le malade : Ils ſe ſeruent contre le meſme venin d’vne racine que les Portugais appellent Rais de Cobra, qu’ils font macher à ceux qui ſont mordus, iuſques à ce qu’elle leur ait fait venir deux ou trois rapports à la bouche.

Les Chinois ont vn autre ſerpent qui eſt fort venimeux ; car ceux qui en ſont mordus meurent en peu de temps, mais ils ne laiſſent pas de l’eſtimer beaucoup à cauſe du grand remede qu’ils en tirent. Ils le mettent viuant dans vn vaiſſeau plain de bon vin, en ſorte que la teſte ſeule ſoit dehors pour faire euaporer tout le venin, & que le reſte du corps demeure enfermé dedans : On fait boüillir ce vin, ils en ſeparent apres la teſte, & la chair leur tient lieu d’vne tres-excellente theriaque.


Voilà donc qu’on nous rebassine avec des pierres à trouver dans des serpents. Je vous avoue que j’aime bien trouver des choses cachées, mais s’il faut aller ouvrir des serpents, venimeux de surcroit, au canif, je passe mon tour.

Bon. Alors alors. Quelle est la grande morale que l’on doit tirer de toutes ces histoires ? Eh bien c’est que, vraissemblablement, au XVIIe siècle, si l’on parlait de serpents, un·e couillon·ne venait immanquablement vous ramener les pierres dans la conversation. Voilà. Comme au XXe et XXIe siècles, dès qu’on causait Parkinson, fallait que quelqu’un évoque Alzheimer et inversement, pareil dans les années 90 avec cancer et SIDA. Hein ? Oui, j’en conviens, c’est peut-être pas l’interprétation la plus intéressante. Vous n’avez qu’à trouver la votre.

Avant de vous laisser partir, j’aimerais bien revenir sur cette Thériaque. Car j’ai bien lu tout Wikipédia, et je sais désormais qu’il s’agit d’un CONTREPOISON ! Eh oui, souvenez-vous des fameux jeux de notre enfance :  » – Poison ! – Contrepoison ! – Miroir empoisonné ! – Miroir contrempoisonné fois deux ! – Miroir empoisonné fois l’infini ! »… ouais, non, peut-être pas. Ce contrepoison, donc, qui semble avoir ses origines en Crète, est passé par Rome, puis dont la recette fut perfectionnée principalement dans les villes de Venise et de Montpellier, comportait plus de cinquante substances, dont presqu’aucune n’était active. Mais ça il a fallu longtemps avant de s’en apercevoir. Parmis ces cinquantes substances, l’opium, sacrément actif, et la chair de vipère, pas si active que ça puisqu’on l’abandonna de la recette au XIXe siècle.

– ENTRACTE VASE –

Grand vase à Thériaque du XVIIème siècle par les potiers J. Besson et A. Morand, collection des Hospices civils de Lyon. Alternativement on pouvait s’en servir pour y mettre les cendres des personnes sur qui la thériaque n’avait pas marché. (Photo sous licence CC BY-SA 4.0 par les Hospices Civils de Lyon. Source.)

– FIN DE L’ENTRACTE VASE –

Toujours sur Wikipédia à ce sujet on trouve un très bel échange entre un médecin de Saragosse (Laurent de Arias) et l’Université de Montpellier datant de 1724. Extrait :

Médecin de Saragosse : « Vaut-il mieux pour préparer la thériaque, faire cuire des vipères dans du sel et de l’aneth pour en faire des trochisques et les pétrir avec du pain, ou de les faire dessécher et pulvériser et quoi est le mode qui donne une thériaque plus énergique ? »

Médecins de Montpellier : « Pour répondre à cette question nous pensons d’abord devoir vous dire que, depuis longtemps, la coutume a prévalu parmi nous de se servir de vipères desséchées et réduites en poudre pour préparer la Thériaque (opération à laquelle assistent tous les professeurs de l’école). C’est l’avis unanime de nous et des pharmaciens de Montpellier.., est de toutes la préférable. Il faut se baser surtout sur ce que le sel de vipères (dont la vertu dans cette préparation est de première importance), s’en va tout à coup en vapeurs, lorsque la cuisson est sur le point d’être achevée il en est tout autrement. Les vipères desséchées sont réduites en poudre selon l’habitude…
Mais il est bien à remarquer qu’il faut se servir de vipères sèches fraichement séchées, de peur que, si on les « laisse trop vieillir, le sel volatile s’en aille entraîné peu à peu par l’humidité et perde aussi sa force. Cependant, avouons-le franchement, parce que c’est la vérité, dans l’une et l’autre méthode, il n’y a pas de différence pour donner matière à procès, car bien que la chair de vipères soit cuite un peu tardivement, elle conserve encore beaucoup de son volatile. Mais comme de juste, les vipères desséchées en ont beaucoup plus aussi préférons-nous les employer vives, cette méthode ayant été depuis longtemps reçue et approuvée. »

Et, par bonheur, il n’était aucunement question de cailloux. Comme quoi, quand on parle avec des experts, y a pas à dire, ça élève le débat.

Bon, j’en ai pas encore fini avec le XVIIe siècle, les serpents et les thériaques (et peut-être même les pierres), mais disons que c’est tout pour aujourd’hui. Il y aura suite très bientôt

Bon, voici des liens suivis de la version en langue latine du chapitre concernant les serpent du Flora Sinensis patati patata :

Extrait du Philosophical Transactions (The Royal Society Publishing)
Flora Sinensis en latin, édition originale de 1656 (Biodiversity Heritage Library)
Flora Sinensis traduit en français par Thévenot (Gallica)


De Gen-to Serpente

Gen-to ſerpentum omnium in Inſula Hay-nan & Provincijs Quam-tum, Quam-ſy, &c. reperitur facilè maximus, cervos inte gros exſugēdo & comminuendo devorat, non adeo venenoſus, colore cinerico variegatus, longus octodecim aut quatuor & viginti pedes : famelicus ex dumetis proſilit, caudæ innitens in ſaltum ſe erigit, & cum feris atque hominibus acriter luctatur : ſubinde ex arbore inſidioſe in viatorem deſilit, & complexione interimit ; fel illius contra oculos morbidos Sinis eſt precioſum. In India & regno Quam-ſy in quorundam certi generis Serpentum (quos Cobras de Cabelo ſeu capillatos Luſitani nominant) capitibus ſapis reperitur contra morſus ab ijſdem Serpentibus inflictos homini, ſpacio aliàs viginti quatuor horarum interituro. Lapis hic rotundus, coloris in medio albi, & circum circa glauci aut cœrulei, vulneri applicitus per ſeipſum hæret, veneno verò jam plenus decidit : pòſt lacti immerſus per aliquam moram, ad ſtatum naturalem ſe reducit. Lapis hic non omnibus communis, ſi literatò eidem vulneri adhæreat, virus omne exhauſtum non fuit ; ſi non adhæreat, moribundo Indigenæ de ſupecato mortis periculo aggratulantur. Reperta eſt item radix aliqua contra venenum hujus rnorſus vocata à Luſitanis Raiz de Cobra, ideſt, radis Serpentis, quam maſticare opus eſt, quoad uſque bis aut ter eructet homo.

Alius præterea apud Sinas ſerpens invenitur veneni maximi, ſed precioſus, qui intra paucas horas hominum occidit. Ex eo medicina contra varios morbos ſic paratur : Cauda eum corpore immergitur amphoræ optimo repletæ vino, ut ſolum caput & os vidi ſerpentis, ne evadat, conſtrictum per medium operculi foramen exſtet, ut igne ſuppoſito, vinoq́ ; ferveſcente, omne virus aperto ore vaporet :

Caro reciſo capite infirmis datur, & unicum illud precioſum theriacæ ad inſtar aſſervatur.


(suite)


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#273 – Le Serpent extraordinaire de Montpellier

Vous savez, moi et les infos, c’est l’amour-haine, alors j’ai consenti à bien vouloir m’informer de ce qui ce racontait dans la presse au mois de juillet, mais à l’unique condition que ce soit un mois de juillet éloigné de plus de trois cents ans de mon présent. Eh ben j’ai pas été déçu.

Lu dans le Mercure Galant de Juillet 1678, pp. 153–156 :


Je ne puis m’éloigner de Montpellier ſans vous apprendre une choſe auſſi ſinguliere que ſurprenante, qu’on a veuë à trois lieües de là, depuis quelques jours. Un Apoticaire herboriſant dans la Campagne, mit le pied ſur des brouſſailles qui cachoient un Serpent des plus monſtrueux. Ce Serpent ſe ſentant bleſſé, ſe dreſſa tout furieux, fit pluſieurs plis autour du Corps de l’Apoticaire, le mit par terre, & le tint tellement preſſé, que c’eſtoit fait de luy, ſi des Bergers qui n’en eſtoient pas fort loin, ne fuſſent accourus à ſes cris. Ils tuerent le Serpent, & délivrerent ce malheureux qui en avoit reçeu pluſieurs bleſſures. Il eſtoit extraordinairement enflé du venin qui s’eſtoit gliſſé par toutes les parties de ſon Corps ; mais deux ou trois priſes du Thériaque qui ſe fait à l’Université de Montpellier, le remirent dans ſon premier état. On fendit le Serpent. Il avoit trois œufs dans ſon ventre, & ce qui vous ſurprendra, c’est que ſur l’un de ces œufs on a trouvé ſix mots monoſyllabes, rangez en colomne, parfaitement diſtinguez les uns des autres, & ſi bien écrits, qu’un Peintre auroit eu peine à les mieux marquer. Ces mots ſont, ou, pa, re, ma, ne, pa. Vous ne doutez pas qu’on ne travaille à l’envy à les expliquer. Cet œuf a eſté donné à Mr le Cardinal de Bonzi, qui le conſerve comme une choſe fort curieuſe.


Comme quoi y a pas qu’à Marseille.


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#271 – Carême Vegan

Vous allez vous demander (si, si, vous allez voir) ce que je peux bien foutre à me taper La vie du Pape Benoît XIV. Prosper Lambertini par Louis-Antoine Caracciola dans son édition de 1783. Ah, vous voyez que vous vous le demandez. Eh ben je cherche un truc. Un truc, pour le travail dans lequel je me suis lancé et que j’évoquais hier. Un truc qui n’a aucun rapport avec le Pape ou la religion, d’ailleurs. Bon rassurez-vous quand même, je ne me « tape pas » le bouquin en entier, y a quand même bien mieux d’un point de vue historique. Non, comme souvent, je sais d’avance ce que j’y cherche, sauf que là je n’ai pas la référence exacte alors je fais défiler très rapidement les pages.

Et donc en ne trouvant pas les quelques mots que j’attends au bout de 174 pages, voilà que je tombe sur la vision papale du jeûne :

« Le Père Concina , Dominicain , dont la plume véhémente ne ceſſa de s’exercer contre la morale relâchée, crut devoir attaquer le jeûne , tel qu’on l’obſerve en Italie. Il prétendit qu’une taſſe de chocolat (quoiqu’à l’eau) priſe le matin à la manière des Romains , étoit abſolument incompatible avec l’auſtérité du Carême. Son ouvrage fit grand bruit ; & le Pape ſe contenta de répondre verbalement , “il a raiſon ; mais ce qu’on pourroit dire pour nous excuſer , c’eſt que dans tous les jeûnes d’égliſe , nous n’uſons ni d’œufs ni de laitage ; que notre collation n’eſt ordinairement qu’un ſimple breuvage , que nous mangeons ſi peu dans toute l’année , que nous faiſons toujours carême. ( On connoît la ſobriété des Italiens. )” »

Voilà. Avis à tous le jeûneurs et jeûneuses dynamiques, carêmiers comme ramadantistes.

Si vous êtes un peu maso ou que vous aimez beaucoup les papes, le texte peut-être lu en ligne ici. Si vous arrivez à savoir ce que j’y cherche, laissez-moi un commentaire, vous avez gagné.

#270 – Nouvelles Intéressantes de Montpellier

Lecteuses, lectrirs, si je ne passe pas souvent ici ces derniers temps, c’est principalement parce que je me suis lancé dans de grands travaux. Enfin, un grand travail, plutôt, qui donnera soit un livre, soit environ deux cents articles longs sur ce blog ou un autre dédié. Je vous informerai en temps voulu de la réalisation du machin.

(En parlant blogs, celui de Numéro 0 est désormais accessible. C’est celui d’une sorte de collectif de faisouilleuses et faisouilleurs auquel j’ai participé pendant près de quatre ans, bien que je n’en sois plus aujourd’hui. Photo, vidéo, musique, écriture, dessin, jeu, autre… vous y trouverez de tout. Alimenté de travaux originaux au minimum deux fois par semaine. C’est à cette adresse : https://numerozero.fr/, donc.)

En attendant, pour ce gros travail dans lequel je me suis lancé, je me farcis des pages et des pages de revues et autres ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles depuis des semaines. Et voilà-t-y pas qu’hier, au hasard de mes recherches, je tombe sur une publication Montpelliéraine !

ANNONCES, AFFICHES ET AVIS DIVERS.

Elle est hebdomadaire et imprimée à Montpellier, bien sûr, mais plus précisément à l’Imprimerie d’Augustin-François Rochard, « seul imprimeur du Roi, Place du Petit-Scel. » à partir 1770, et chaque sortie tient sur quatre pages.

Voici donc quelques extraits des tout premiers numéros, et en particulier de la rubrique NOUVELLES INTÉRESSANTES. On se n’oubliera pas, à cette occasion, de se faire la réflexion que tous les journaux semblent promettre à leurs débuts d’être moins larmoyants que les autres, et finissent inévitablement par se vautrer comme il se doit dans les anecdotes morbides. Et encore je ne vous reporte pas ici les avis de décès des nobles, magistrats et membres du clergé pleurés à chaudes encres chaque semaine.

Premiere Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 19 Mars 1770.

On ne connoît les hommes que par le mauvais côté , notre malignité nous porte avec plus d’ardeur à relever les fautes de nos ſemblables qu’à publier leur vertu , nous ſommes tout de feu quand il faut médire , nous ſommes toujours froids quand il faut louer ; cependant que d’exemples perdus pour l’humanité , qui ſeroient d’excellentes leçons de morale ? Nous aurons le courage d’en expoſer un aux yeux de nos concitoyens qu’ils ignorent peut-être , parce qu’il eſt pris dans cette claſſe d’hommes qui ont dévoué leurs talens à nos amuſemens & à nos plaiſirs , & que nous payons du déshonneur & de l’opprobre.

Un Acteur de la Troupe qui repréſente en cette Ville , nommé V***. ému de compaſſion ſur le triſte état où ſe trouvoient réduits ſes amis & ſes confréres , que la déſertion des Directeurs avoit fruſtré de leur ſalaire , leur ſeule et unique reſſource , refuſa généreuſement la portion qui lui revenoit lors de la repartition qui ſe fit entre eux le Lundi 13 de ce mois, & voulut que cette portion rejaillit ſur ceux qui ſe trouvoient dans le beſoin ; il fit plus , il offrit de repréſenter gratis à leur profit juſques au Samedi veille des Rameaux.

Nous avons cru qu’il étoit de notre devoir de tirer de l’oubli ce trait de généroſité qui y auroit reſté peut-être enſéveli , & qui mérite d’être mis au grand jour.

(pp. 3-7)


Troiſieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 2 Avril 1770.

Samedi 24 du mois dernier , des filoux ayant enduit la Porte de la maiſon d’un aubergiſte de la Ville , logé au Fauxbourg Saint Denis , avec des matieres conbuſtibles , y mirent le feu à deſſein ſans doute de s’introduire dans cette maiſon à la faveur de l’ouverture ; mais le feu ayant fait des progrés trop rapides , jetta l’alarme dans le quartier & rompit leur meſures ; cette nouvelle invention de la cupidité humaine , eſt d’autant plus funeſte , qu’avec ſon ſecours on peut ouvrir nos portes ſans bruit & ſans fraction , & qu’elle nous expoſe également aux terribles effets d’un incendie & aux horreurs d’un aſſaſſinat.

(p. 3)


Cinquieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 18 Avril 1770.

On apprend tous les jours de nouveaux effets de la cupidité humaine & on voit avec douleur les funeſtes excès où elle porte quelques malheureux qui ont ſçu juſqu’ici ſe ſouſtraire au glaive de la Juſtice levé ſur leur tête ; ils mettent à exécution leurs affreux deſſeins en plein jour , à la vue du peuple , ſans égard à la ſainteté du jour , ils pénétrent juſques dans le ſéjour de l’innocence , & vont troubler la paix des habitans de nos campagnes. J’en vais citer deux exemples également triſtes , & également récents.

Samedi dernier 7 de ce mois , à Pignan, Village ſitué à une lieue & demie de la Ville, ſur les neufs à dix heures du ſoir , on a volé au ſieur Verdier Bourgeois dudit lieu cinquante louis d’or & pour cent écus de vaiſſelle d’argent.

Quatre jours après, le Jeudi ſaint douziéme du courant , des filous ont ſaisi l’heure où le monde étoit à l’Office , c’eſt-à-dire , entre deux & trois heures après midi , pour s’introduire dans la maiſon du ſieur Poujol Me. Cordonnier ; & étant parvenus à un entreſol ſitué au premier étage , ils ont faut ſauter la pierre où tenoit la ſerrure , ont enfoncé une vieille armoire ; & ont emporté neuf cens livres en argent pliés dans un bonnet d’enfant , ſans toucher à un gobelet , un ſervice & une paire de boucles d’argent qui s’y trouvoient en même-temps.

(p. 3)


Sixieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 23 Avril 1770.

Ce n’eſt qu’avec douleur que nous ſommes obligés de rappeller ici à nos Concitoyens une de ces fatales cataſtrophes qui font gémir l’humanité ; que ne ſommes-nous aſſez heureux pour n’avoir à leur annoncer que des événements propres à exciter la joye au fond de leur cœur , et comme nous n’en avons que de triſtes & de fâcheux à leur apprendre !

Une Femme aſſez proprement miſe , a été arrêtée ſur le chemin qui conduit de Sauſſan à La Verune , la nuit du Vendredi au Samedi 21 du courant , par des aſſaſſins qui , après l’avoir percée de pluſieurs coups de couteau à la gorge , l’ont trainée aſſez loin de là dans un lieu écarté , pour dérober ſans doute aux paſſans la connoiſſance de leur crime.

(p. 4)


Septieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 30 Avril 1770.

Nous venons d’apprendre par une Lettre que nous écrit un de nos abonnés qui voyage actuellement hors de la Province , des nouvelles les plus triſtes concernant l’inondation , qui a déſolé pendant près de trois ſemaines une grande partie de la Gaſcogne, & tous les Pays ſitués près des bords de la Garonne. Nous n’avons pu nous refuſer aux inſtantes priéres qu’il nous fait d’inſérer le précis de ſa Lettre dans notre Feuille.

(…)

(p. 3)


Huitième Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 7 Mai 1770.

Les intempéries de l’air n’ont pas été moins nuiſibles à la ſanté du corps qu’aux biens de la terre : il régne dans les environs pluſieurs maladies épidémiques , une des plus cruelles s’eſt répanduë dans un Village aſſez voiſin de la Ville nommé St. Jean de Vedas ; aujourd’hui même 5 Mai nous venons d’apprendre qu’il y eſt mort dix perſonnes & que ſix ont été atteintes du mal contagieux ; une femme de l’endroit voyant que perſonne n’oſoit approcher de ſon mari , qui venoit d’expirer , eût le courage de l’enſévelir elle-même , mais elle fut attaquée le lendemain du même mal , & mourût deux jours après victime de la piété conjugale. Nous ne devons point oublier le triſte ſort du Curé du Lieu; ce digne Paſteur qui dans ces fâcheuſes circonſtances a oublié le ſoin de ſa conſervation , & ne s’eſt reſſouvenu que de ſon zéle , a été lui-même atteint de la maladie , il eſt à l’extrémité.

La mort qui dans ces temps de calamité ſemble s’attacher aux plus reſpectables têtes, vient encore de nous enlever un de ces hommes digne de vivre toujours. C’eſt M. l’Abée de la Prunarede Chanoine de la Cathédrale(…)

(p. 4)


Neuvieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 14 Mai 1770.

Nous venons d’apprendre avec plaiſir que la maladie épidémique qui a régné à Saint Jean de Vedas pendant quelques ſemaines , n’a pas eu de ſuites auſſi funeſtes qu’on le craignoit d’abord ; ſes effets ſont aujourd’hui peu ſenſibles ; la mort a rallenti ſes coups , les habitans voyent renaître leur premiere paix , & ils eſpérent que les ſoins des Médecins ſecondés des ſecours de la Providence , diſſiperont bientôt les derniers reſtes d’une cruelle maladie , & rendront à l’air qu’ils reſpirent toute ſa pureté ; heureux encore après leur détreſſe , s’ils n’avoient pas à pleurer la mort de pluſieurs de leurs plus chers compatriotes , & ſurtout celle de leur Paſteur qui a ſuccombé enfin aux maux dont Dieu l’avoit éprouvé (…).

Pour diſtraire un peu nos Lecteurs de ces idées funébres , nous leur ferons part d’un fait aſſez ſingulier qui , quoiqu’il ſe ſoit paſſé en public , n’eſt peut-être pas ſçu de tout le monde ; Mercredi dernier un homme et une femme s’aviſerent de diſtribuer quelques écus faux aſſez groſſierement imités , après avoir fait quelques dupes , ils le furent enfin eux-mêmes ; quelques-uns de ceux qui avoient été attrapés coururent après eux , & furent bientôt ſuivis de la populace ; voilà mes gens dans un grand embarras , ils ne ſçavoient de quel côté paſſer ; comme ils ſongeoient à s’évader , on les prit , & on les emmena au Palais.

(pp. 3-4)


Dixieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 21 Mai 1770.

De triſtes nouvelles nous apprennent que les mauvaiſes influences de l’air qui ſe sont faites reſſentir aux environs de Montpellier , ne ſont pas également diſſipées par-tout , l’alarme régne encore à Saint-Martin de Londres & à Viols , Villages ſitués à 4 ou 5 lieues de Montpellier ; nombre d’habitans y ont été attaqués ſucceſſivement d’une maladie cruelle qui portoit les ſymptomes de la pleuréſie & étoit accompagnée du délire , & violens maux de tête ; pluſieurs ont déjà payé le tribut à la mort , & elle y immole tous les jours de nouvelles victimes , mais on eſpére que les ſecours de la Médecine , l’air qui s’épure , la nature qui prend une nouvelle vie , tout enfin va contribuer à diſſiper la malignité des vapeurs contagieuſes qui menaçoient leurs jours , & le paiſible Laboureur pourra jouir ſans inquiétude du doux plaiſir de contempler dans les Campagnes , humectées & réjouies par les roſées ſalutaires du Ciel , les heureuſes apparences d’une récolte abondante.

(pp. 3-4)


Pas de NOUVELLES INTÉRESSANTES dans les éditions du 28 mai et du 6 juin.


Treizieme Feuille hebdomadaire de Montpellier.
Du 11 Juin 1770.

On n’avoit pas jugé à propos d’inſérer dans la dernière Feuille la triſte nouvelle de l’aſſaſſinat commis ſur la perſonne d’une femme qu’on a trouvée le Vendredi premier du courant hachée en morceaux au environs de Fabregues , parce qu’on attendoit la confirmation de ce fait , qui n’eſt que trop avéré.

(p. 4)


Voilà, voilà. Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que la lecture des journaux donne envie de s’enfermer chez soi pour ne plus en sortir. Si vous voulez allez voir par vous-même ces quelques morceaux choisis dans leur contexte, c’est ici que ça se passe, sur le site des archives départementales de l’Hérault : http://archives-pierresvives.herault.fr/ark:/37279/vta53d7ab2ea66cf/daogrp/0/1 (C’est de là que vient l’image utilisée dans l’article, d’ailleurs.) J’aurais pu en copier d’avantage ici, mais j’en avais marre. Allez donc y jeter un œil, ça se lit très vite.